Dans une contribution antérieure (La politique : une nécessité handicapante pour la Guinée), nous avons démontré que le multipartisme intégral instauré en Guinée au début des années 90 n’a produit et ne produira que le chaos. Il faut donc le supprimer sans tarder. À sa place, nous proposons, à défaut d’un système de type fédéral dont nous avons déjà élaboré les fondamentaux en profondeur dans une publication antérieure (De la démocratie en Guinée : un nouveau paradigme), un système bipartisan absolu. Qu’est-ce que nous entendons par cela et comment pouvons-nous le mettre en pratique en Guinée ? Tel est l’objet du présent article.
En science politique, le bipartisme désigne un système dans lequel la vie politique est polarisée entre deux grands partis qui s’opposent. Ces deux partis sont ainsi les seuls en mesure d’obtenir la majorité au Parlement et de gouverner en alternance. On distingue le bipartisme « absolu » où seuls deux partis peuvent être représentés au Parlement (cas des Etats-Unis), du bipartisme « élargi » où des partis minoritaires, autres que les deux principaux partis, peuvent siéger au Parlement sans pouvoir être à l’origine des lois ou occuper des mandats locaux (cas du Royaume-Uni).
L’intérêt d’un système bipartisan absolu en Guinée vient du constat qu’aucun parti politique, parmi la multitude qui existe actuellement dans le pays (on en compte au moins cent quatre-vingts à ce jour), ne porte le projet de former avec l’ensemble des Guinéens une communauté de destin qui leur soit individuellement supérieure. À bien les observer, on s’aperçoit vite que tous, sans exception, reposent sur un socle ethnique ou personnaliste. Leur composition ethnique et régionaliste, de même que la manière dont s’organise l’exercice du pouvoir de direction en leur sein, font la plus manifeste démonstration de l’absence d’ouverture, de démocratie et de vision pluraliste en leur sein, y compris et surtout à l’intérieur des plus grands ensembles parmi eux. La dimension patriotique qui peut faire la fierté d’un peuple est totalement absente au sein de ces entités politiques guinéennes. Ces arguments sont de plus confortés par le Rapport final du Conseil national de transition (CNT) sur les Assises nationales, rendu public le 11 mai dernier dans lequel il ressort que 77% des Guinéens se disent aujourd’hui favorables au bipartisme.
Cela étant dit, comment faire pour passer de ce multipartisme intégral fourre-tout à un bipartisme absolu intelligible? La réponse est très simple : il suffit, dans un premier temps, de recourir à la Loi, en l’occurrence la nouvelle Constitution en projet, pour fixer à deux le nombre des partis politiques ainsi que des comités législatifs autorisés à présenter des candidats aux élections et à envoyer des représentants à l’Assemblée nationale. Et pour s’assurer, dans un deuxième temps, que ce bipartisme absolu, bien que rendu obligatoire par la loi, ne viole pas les règles de base de la démocratie, on veillera à ce que les partis politiques restent « ouverts », c’est-à-dire que leurs élites dirigeantes soient redevables devant leurs bases et que l’adhésion aux partis soient un droit pour tous. On veillera également à la transparence et la crédibilité des organes chargés de l’organisation des élections de sorte que les résultats des scrutins soient acceptés par tous.
De plus, une telle limitation ne devrait empêcher ni préjuger l’articulation de minorités idéologiques ou autres avec l’un ou l’autre des deux partis légaux. De telle façon, tous les courants de pensée et toutes les opinions dissidentes désireux de participer à la construction politique de leur pays, s’organiseront de manière à se retrouver chacun en ce qui le concerne, dans l’un des deux seuls partis autorisés à se porter candidats aux élections à travers leurs représentants.
Car, il se trouve qu’en Guinée, ce qui inquiète certains, c’est d’imaginer qu’avec un système bipartisan absolu, les minorités ethniques du pays ne puissent jamais avoir l’opportunité de se rapprocher du pouvoir d’État, en y restant constamment tenues à l’écart. Or, il s’agit là d’une trompeuse inquiétude puisque le multipartisme intégral n’a jamais garanti et ne garantit pas non plus l’accès d’office de ces minorités ou de n’importe qui d’autre au pouvoir d’État dans un environnement politique mal structuré, non-transparent et antidémocratique. Un environnement où, de surcroit, le processus électoral est opaque et les résultats des élections régulièrement truqués.
Dès lors, le principal combat qu’il faut continuer à mener consiste à faire en sorte que le processus électoral soit transparent et crédible et que les deux seuls partis politiques légaux soient organisés de manière à permettre à chaque membre qui en a les capacités et aspire briguer un poste de direction puisse le faire sans obstacle. Nous nous pencherons sur cette importante question de la réforme des partis politiques dans une contribution ultérieure.