Après une relative embellie au tournant des années 90, l’Afrique est-elle en recul démocratique ? Les nouvelles venant de certains pays africains en matière de démocratie sont mauvaises et inquiétantes à la fois. En Guinée et en Côte d’Ivoire, deux pays qui doivent élire leurs chefs d’État respectifs en ce mois d’octobre, l’incertitude est de mise. Les deux présidents candidats après deux mandats successifs, ont fait voler en éclats les obstacles constitutionnels qui les empêchaient de briguer un troisième mandat, sur fond de vives contestations des défenseurs de la Constitution et du respect de la limite de mandats fixée à deux au maximum.
Sourds à toutes contestations, les deux présidents foncent la tête baissée malgré les risques d’une crise post-électorale majeure susceptible d’impacter gravement la cohésion sociale dans leurs pays respectifs. Qu’ils réussissent leurs forcings ou pas, les actes qu’ils posent ramènent à l’Afrique d’avant « les années 90 » où la présidence à vie était la règle générale. Une déception remarquable par rapport au climat politique qui prévalait dans le continent en ces temps-là, lors de la sortie des fameuses conférences nationales dans plusieurs anciennes colonies françaises et belges qui auguraient d’une période faste pour la démocratisation du continent.
Rappelons que les développements politiques enregistrés sur le continent africain à cette époque trouvaient leurs racines dans la chute du mur de Berlin en 1989 qui a sonné le glas du système communiste dans le monde sauf dans de rares pays comme la Corée du Nord, et l’émergence d’un nouvel ordre international favorable au monde libéral et capitaliste. Cet événement marque aussi certainement le déclin des idéologies obscurantistes à vouloir changer le monde.
Il y a aussi le Sommet France-Afrique de la Baule de 1990 au cours duquel le président Mitterrand annonçait la décision de subordonner l’aide publique française à l’accomplissement des réformes démocratiques dans le « pré carré » français, cette zone d’influence exclusive de la France qui souligne l’étroitesse des liens entre certains pays africains et l’ancienne métropole. Le président Mitterrand dit précisément dans son discours : « Il ne peut y avoir de démocratie sans développement et, inversement, de développement sans démocratie. »
Ces événements internationaux amplifiés par les aspirations libérales des populations africaines ont précipité la fin de certaines dictatures sur le continent et constitué le point de départ des conférences nationales qui ont permis de dresser, d’une part, le bilan de la gestion politique depuis les indépendances et de tracer, d’autre part, les voies d’un lendemain démocratique meilleur. Les régimes issus de ces conférences nationales ont connu diverses formes.
Pour sa part, sans conférence nationale, la Guinée est entrée dans l’ère libérale et démocratique avec un régime militaire. Le régime précédent, civil pourtant, qui a duré 26 ans était l’un des plus réfractaires à la démocratie politique. Lansana Conté a gratifié les guinéens de la démocratie mais les a privés pendant 24 ans de la possibilité d’une alternance à la tête de l’État. Une « démocratie baroque » devrait-on dire, en référence à un style architectural romain qui remonte au 16ème siècle et signifiant « irrégulier ».
Son successeur Alpha Condé fera-t-il différemment en matière de démocratie. Les faits prouvent en clair que non. Il est partisan à son tour de la présidence à vie comme ses deux prédécesseurs et utilise à cette fin tous les moyens d’État. Ce qui est le signe d’un recul démocratique dans un pays jusque-là dirigé d’une main de fer par des autocrates. Pauvre Guinée ! À quand la « révolution des esprits » ?