Suffit-il de se prévaloir du statut de centre d’études pour prétendre au sérieux et à la crédibilité ? De même, suffit-il de se parer du titre de directrice de recherche adjointe dans un centre quelconque pour s’octroyer le droit de porter des jugements définitifs et expéditifs sur la situation passée, actuelle et à venir de la Guinée ? Telles sont quelques-unes des interrogations suscitées en moi par la lecture d’un document intitulé « Désamorcer la crise politique en Guinée » publié par le Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique (CESA), le 28 avril 2020. Il me tenait donc à cœur en tant que citoyenne et élue de la nation d’apporter ma modeste contribution au débat en cours afin d’aider notre peuple à se forger l’opinion la plus éclairée possible. Le faisant, c’est tout le peuple guinéen sans exclusive que j’invite à une réflexion raisonnée, argumentée et utile à notre patrie, tant il est vrai que nous n’avons qu’un seul pays.
Si un ancien premier ministre de notre pays s’est dit « réconforté qu’un centre aussi influent porte les justifications de notre combat (sic) », la Guinéenne que je suis aurait tendance, pour sa part, à craindre que ledit « rapport » ne soit une source d’incitations diverses à la division et à l’affrontement entre filles et fils de la Guinée. En effet, tentant de mettre la république de Guinée sur la sellette, ce document allègue sans nuance aucune que le Président Alpha Condé travaillerait pour ses intérêts personnels et pour ceux de son « clan » ; que tant qu’Alpha Condé n’aura pas la légitimité des Occidentaux, la Guinée s’installera résolument dans l’œil du Cyclone. Le CESA termine en invitant les communautés régionale et internationale à soutenir les Guinéens opposés à l’actuel Président qui, toujours selon le « rapport », confisquerait le pouvoir, etc.
Avant tout, en quoi le CESA qui n’est qu’un organisme de recherche privé parmi tant d’autres aurait-il le plus à cœur les intérêts des Guinéens quand on sait qu’il obéit à un agenda qui lui est propre ? ll est permis d’en douter quand on pense au rôle de certains « experts » ou organisations dans les crises qui ont frappé des pays frères tels la Côte d’ivoire. On pense ainsi à un certain Benoît Scheuer qui a disparu de la circulation après avoir soufflé sur les braises de la haine entre les Ivoiriens par sa partialité et sa stigmatisation d’un camp face à l’autre ? C’est exactement ce qu’on peut redouter quand Mme Alix Boucher qui n’en est pas à son premier rapport sur la Guinée, auteure du document du CESA affirme sans aucun recul : « En Guinée Forestière, un conflit autour du vote a suscité des violences entre groupes religieux menant à l’incendie de plusieurs églises et mosquées faisant plus de quinze (15) morts ».
Déclarations unilatérales et tranchantes de l’auteure, absence d’enquêtes et de confrontations des sources, recours aux invariants des propos routiniers voire incessants d’opposants, etc., sont là autant d’éléments hélas, qui jettent le voile du doute sur l’action et les intentions du CESA. Tout ceci nous remet en l’esprit ce sévère jugement de la Cour Pénale Internationale (CPI) qui avait estimé que trop souvent, les journalistes, les fonctionnaires d’organisations internationales ou d’organisation non gouvernementales n’avaient que des connaissances et des liens ténus, indirects ou inexistants avec les faits survenus sur le terrain. Nous voilà de plain-pied dans le même schéma. Comment madame Alix Boucher récidiviste notoire, peut-elle donc commettre un document qui se veut scientifique sans une ligne ou opinion d’un seul Guinéen non-membre de l’opposition ou représentant l’Etat guinéen ? Est- il concevable qu’une organisation qui se veut sérieuse et rigoureuse publie un document où il n’y a aucune référence, aucun renvoi et se contente juste d’affirmations gratuites ?
Le rapport du CESA aurait eu son utilité, si, voulant éviter l’apocalypse annoncée, Alix Boucher avait invité l’opposition guinéenne à interroger également ses responsabilités.
Lorsqu’on se penche plus en avant sur le contenu du document du CESA, celui-ci résiste difficilement à la réalité de la politique guinéenne. Les élections référendaires et législatives du 22 mars 2020 ont été organisées conformément au processus de dialogue social et politique mis en œuvre par le Président Alpha Condé depuis son premier mandat datant de 2010. La réforme de la Constitution, en effet, avait été discutée avec les forces vives de la Nation et les différents acteurs politiques, et programmée depuis belle lurette. Cette précision permet d’ailleurs de mieux comprendre l’urgence et la nécessité des réformes constitutionnelles ; lesquelles ne tiennent guère à des velléités de maintien au pouvoir. Malgré le boycott actif du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) caporalisé par une opposition en manque de crédibilité, n’arrivant plus à mobiliser qui s’est violemment attaqué à la distribution du matériel électoral, (les cartes d’électeurs, les urnes, les isoloirs, les fiches d’émargement) dans plusieurs circonscriptions électorales, aux personnes et aux biens, les élections se sont relativement bien déroulées. Il suffit de regarder les résultats pour s’en convaincre. En comparaison au Référendum de 2001, organisé par le régime militaire du Général Lansana Conté et boycotté sans violences par l’opposition de l’époque, et qui avait été plébiscité à 98,36 % avec un taux de participation de 87,20 %, celui de 2020 a été voté à 89,76 % par le peuple guinéen avec un taux de participation de 58,24 % nonobstant le boycott, les violences et les nombreuses entraves au scrutin orchestrés par l’opposition.
