Le manque de toilettes publiques constitue un problème entier en Guinée. A Conakry par exemple, les toilettes publiques se comptent sur les doigts. C’est pourquoi il n’est pas rare de rencontrer des citoyens qui font, sans gêne aucune, leurs besoins derrière des murs, des arbres ou encore dans les buissons, le long des artères publiques.
La commune de Ratoma, l’une des plus grandes de Conakry ne dispose d’aucune toilette publique en dehors de celles qui existent dans certains marchés. La commune de Kaloum en compte, quant à elle, une dizaine de toilettes publiques. Mais malgré ce nombre, il y a un besoin accru à cause de la fréquentation de cette commune qui est le centre d’affaires par excellence et administratif pour avoir abrité les départements ministériels, la Présidence de la République, l’Assemblée Nationale, des Banques, des institutions nationales et internationales etc…
Des citoyens qui travaillent à Kaloum parlent de leur calvaire quotidien
En plein centre-ville de Kaloum, il n’est pas rare de voir dans les ménages des grandes personnes prendre leur bain dehors parfois devant les enfants. Par manque de toilettes, les matières fécales sont drainées par les eaux de ruissellement dans les fossés qui, à leur tour termine leur course en mer.
Certains départements ministériels ne disposent pas de toilettes qui répondent aux normes hygiéniques pour leur personnel et celles qui existent se trouvent dans un état d’insalubrité indescriptible. Dans certains départements, vous êtes parfois accueilli par des odeurs nauséabondes qui se dégagent des toilettes. Très souvent, celles qui sont propres, sont fermées à clé et réservées « aux grandes personnalités » c’est-à-dire les VIP.
A Kaloum, la célèbre Avenue de la République, le ‘’Wall Street’’ de Conakry, grouille de monde mais ne dispose d’aucune toilette. C’est du moins ce que nous témoigne un cambiste qui travaille depuis plus d’une décennie dans le secteur. Il nous raconte comment lui et ses voisins se débrouillent en cas de besoins : « d’Ignace Deen à la Présidence, il n’y a pas de toilettes publiques. Ici, quand nous sommes dans les besoins, nous nous rendons tout prêt, dans l’enceinte de la cour de Mamadou Sylla où on paye 500 fg pour se mettre à l’aise. Je précise que ce ne sont pas des toilettes publiques. C’est par ‘’humanisme’’ que les gardiens des lieux essaient de nous arranger moyennant quelques ce montant. Parfois, nous partons aussi à l’ancienne usine de Salguidia où il y a une toilette vraiment inappropriée parce très vétuste et qui manque de tout entretien. Mais faute de mieux, on s’accommode. »
Ce problème de toilettes publiques ne date pas d’aujourd’hui. Bien qu’étant un problème de santé publique, les autorités en font leur dernier souci. Les immeubles situés non loin du port et qui abritent certains départements ministériels tels que l’Elevage, l’Action Sociale, la direction nationale des impôts, en sont des exemples illustratifs. A côté de ces constructions de luxe abritant donc des bureaux, des gens font des petites activités génératrices de revenus dans les gargotes, kiosques des opérateurs de téléphonie mobile etc… Mais pour se soulager, il faut soit traverser des centaines de mètres ou soit aller derrière les murs ou encore traverser les bureaux des gens.
Mme BF dispose d’un service de prestation au rez-de-chaussée de l’un des grands immeubles de la cité « Santulo ». Pour ses besoins, elle est obligée de monter au premier étage. « Ici, il n’y a pas de toilettes publiques. Mais personnellement, je n’ai pas de problème puisque je me connais très bien avec ceux qui travaillent dans les différents immeubles. Je monte généralement au premier étage pour me mettre à l’aise. Mais partout où je vais, au sein de ces immeubles, les portes des toilettes me sont grandement ouvertes. Seulement, il y a des moments où je reçois des clients qui sont dans le besoin et pour lesquels je ne peux malheureusement rien », nous confie notre interlocuteur.
Souleymane est, lui aussi, gérant d’un café dans la même cour. Mais lui n’a pas les mêmes avantages que notre première interlocutrice. « Nous avons de sérieux problèmes dans cette zone. Comme vous voyez, il n’y a que des bureaux ici. Quand on a une urgence pour des besoins propres à tout être humain, nous partons jusqu’à côté du ministère des Mines pour pouvoir se mettre à l’aise. Imaginez si le besoin est urgent. Nous souffrons beaucoup ici », se lamente Souleymane.
