Par Youssouf Sylla, analyste-juriste, Conakry, Guinée
La Guinée donne la nette impression d’un pays où la classe politique développe un goût immodéré pour les crises socio politiques qui paralysent sa marche vers le bien être pour tous. Elle est incapable de tirer le meilleur parti des crises cycliques qu’elle traverse il y a de cela quelques décennies. Les crises s’y succèdent à un rythme tel qu’on arrive à confondre leurs origines à leurs conséquences et vice versa. Néanmoins, on peut résumer à trois faits majeurs les situations génératrices de crises en Guinée : il y a le détournement des règles de conduite de la démocratie, l’appropriation personnelle des ressources collectives et les différentes formes d’injustice.
Détournement des règles de conduite de la démocratie
Les conditions dans lesquelles se déroulent globalement une élection démocratique (de leur préparation à la proclamation des résultats sans oublier le contrôle des moyens utilisés dans le cadre d’une campagne politique ainsi que les mécanismes de contestation des résultats jugés partiaux) sont un important indicateur du niveau d’adhésion d’un pays à la démocratie. Plus ces conditions sont meilleures plus l’ancrage démocratique du pays est fort. Mais si ces conditions sont médiocres, en référence à ce qui se passe en Guinée, c’est le libre choix des électeurs de ceux et celles qu’ils souhaitent voir prendre en charge la destinée du pays au niveau central et local qui prend un coup fatal.
En Guinée, les règles de conduite de la démocratie à travers l’organisation des élections politiques sont détournées de leurs objectifs. Jamais les élections politiques telles qu’organisées par la Commission Électorale Nationale Indépendante (Ceni) et bien avant elle, le Ministère de l’Intérieur, n’ont été satisfaisantes aux yeux de tous. Elles donnent constamment lieu à des contestations de rue aux allures insurrectionnelles et interethniques ainsi qu’aux actions judiciaires aux issues incertaines.
L’illustration la plus récente de la déconvenue électorale est l’élection communale tenue en février 2018. Quelques mois après cette élection, personne ne sait encore ses résultats globaux alors que sa tenue a été précédée d’importants sacrifices.
En réalité, ce qui se cache derrière la prise en otage de l’ensemble de ce système, c’est la volonté implacable des formations politiques en compétition de faire du forcing soit dans le sens de la conservation du pouvoir soit dans celui de la conquête du même pouvoir par la manipulation des instances de gestion des élections.
Malgré sa proximité avec le Libéria et la Sierra Léone, la Guinée, est c’est malheureux, a du mal à s’inspirer des systèmes consensuels de gestion des élections de ces deux pays qui viennent d’élire récemment à leur tête de nouveaux présidents. Pourtant il y a quelques années, la Guinée était la terre d’asile des populations de ces pays ravagés par une guerre civile meurtrière.
Appropriation des ressources collectives
Dans certains pays, les mécanismes de contrôle de l’utilisation des deniers publics suspens une épée Damoclès sur la tête des dirigeants publics. L’application des règles de détection des cas d’enrichissement personnels des dirigeants publics sont si réelles que n’importe quel dirigeant, y compris le chef de l’exécutif peut se voir sanctionner par les juridictions spécialisées et indépendantes. Ces pays donnent la preuve que personne n’est au-dessus des lois et que le pouvoir politique est un moyen d’amélioration des conditions de vie des populations et non un moyen d’enrichissement personnel.
Récemment l’ex-présidente de la Corée du sud a été jugée et condamnée à 24 ans de prison pour avoir obligé au cours de sa présidence des entreprises à verser des milliards de wons à une fondation dirigée par son amie. Le célèbre président brésilien Lula est aussi jugé et condamné à la prison ferme par la justice de son pays pour avoir reçu un triplex d’un groupe de bâtiment en échange des contrats publics octroyés audit groupe. Poussé à la démission, Jacob Zuma sera bientôt traduit en justice à cause des accusations de corruption qui pèsent sur sa personne en lien avec des contrats d’armement impliquant certaines grosses entreprises étrangères comme le groupe français Thalès.
Dans d’autres pays en revanche parmi lesquels on peut citer la Guinée, de telles pratiques ne donnent presque pas lieu à des poursuites judiciaires et jamais les hauts dignitaires des régimes politiques ne sont embêtés. La conviction de plus en plus présente que les hommes forts d’un régime sont des intouchables devient un élément qui structure la vision qu’on se fait de la politique. Ainsi, la détention du pouvoir politique, compte tenu des immunités qu’elle confère à leurs titulaires, apparait aux yeux du plus grand nombre comme un excellent moyen d’accaparement des ressources collectives. Le résultat d’une telle philosophie ne se fait pas attendre : les individus politiquement forts deviennent riches et le grand nombre, loin de ce monde de privilégiés, devient pauvre.
Injustices
Si les lois sont nécessaires pour rétablir la justice sociale, elles ne sont pas suffisantes pour créer au sein de la population un sentiment de justice pour la simple raison que ce sentiment ne se décrète pas. Il est le fruit d’une construction sociale et de la répétition des pratiques d’impartialité et de neutralité qui finissent par donner à chacun un profond sentiment d’égalité de tous devant la loi.
En Guinée, les rapports de force sur le plan politique influent considérablement sur l’étendue des droits et des devoirs des citoyens, selon qu’ils se trouvent dans le camp du parti au pouvoir ou dans le camp de l’opposition. Face à l’institution judiciaire, rares sont ceux qui pensent qu’ils ont les mêmes « armes » que les privilégiés du parti au pouvoir et les personnes financièrement prospères, surtout si celles-ci sont proches du pouvoir. Aujourd’hui encore certaines pratiques comme le récent recrutement sans concours d’une centaine d’agents dans la fonction publique renforcent le sentiment d’injustice d’une grande partie de l’opinion face aux privilèges exceptionnels accordés à une minorité. D’autres pratiques en revanche mettent en évidence la rupture de confiance entre le justiciable et le juge comme le traitement extrajudiciaire du contentieux né de la dernière élection communale. Ce type de schéma, de l’indépendance à nos jours, a construit un sentiment d’injustice dans la société de telle sorte que les victimes risquent de devenir les prochains persécuteurs et les persécuteurs les prochaines victimes.
Pour terminer, disons que l’état permanent de crise dans lequel se trouve la Guinée n’est pas le fruit du hasard. Il est le résultat d’une démarche voulue et pensée tout au long de notre cheminement historique. Malgré tout, cet état peut être radicalement modifié lorsque chacun se soumet aux principes de la démocratie y compris le plus puissant, lorsque les auteurs de détournement des ressources collectives sont punis et lorsque le sentiment de justice est répandu dans le pays à travers des pratiques d’impartialité et d’égalité de tous devant la loi. Dans le contexte de notre pays, c’est le président de la république en vertu des pouvoirs qu’il tient de la constitution qui montrer la voie à suivre dans ce sens.