Aujourd’hui, de nombreuses femmes souffrent de la fistule obstétricale. En Guinée, il existe désormais plusieurs structures sanitaires qui prennent en charge les fistuleuses avec l’appui de l’USAID, de l’administration et de certaines ONGs. Dans le but de cerner les causes de cette maladie, Guineenews a rencontré le Docteur Thierno Hamidou Barry qui nous parle de cette maladie honteuse qui est la fistule obstétricale. Il est médecin chef de la maternité de l’hôpital préfectoral de Kissidougou, en même temps chirurgien de fistule obstétricale pour la région forestière.
Guineenews: Bonjour Docteur Barry! Parlez-nous de la fistule obstétricale?
Dr. Thierno Hamidou Barry: la fistule obstétricale par définition est une communication anormale entre la vessie et le vagin parfois ça intéresse aussi le rectum.
Guineenews: Pourquoi appelle-t-on cette maladie, la maladie de honte?
Dr Thierno Hamidou Barry : on l’appelle la maladie de honte, c’est parce que la femme malade partout elle est, il ya une odeur qui se dégage. Donc quand il y a l’odeur, les gens haïssent la femme. C’est pourquoi ces femmes là sont stigmatisées et rejetées par leurs propres parents y compris leurs maris. C’est ce qui fait que certaines femmes quand elles arrivent à avoir cette maladie, elles se déplacent d’un village à un autre pour s’abriter afin d’éviter la honte.
Guineenews: Qu’est ce qui peut causer la fistule?
Dr. Thierno Hamidou Barry : la fistule peut être causer par plusieurs facteurs. Mais les fistules les plus fréquentes en Afrique subsaharienne, ce sont celles d’origine obstétricale c’est à dire liée à l’accouchement. Donc, lorsque la femme entre en « travail » et que le « travail » se prolonge des heures voir des jours, il y a c’est qu’on appelle la compression. Quand la tête de l’enfant descend jusqu’au niveau du pelvis, en ce temps les urines s’accumulent au niveau de la vessie et les selles au niveau du rectum, donc la tête du fœtus comprime la vessie en avant et en arrière, le rectum. Donc ces tissus ne sont pas suffisamment vasculariser. Du fait qu’ils ne sont pas suffisamment vasculariser, ils constituent c’est qu’on appelle une ischémie. Et l’ischémie passe au stade de la nécrose. Et finalement quand l’enfant meurt, il diminue de volume et la femme accouche. Mais par après, ce tissu mortifié-à, laisse un trou. Donc à partir de ce trou là, au lieu que les urines passent par la voie naturelle, ça passent par ce trou là. C’est-à-dire avant les urines quittent la vessie pour le vagin et en arrière les selles quittent le rectum pour le vagin. C’est ce qu’on appelle fistule vaginale ou fistule recto-vaginale.
Guineenews: Vous êtes le chargé du Centre de traitement des femmes fistuleuses à Kissidougou. Pouvez-vous nous dire les difficultés que vous rencontrez très souvent?
Dr. Thierno Hamidou Barry : les difficultés que nous rencontrons sont les suivantes. , Premièrement, pour pouvoir regrouper les femmes ça pose des problèmes et ça demande des moyens. Ça demande non seulement de l’argent mais aussi la logistique et le personnel. Parce qu’il faut passer des communiqués au niveau des radios rurales. Ensuite ces femmes-là, ce sont des femmes rejetées et elles sont extrêmement pauvres. Elles n’ont rien. Il faut motiver les gens afin de les dénicher dans les villages les plus lointains, les regrouper et si elles sont regroupées, elles n’ont pas d’argent. Elles ne peuvent pas payer le transport.
Donc il faut un tiers pour payer leurs transports de leurs villages jusqu’au niveau du centre de traitement. Et lorsqu’elles sont traitées aussi, le traitement médical seulement ne suffit pas. Il faut ajouter au traitement médical un traitement psychologique. C’est ce qu’on appelle la réinsertion sociale et apprendre aux femmes comment avoir une source de financement. Soit faire le petit commerce ou apprendre un petit métier. Comme ça, elle peuvent s’insérer progressivement dans la société. Généralement, ces femmes deviendront des communicatrices dans leurs villages respectifs.