Un peu plus loin, vers la Cité des Nations, située à quelques centaines de mètres de là, le même problème se pose. Les villas de cette cité sont construites en 1983 pour abriter le sommet de l’OUA qui était prévu à Conakry en 1984. Tout autour de cette cité, pullulent des activités de tous ordres. Mais il n’y a aucune toilette publique. Assurant la sécurité d’une des villas, un soldat nous explique ce qu’il vit au quotidien. « Chaque jour qui se lève, je reçois la visite des citoyens qui veulent juste se mettre à l’aise. En tant qu’humain, j’accepte les demandes malgré les préjudices que cela me cause. Parce que parfois mes patrons en les voyant faire des va-et-vient, me grondent. Aussi parmi ces visiteurs, il y en a qui salissent les lieux et je suis obligé de nettoyer après. Cela me gêne vraiment. Mais quand je me mets à leur place, je ne peux refuser de leur venir en aide. Vous savez quand les besoins sont urgents, il est difficile de les garder », nous rapporte cet agent de sécurité.
Qu’en est-il de la situation au marché de Madina, le plus grand du pays ?
Dans la commune de Matam, le besoin de toilettes publiques est encore crucial notamment à Madina, le plus grand marché du pays. Il est quotidiennement fréquenté par des dizaines de milliers de personnes. A la gare routière, il n’y a aucune toilette publique. Un calvaire pour ceux qui font de longs voyages et surtout quand l’escale est longue. « La chose qui me préoccupe davantage quand je suis en instance de voyage, c’est l’attente ici à Madina. Parce qu’il n’y a pas de toilettes. L’on est obligé de traverser toute la gare pour pouvoir se soulager. Les toilettes qui existent aussi sont très sales, rien qu’à y penser, tu es découragé d’y aller », déplore Oumou, une commerçante en partance pour Bamako.
Les commerçants qui ont construit des immeubles dans ledit marché, tentent de leur côté de satisfaire tant bien que mal leurs locataires. Ils ont généralement construit à côté ou au Rez-de-chaussée de leurs immeubles, des toilettes qui sont cependant loin de répondre aux normes sanitaires requises. En plus des locataires, ces lieux sont accessibles à toute personne qui a les moyens de débourser 1 000 fg pour se soulager. Un prix que Mamadou trouve cher. « Je ne suis pas prêt pour le moment de débourser 1000 francs pour juste uriner. Avec ce montant, je pourrais m’acheter un beignet et un sachet d’eau pour alléger ma faim. Le jour que j’aurais plus de moyen, j’arrêterais d’uriner à l’air libre », lance-t-il.
Parlant toujours du grand marché de Madina, Guinéenews a assisté récemment à une scène quelque peu surréaliste dans un centre commercial communément appelé « bateau ». Pour se soulager, une femme a éteint la lumière de sa boutique et a fait ses besoins dans un sac en plastique. D’après la voisine directe de cette dernière, elles sont très nombreuses, celles qui s’adonnent à des pratiques similaires. « Elles le font pour éviter d’aller ramasser des maladies dans les toilettes publiques existantes. Vous savez, le marché est notre deuxième domicile, je dirais même le premier. Parce que nous y passons beaucoup plus de temps. Mais quand vous vous rendez dans les toilettes publiques d’à-côté, c’est pour ramasser des maladies, surtout nous les femmes. Chacun se méfie donc à sa manière. Moi personnellement, j’ai une bouteille d’eau de javel que j’utilise dans ces toilettes » confesse-t-elle.
Quel rôle jouent le gouvernorat de Conakry, les mairies pour inverser la donne ?
Le gouvernorat de la ville de Conakry est-il habilité à construire des toilettes publiques ? Pour avoir la réponse à cette question, Guinéenews s’est rendu au gouvernorat de la ville de Conakry. La réponse est, on ne peut, claire : « nous n’avons aucune prérogative pour construire des toilettes. Cette tâche revient maintenant aux mairies », nous a confiés notre interlocuteur du gouvernorat de Conakry.
