Tous les demandeurs de passeports biométriques, tous les Guinéens qui ont des passeports expirés, les malades à évacuer et les femmes enceintes qui désirent accoucher à l’étranger, doivent prendre leur mal en patience et attendre. Et pour cause. Le ministre de la sécurité a ordonné l’arrêt de la production de ce document de voyage. Bachir Diallo a demandé à IRIS CORPORATION BERHAD, la société, qui depuis huit ans produit les passeports, d’arrêter. Raison avancée. Le nouveau ministre nommé par la junte militaire veut « voir clair » dans le contrat qui lie son ministère à la société IRIS. Ainsi, depuis près de trois semaines, la marée humaine qui, d’habitude, prend d’assaut les guichets des banques et se déverse dans les locaux du ministère de la Sécurité, a disparu. Surpris et désemparés, les postulants ont déserté les lieux en attendant que le ministre revienne sur sa décision. Du côté de la société IRIS, l’on se dit surpris de la réaction du ministre Bachir Diallo.
La galère des demandeurs de passeports
Lundi 17 janvier dernier. Nous voici en face de l’agence d’une banque privée de la place, au quartier « Manquepas », dans la commune de Kaloum, là où se fait le dépôt des frais de passeports biométriques. Sur les lieux, nous rencontrons une jeune dame désemparée entrain de se lamenter. « Mais pourquoi le guichet ne fonctionne pas ? Ou bien ce n’est pas ici on fait le versement pour l’obtention du passeport », interroge la bonne dame étonnée. « C’est bien ici madame. Mais actuellement la production du passeport est arrêtée. Passez dans un mois pour voir », répondent en chœur, les vigiles assis devant le guichet. « Non, ce n’est pas vrai ! Comment ça? Ma fille doit se rendre à Paris pour ses études ! Nous sommes dans quel pays ? Qu’est-ce qui arrive au ministre de la Sécurité ? Non, ce n’est pas vrai », se lamente-t-elle.
Et pourtant c’est vrai. Au département de la Sécurité, où nous nous sommes rendus, la cour est quasi déserte. Fini les attroupements, les défilés incessants des demandeurs de passeports biométriques. « Depuis l’annonce de l’arrêt de production des passeports, personne ne vient ici. Ceux qui viennent une fois après lecture de la circulaire affichée sur le tableau, repartent », expliquent les agents de police postés à l’entrée du ministère. Certains policiers, du moins ceux qui jouissent de leurs rapports avec les patrons du DCPAF, se plaignent de la décision du ministre qui, pour eux, a déstabilisé leur « fonds de commerce ». « C’est la galère ici. Notre affaire est gâtée. On démarchait auprès de ceux qui viennent faire leurs passeports. C’est une affaire juteuse. On gagnait 200 à 300 mille francs guinéens par passeport. Parfois des millions pour ceux qui viennent pour l’écrasement de leurs passeports. Mais bon, on attend, peut-être le ministre reviendra sur sa décision et nous reprendrons notre business », espère un des agents en poste, lors de notre passage.
De l’autre côté de la route, tout juste en face du ministère, c’est un père de famille presqu’en larme que nous avons trouvé. Il était sans mot devant la situation que lui-même a qualifié de désastre « C’est incroyable ce que je viens d’apprendre. On n’émet pas de passeports ces jours-ci. Mon fils est gravement malade, Dr Sandé de l’Hôpital Sino-guinéen demande son évacuation sur la Tunisie. Je suis venu faire son passeport voilà que j’apprends que le ministre a ordonné l’arrêt de production des passeports…Je ne sais pas, vraiment je ne sais pas. J’ai demandé à voir le ministre, mais on m’a fait savoir qu’il est au Palais des Nations. J’attends ici », nous fait savoir le sexagénaire sous le coup de la déception.
Durant tout le temps que nous avons passé au département à Coléah, nous n’avons constaté aucun attroupement quelconque dans la cour, à part les agents de police qui divaguaient d’un point à un autre.
Un conseiller du ministre s’en prend à la société IRIS
Concernant les raisons de cet arrêt brutal de production de passeport, nous n’avons pu avoir le ministre pour en savoir plus. Idem pour le patron de la Direction Centrale de la Police de l’Air et des Frontières. Toutes nos démarches furent vaines. Seul, un conseiller du département a accepté sous le sceau de l’anonymat de se prêter à nos questions : « C’est une décision venue de la haut. Les nouvelles autorités veulent revoir la convention BOT, signée en 2013 entre l’Etat guinéen et la Société IRIS CORPORATION BERHAD. C’est tout à fait normal ! Il y a des points à revoir. C’est normal qu’après plus de cinq ans de « mariage », qu’on s’arrête et on passe à revue la vie commune », ironise notre interlocuteur avant de pointer un doigt accusateur contre les responsables d’IRIS. « Cette société prend certaines décisions sans l’accord de son partenaire qu’est l’Etat. Regardez par exemple ! Pour le choix de la couleur du passeport, les responsables d’IRIS n’ont pas envoyé les spécimens dans les représentations diplomatiques, dans nos ambassades à l’étranger Comment peut-on savoir que la Guinée a apporté une modification au niveau du passeport», s’interroge-t-il avant de rassurer les demandeurs du passeport que tout rentrera dans l’ordre d’ici quelques. « Nous comprenons l’impatience des uns des autres, mais qu’ils donnent du temps aux autorités de la sécurité de mettre de l’ordre dans la « maison ça ne saurait tardé».
