Auteur: Youssouf Sylla, juriste, analyste.
Plus de six décennies se sont écoulées depuis que la Guinée est indépendante. Et un constat amer s’impose: on est encore loin de la « société libre et démocratique » promise dans chacune des cinq constitutions que le pays a connues. Certaines ont certes suscitées de réels espoirs de changement auprès des populations, mais très rapidement, un profond fossé s’est creusé entre le contenu de ces constitutions et les pratiques développées sur le terrain par les gouvernants successifs, premiers responsables de leur application. Ils ont déçu les espoirs d’une société libre et démocratique, divisé, sinon dressé les populations les unes contre les autre, et compromis l’avenir des générations montantes par la dévalorisation de l’instruction et l’éducation. Un nouveau départ est donc nécessaire aujourd’hui à travers une nouvelle constitution qui devrait relever deux grands défis parmi tant d’autres.
Ajustement temporel de la fonction présidentielle aux aspirations démocratiques
Il faut rationaliser la fonction présidentielle en Guinée. En effet, il est apparu tout au long de notre histoire constitutionnelle que la suprématie du pouvoir exécutif est au cœur de deux problèmes majeurs, source de nos malheurs. Le premier est l’accès prioritaire et exclusif des dirigeants aux produits des richesses nationales, au détriment du reste de la population. Le second, conséquence du premier, est la convoitise meurtrière de la fonction présidentielle avec son corollaire de confrontations à caractère ethnique.
La fin de la suprématie présidentielle passe par deux axes. Le premier est la limitation de la durée du mandat présidentiel. Ce mandat doit être ramené à un délai raisonnable pour être en phase avec la tendance dominante en la matière dans les Etats démocratiques. La France et le Sénégal à l’issue de différentes révisions constitutionnelles ont ramené à 5 ans, cette durée qui était de 7 ans. Aux USA, la durée du mandat est de 4 ans.
Le deuxième axe pour mettre fin à la monarchie républicaine est de s’interroger sur le nombre de fois qu’il sera autorisé de renouveler le mandat présidentiel. A ce titre, il convient d’observer, au-delà de l’émotion que suscite une telle question en Guinée quand on fait directement référence à son histoire politique, que les pratiques en la matière dont diverses dans les démocraties. Au Royaume Uni, au Canada, en Australie, en Allemagne, il n’y a pas de limite au renouvellement du mandat du chef de l’exécutif. Il reste à son poste tant qu’il a bénéficie de la confiance de son peuple à travers un vote démocratique, libre et transparent. Mais dans un pays comme la Guinee, il serait déraisonnable d’imiter cette expérience à cause de son faible ancrage démocratique. L’attachement dementiel des gouvernants au pouvoir ne favorisera jamais une alternance au sommet de l’État par voie électorale.
Adaptation de la forme de l’État aux nouvelles aspirations démocratiques
Si l’ajustement temporel de la fonction présidentielle aux aspirations démocratiques des populations permet de sortir de la « monarchie républicaine » telle qu’imposée par les différents présidents de la République en Guinée, la revision de la forme de l’Etat permettra à son tour d’avoir une adéquation entre nos aspirations démocratiques et la forme d’État convenable. Autrement, nous devrions imaginer la forme idéale d’État qu’il nous faut, en jetant un regard critique, notamment sur les expériences tirées du Parti-Etat, de l’État centralisé prétendument démocratique, des abus du pouvoir executif, de la bipolarisation ethnique de la vie politique et publique, et de la volonté de chacun de prendre part aux travaux de construction d’une nation forte, prospère et libre.
Seul un examen critique de notre passé et de notre présent politique, permettra de poser sans complaisance, le diagnostic de la société politique guinéenne, profondement malade et de prescrire pour le long terme, un remède efficace pour son essor dans le cadre d’un nouveau pacte social, qui n’est rien d’autre que notre future constitution.
Pour notre part, le « centralisme executif » apparait après six décennies de gouvernance politique comme le virus à extirper du corps politique guinéen. Car, il est à l’origine de la convoitise meurtrière de la fonction présidentielle sur fond d’exacerbation des tensions ethniques. L’expérience montre que le modèle du centralisme executif a plutôt orienté le combat politique sur un enjeu d’alternance ethnique et non d’alternance politique. Seule cette dernière est bonne pour la démocratie. L’enjeu d’alternance ethnique étant le venin le plus nocif pour une société qui prétend à l’inclusion de ses composantes socio culturelles dans un espace politique partagé.
Le modèle de gouvernace politique le plus à même dans le contexte de la Guinée de créer un espace politique partagé, est celui qui sera fondé sur l’abandon du centralisme exécutif. Autrement, la dilution du pouvoir executif dans la veine des pôles régionaux. Les raisons d’expérimentation d’un tel modèle sont nombreuses. Elles portent entre autres, sur une répartition équilibrée de compétences entre l’exécutif central et les exécutifs régionaux. Tout comme au niveau central, les niveaux régionaux doivent aussi à voir des compétences législatives propres en particulier dans les domaines de l’économie et de la culture. Toutefois, comme c’est le cas dans nombre de pays, le gouvernement central aura notamment l’exclusivité des secteurs de la défense, de la diplomatie et de la justice et de la monnaie.
Il est normal au départ, que ce modèle puisse susciter des inquiétudes auprès d’un certain nombre de personnes, notamment en ce qui concerne le mode de distribution du produit des richesses du sol et du sous sol, compte tenu de leur répartition inégale sur le territoire national. Ces doutes devraient être levés par un système efficace et équitable de péréquation qui permet, comme ailleurs, au gouvernement central de transférer des ressources des régions riches vers celles qui ne le sont moins, en vue de favoriser le développement harmonieux de l’ensemble du pays et d’éviter tout prix, les disparités.
En somme, la fin de la « monarchie républicaine » à travers l’ajustement du mandat présidentiel aux aspirations démocratiques des citoyens d’une part, et d’autre part, la fin du « centralisme exécutif » par une répartition équitable du pouvoir executif entre le gouvernement central et les entités régionales, apparaissent aujourd’hui, comme un modèle de gouvernance politique à envisager dans notre pays. Il permet de réduire drastiquement le niveau de concurrence autour de la fonction présidentielle et de déplacer vers les régions, de nombreux enjeux de la vie socio-économique des populations.