Quant au scrutin législatif, il a enregistré la participation de plusieurs partis de l’opposition républicaine et un taux de participation de 58,04 %. La mouvance présidentielle emmenée par le RPG-arc-en-ciel a obtenu 42 sièges à la proportionnelle et 37 sièges sur 38 à l’uninominale. Avec 79 parlementaires soit 69,29 % pour le RPG et 35 soit 30,70 % pour l’opposition, il apparaît que l’opposition républicaine qui a décidé librement de prendre part aux élections a bien des sièges à l’hémicycle. Opposer à ces chiffres, des propos attribués aux «(…) médias et (…) réseaux sociaux » et aux « organisations non-gouvernementales de Guinée » sans source ni précision aucune est tout de même léger.
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Il est donc péremptoire d’affirmer que ces élections organisées par l’Etat guinéen, sans aucun soutien financier de l’étranger, se sont tenues à huis-clos. La présence des observateurs nationaux (les plate-formes de la société civile guinéenne), internationaux, notamment la société civile panafricaine venue du Togo, du Benin et du Cameroun sous la coordination du Plan international pour la démocratie et la paix en Afrique (PIDPA) et même celle des émissaires de l’ambassade des USA qui ont également sillonné les bureaux de vote attestent de la crédibilité des joutes électorales du 22 mars 2020. On note que sur les cinq (5) membres du Conseil de sécurité, trois (3) ont reconnu et salué la bonne tenue du scrutin et un (1) s’en est abstenu.
La pandémie du Covid 19 qui s’est déclarée à la veille de ces scrutins devait-elle également suspendre le processus de démocratisation de la Guinée ? Aurait-on oublié que l’Etat avait continué à fonctionner pendant la crise sanitaire de l’Ebola en 2014 qui a occasionné 3000 morts en Guinée, selon l’Organisation Mondiale de la santé (OMS) ?
Selon les rapports officiels, « les élections que l’opposition a appelées à boycotter ont été émaillées certes de violences, mais les enquêtes ouvertes ont révélé que s’il y a eu des victimes du fait des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) qui faisaient face à certains militants armés, la majorité des autres tués et blessés l’ont été soit par des calibres 12 soit par armes blanches. Des armes qui ne sont pas dans la dotation des FDS qui ont eu à déplorer des morts et des blessés dans leurs rangs ». Pourquoi ne pas tenir compte également de ces éléments ?
C’est pourquoi, pour la mémoire de toutes ces victimes devant lesquelles je m’incline et en ma qualité de députée de la nation, je souhaite vivement que toute la lumière soit faite sur ces événements douloureux pour notre pays ; tragédie qu’on souhaite ne plus revivre. Comme dans tous les régimes démocratiques où plusieurs partis sont appelés à cohabiter, il y a souvent une crise de confiance entre le parti au pouvoir et ceux de l’opposition. La situation en Guinée n’échappe guère à la règle. Le Président Alpha Condé n’a cessé de multiplier les échanges avec ses opposants plusieurs fois appelés à la table des négociations. L’Assemblée nationale a même voté, le 18 décembre 2014, la Loi 036 portant statut de chef de file de l’opposition. Dans le cadre des règles du protocole d’Etat, le porte- parole attitré de l’opposition politique prend rang immédiatement après les présidents des institutions républicaines. A l’issue des dernières élections législatives, c’est l’opposant El hadj Mamadou Sylla, président de l’Union démocratique de Guinée (UDG) qui est désormais le chef de file de l’opposition en Guinée. Il s’agit là d’efforts réels à encourager, tout comme nous devons accompagner au mieux la réforme du secteur de la sécurité afin que les résultats attendus profitent à chaque Guinéen.
Quant aux partenaires historiques de la Guinée que sont la Chine, la Fédération de Russie ou la Turquie, ils occupent une place légitime dans la coopération guinéenne au même titre que tout autre pays, organisation ou entité soucieuse de soutenir le pays dans sa marche ô combien difficile vers le progrès comme la plupart des pays africains, cela dans le respect de la vérité des urnes et de la souveraineté du peuple guinéen.
Voilà pourquoi je dis que si crise politique il y aurait à désamorcer en Guinée, la meilleure manière de la faire serait d’abord et avant tout de désarmer les plumes au CESA, ensuite les esprits au niveau de l’opposition et de l’ensemble des forces politiques.
Conakry le 12 mai 2020