À Kankan, on peut retrouver au minimum un seau rempli d’ordures par jour dans chaque foyer à travers la ville. Mais se débarrasser de ces ordures constitue un réel problème de société. Car dans cette grande agglomération du pays, les ménages ne bénéficient de la part des autorités communales, d’aucun appui dans la collecte et la gestion d’ordures domestiques, a-t-on constaté sur place.
Et pire encore, faute de dépotoir public, ils n’ont nulle part où déverser le contenu de leurs poubelles, en toute légalité.
Du coup, certaines familles peuvent accumuler des dizaines de tas d’immondices qui finissent par les envahir. Et pour s’en débarrasser, tous les moyens deviennent alors bons pour elles.
Bon nombre attendent, une fois la tombée de la nuit, pour aller déverser leurs ordures aux abords des trottoirs en rase campagne où du fleuve Milo, ou même sur des espaces verts. C’est l’exemple au quartier Banankoroda, où le terrain de football des jeunes s’est quasiment transformé en un mini dépotoir d’ordures.
« Chaque matin quand on arrive ici pour jouer, on vient trouver que les gens ont déversé leur ordures un peu partout. Au début, on nettoyait pour pouvoir jouer. Mais à chaque fois, le lendemain, quand on revient, on vient trouver le double ou le triple des quantités d’ordures qu’on a nettoyées la veille. Donc on a attiré l’attention des autorités communales sur ce fait. Et jusqu’ici, nous n’avons vu aucune disposition prise de leur part, pour empêcher la situation », s’alarme, Issa Chérif, un responsable de jeunesse au sein dudit quartier.
Face à cette problématique dans la gestion des ordures domestiques à Kankan, les femmes qui s’occupent du ménage dans la presque totalité des familles, sont les plus à plaindre. Rencontrée dans son foyer sis au quartier Timbo, dame Kadiatou Kaba, nous affirme :
« Nous on stocke les ordures dans un coin de notre cour, parfois durant des mois. Ce n’est pas du tout facile. Les odeurs, les microbes, les moustiques nous fatiguent tellement. De plus, on est très bien conscients des risques. On sait qu’on s’expose aux maladies. Mais que peut-on y faire ? Pas grand-chose franchement. Donc il arrive un moment où quand on n’en peut plus, alors on décide de se débarrasser de nos ordures à tout prix. On demande alors aux jeunes enfants, à l’aide de brouette, de s’en charger. Peu à peu, ils les transportent et vont les déverser la nuit, vers les zones un peu reculées de chez nous », confie-t-elle.
Devant la problématique et l’inaction de la municipalité, certaines PME par le passé avaient initié la collecte d’ordures au sein des ménages. Mais l’initiative n’a été que de courte durée. Kabinè Kaba ex détenteur d’une d’entre elles, nous décline les raisons : « D’abord nous avons compris le besoin des gens. On a compris que les gens avaient besoin qu’on vienne les débarrasser de leurs ordures. On envoyait des mini-camions Benne sillonner les 27 quartiers de la ville. Quand on s’est lancé, on a été confronté à d’énormes difficultés. D’abord, il y avait le manque de lieu indiqué par les autorités de la mairie, pour aller décharger nos collectes d’ordures. C’était le problème fondamental. Mais aussi à côté de cela, on avait aussi du mal à avoir un personnel fixe. Les jeunes qu’on engageait finissaient tous par désister à la fin. Car pour eux, travailler en qualité de ramasseur d’ordures est un statut péjoratif. Et enfin, il y avait aussi quelques problèmes de logistiques qui se posaient de temps en temps. Ce sont tous ces problèmes qui nous ont amenés à stopper cette initiative», nous a-t-il indiqué.
Aussi, une meute de jeunes garçons non scolarisés, munis de leurs charrettes et d’ânes, font du porte à porte dans certains quartiers aux alentours du centre ville, pour collecter les ordures. Évidemment que le service n’est pas gratuit. Les prix varient en fonction de la quantité d’ordures. Moussa Camara, 13 ans nous explique :
« Nous sommes au nombre de 4, mes frères et moi. Chaque jour, on vient ramasser les ordures chez les gens pour aller les jeter. Par rapport aux quantités, on négocie les prix le plus souvent entre 20 et 40 000 gnf. On n’a pas de lieu fixe pour le déversement. Souvent on va le faire non loin du fleuve, ou alors en bordure des routes pas trop fréquenté. Souvent des gens nous interdisent de le faire, alors on est obligé de se chercher d’autres endroits. Quand on a trouve nulle part où pouvoir décharger, on attend la nuit, pour acheter du carburant et on met le feu aux ordures pour les incinérés. C’est ce que nous faisons, pour avoir un peu d’argent et aider nos parents.», nous dit-il.
Si certains habitants choisissent les abords de trottoirs en rase campagne, d’autres préfèrent attendre que la pluie tombe pour aller vider leurs poubelles dans les fossés en espérant que les eaux de ruissellement amènent leurs détritus, le plus loin que possible. C’est le cas de Fanta Touré, ménagère au quartier Banakoroda.
« Avant je payais de l’argent aux jeunes ramasseurs d’ordures. Souvent 20.000 gnf, ou 30.000gnf. Mais avec le temps, j’ai vu que compte tenu des difficultés financières, je ne pouvais pas continuer avec cela. Donc comme dans le quartier, pratiquement, c’est tout le monde qui profite de la pluie pour se débarrasser des ordures dans les caniveaux, alors je fais comme ça moi aussi. C’est vrai que cela n’est pas commode, mais on n’a pas d’autres choix.
Si je dois débourser autant d’argent pour les ordures, j’en aurai pas suffisamment pour faire la popote », nous a-t-elle signifié.
Avant de lancer un appel à l’endroit de la mairie. : « Il faut que la mairie nous aide aussi à trouver des solutions. Ils ont des camions bennes, qu’ils envoient dans les marchés pour des travaux d’assainissement. Qu’ils les mettent aussi à la disposition des quartiers pour que nous puissions y décharger nos poubelles. Comme ça, après ce sont eux qui savent comment gérer ces ordures. Sinon, nous même, nous savons que jeter les ordures dans les caniveaux ou sur les trottoirs n’est pas du tout bien. Mais il faut que la mairie aussi joue son rôle », exhorte-t-elle.
A noter que, sollicitées pour évoquer cette problématique liée à la gestion des ordures domestiques à Kankan, les autorités communales, notamment le maire Mory Kolofon Diakité et le chef de la section assainissement de la ville, n’ont pas daigné nous recevoir.