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A un agent de police proche du ministre de confirmer : « le patron a ramassé tous les passeports vierges et les a parqués dans son bureau. Depuis un moment, aucun passeport ne sort. Regardez le mouvement dans la cour ! Les collègues qui d’habitude se beurrent dans le trafic de ce document, sont aujourd’hui désœuvrés… C’est à tout ce désordre que le ministre veut mettre fin. Il s’est dit choqué de l’arnaque des collègues sur les demandeurs de Passeports. Et puis les gens d’IRIS aussi, semble-t-il qu’ils n’ont pas respecté la convention », accuse vaguement le policier, sans nous donner la moindre preuve.
Faut-il s’en tenir à cette information ? Pour mieux comprendre ce dossier, nous avons mené des enquêtes au niveau de la société IRIS où certains responsables qui ont voulu garder eux aussi l’anonymat, ont juré la main sur le cœur que la convention est respectée sur toutes les lignes.
Quand un agent de police du service technique pointe un doigt accusateur contre le ministre Bachir Diallo
Approché, un agent de police en poste au service technique de la production des passeports, confirme que la convention signée le 1er avril 2014 entre IRIS et le ministère de la Sécurité et de la Protection Civile, ne souffre d’aucun manquement. Sauf que le ministre Bachir Diallo aurait l’intention de solliciter l’offre d’une autre société. Laquelle ? Notre interlocuteur n’a pu dévoiler le nom de cette société fantôme tapis dans l’ombre et qui envoûterait et agiterait le chef de département de la sécurité qui frappe dans tous les sens. « Je suis l’un des cerveaux du service technique. Honnêteté oblige. Depuis la signature de la convention en 2014, IRIS a rempli sa part de contrat. Aujourd’hui, plus de 700 mille citoyens guinéens ont pu obtenir leurs passeports. Mais que s’est-il passé ces derniers temps? En 2020, le monde entier a été frappé par l’épidémie de COVID-19. Notre partenaire, c’est-à-dire, IRIS a eu des difficultés techniques au niveau de l’impression des passeports. Les responsables de la société ont écrit au ministère le 6 décembre 2021, pour lui signifier qu’il sera difficile d’avoir la couleur vert-foncé compte tenu de la crise. Et tenez-vous bien ! Ce courrier est accompagné du spécimen du nouveau passeport à la couleur vert-clair. Au lieu de répondre au courrier sur-le-champ, les autorités ont attendu jusqu’au 6 janvier 2022, c’est-à-dire un mois après, pour réagir. Ils ont laissé IRIS produire 20 mille passeports. Pourquoi en vouloir aujourd’hui à cette société ? Il y a quelque chose qui se passe. Peut-être qu’on veut arracher le marché des passeports à IRIS ? Mais le ministre et ses collaborateurs connaissent-ils les conséquences de l’acte qu’ils veulent poser ? Le contrat avec IRIS c’est 15 ans. Et nous sommes seulement à la huitième année », s’inquiète le technicien de la police.
Iris accusé de corruption en Guinée.
En janvier 2017, le directeur général adjoint de la compagnie Iris Datuk Hamdan Mohd Hassan Iris s’est fait arrêter à Kuala Lampour suite aux allégations de corruption faites par la Commission Anticorruption malaisienne dans le dossier d’acquisition d’un marché de confection de passeports biométriques en République de Guinée.
L’inquiétude des demandeurs de passeports et ce que l’Etat guinéen perd
Les guinéens sont sevrés de ce sésame précieux depuis un mois et cette privation du droit élémentaire des citoyens n’émeut guère personne. Le ministre s’est contenté d’une simple communication lapidaire au conseil des ministre avec une circulaire placardée au mur de son département, pour apprendre aux Guinéens que la production des passeports est momentanément arrêtée. Et ceci, apprend-t-on, sans informer l’opérateur IRIS. Et quand on connaît ce que le pays perd par jour, il y a de quoi s’inquiéter, surtout en ces temps de vaches maigres. Selon les indiscrétions, la Guinée gagne près de 6 milliards de francs guinéens par mois. Et ça, c’est en temps de crise de COVID. Alors, imaginons ce que l’Etat guinéen gagne en temps normal.
Le mal dans tout ça, c’est le silence qui entoure cette affaire de passeport. CNRD et son gouvernement vont-ils libérer un jour les nombreux Guinéens demandeurs de passeports qui attendent désespérément ? Le Colonel Mamadi Doumbouya et son équipe permettront-ils à leurs concitoyens de jouir de ce droit élémentaire ?