Une tâche qui préoccupe justement la mairie de Kaloum à en croire les propos du secrétaire général de ladite commune, Djély Mory Kourouma. « En ce qui concerne la construction de nouvelles toilettes publiques, le véritable problème se situe au niveau de l’espace. Kaloum manque d’espaces vides. En 2016, une mission de l’Union Africaine avait demandé aux collectivités de trouver des terrains pour la construction de toilettes publiques. Le même problème avait été posé par l’Union Européenne qui avait aussi demandé de mettre à leur disposition des terrains pour la construction des toilettes publiques et la réponse a été la même. Kaloum n’a pas d’espaces libres. C’est alors qu’on leur a demandé de réhabiliter celles qui existent. Difficilement, ils ont accepté cette réhabilitation. Parce que dans leurs programmes, c’était la construction et non la réhabilitation », a fait savoir Djély Kourouma.
« Donc entre 2016 et 2017, nous avons bénéficié d’un accompagnement de l’Union Européenne pour rétablir les toilettes publiques qui étaient dans un état de délabrement très poussé. Le principal problème qui se posait était le problème d’eau dans les toilettes. Mais ce problème a été résolu et les lieux ont été carrément rénovés pour ce qui est de la peinture, le carrelage. Bref, tout ce qui est lié à l’aménagement. En ce moment, nous avons 9 toilettes qui sont exploitées non seulement par ceux qui viennent travailler à Kaloum mais aussi les citoyens environnants », a expliqué le Secrétaire général de la commune de de Kaloum.
Aujourd’hui les immeubles poussent partout à Kaloum, mais la grande majorité ne prévoit pas de toilettes publiques. Interpellé sur la question, Djély Mory Kourouma précise : « en principe, le code des collectivités locales nous donne assez de prérogatives mais dans les faits et les pratiques actuelles, les communes ne sont pas consultées par rapport à ces constructions. C’est le ministère de la Ville qui délivre à travers leur direction régionale ou la DATU des permis de construction des immeubles. Nous actuellement, nous ne contrôlons pas cela sinon il est prévu à ce que les consultations commencent à la base avant la construction de n’importe quel bâtiment. Mais nous ne sommes jamais consultés, c’est le ministère de la Ville qui délivre des permis, qui travaille avec les ingénieurs. Bref, ils font tout à la place des collectivités. Raison pour laquelle nous ne maitrisons pas pour le moment tout ce qui est lié à la construction. »
En plus de l’insuffisance des toilettes, leur hygiène constitue une préoccupation majeure
Faut-il signaler, en dehors de l’insuffisance des toilettes publiques, le peu qui existe se trouve en grande partie dans une insalubrité indescriptible. Difficile de passer devant les toilettes publiques des marchés et de certains endroits publics sans se pincer les narines. L’odeur nauséabonde qui s’y dégage, rend les lieux désagréables.
Les toilettes du TPI de Kaloum et du palais du peuple sont les plus insalubres et les plus dégueulasses de la commune
Le tribunal de première instance de Kaloum bat le record du point de vue insalubrité et puanteur. L’état dégueulasse dans lequel se trouvent les deux toilettes situées derrière le bâtiment, donne à tout usager des lieux l’envie de vomir. A les voir, l’on se demande comment de tous ces citoyens peuvent se mettre à l’aise dans un endroit aussi répugnant. Les toilettes du palais du peuple qui abrite le parlement guinéen, se trouvent à peu près dans la même situation. Les députés utilisent des toilettes qui, pour la plupart du temps, manquent d’eau.
Pour ce qui est des CHU qui accueillent des centaines de patients par jour, l’hygiène est loin d’être une priorité. Au CHU de Donka par exemple, les toilettes sont tout sauf hygiénique à cause du manque d’entretien. Les patients et gardes malades qui y séjournent, ramassent certainement des microbes et de bactéries si l’on s’en tient à l’aspect extérieur que présentent les lieux.
C’est face justement à tous ces problèmes qui constituent de gros risques pour la santé, que les Nations Unies ont dédié la date du 19 novembre, la journée internationale des toilettes. Selon un rapport commun de l’OMS et de l’Unicef, publié en 2017, environ 60 % de la population, soit 4,5 milliards de personnes n’ont pas de toilettes à la maison ou dispose de toilettes qui ne permettent pas une gestion hygiénique des excréments. Selon toujours le même rapport, 892 millions de personnes dans le monde pratiquent la défécation en plein air et sont privées de sanitaires.
NB: la Rédaction de Guinéenews s’excuse auprès de ses lecteurs pour des possibles désagréments que ces images absolument dégueulasses pourraient leur causer.