Guineenews: Comment fonctionne votre Centre de traitement et quels sont les genres des fistules traitées ?
Dr Thierno Hamidou Barry : ce Centre a été financé par l’USAID. C’est un centre de référence en Afrique de l’Ouest pas pour la Guinée seulement. Même les pays voisins à savoir la Côte D’Ivoire, le Libéria, la Sierra Leone et le Mali. Pourquoi tous ces pays là parce qu’il y a plusieurs facteurs qui peuvent entraîner les fistules. En Afrique subsaharienne, ce qui est plus fréquent, ce sont les fistules obstétricales c’est à dire les fistules liées à un accouchement prolongé mais dans les pays en guerre, nous avons ce qu’on appelle les fistules traumatiques. Soit les fistules traumatiques post-viol ou les fistules traumatiques qui sont liées aux violences des agresseurs notamment au Congo. Les agresseurs après le viol, ils enfonçaient des bois ou leurs armes dans les voies génitales féminines et par conséquent ça peut provoquer des dégâts qui vont entraîner des fistules. Il ya aussi les fistules pathologiques qui sont généralement secondaires par exemple à un cancer de la vessie ou du rectum.
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Guineenews: quel est le montant à débourser pour être soigné?
Dr Thierno Hamidou Barry : les femmes souffrantes des fistules étaient pratiquement traitées de façon gratuite ici mais pour ce qui concerne les médicaments, la nourriture, le transport, c’est l’USAID qui s’en charge. Vous savez que la santé n’est pas gratuite. Lorsque une patiente est prise en charge, il faut toujours un tiers payant. Donc c’est l’USAID qui payait tout ça. Donc, nous on ne connaît même pas le prix d’un kit. Donc l’USAID envoyait les kits, les matériels, l’argent et la nutrition. Nous, nous les opérons ici gratuitement.
Guineenews: Y’a-t-il d’autres ONGs qui vous viennent en appui?
Dr Thierno Hamidou Barry : Vous savez l’USAID est une institution américaine qui finançait la prise en charge des fistules en Afrique et en Asie. Donc, l’USAID avait aussi recruté une ONG Agenda health qui était l’agence technique d’exécution du projet de prise en charge des fistules. Mais à côté de l’USAID, il y avait le FNUAP, une institution des Nations-Unies qui venaient en appui notamment à Kankan et à N’Zérékoré pour la prise en charge aussi des fistules. Parlant de l’USAID, de 2006 à 2020, nous avons opéré plus des deux mille femmes souffrantes des fistules obstétricales. Comme l’USAID a trouvé que les résultats étaient élogieux, ils ont procédé à l’extension du projet notamment à l’hôpital Jean Paul 2, à Labé, à Kindia et à Boké, (…) un site a été même ouvert à Faranah parce que nous avons même fait deux sessions d’opérations à Faranah. Mais entre temps, il y avait eu un changement d’administration aux États-Unis. Le président Donald Trump était venu au pouvoir et finalement beaucoup des finances ont été annulés vers l’Afrique et l’Asie.
Guineenews: À part les ONGs, quels sont les départements ou les acteurs qui vous viennent en appui?
Dr Thierno Hamidou Barry : quand on a commencé à opérer les femmes souffrantes des fistules en 2006, beaucoup des départements intervenaient. Il y avait le département de la Santé, de la Décentralisation, des Affaires sociales, de la mairie de Kissidougou, la direction préfectorale de la santé de Kissidougou qui intervenaient tous dans la prise en charge des fistules. Parce la prise en charge est complexe, il ya la prise en charge curative, la réinsertion sociale et la prévention. Donc c’étaient des actions multidisciplinaires.
Guineenews: Aujourd’hui, quel est le taux de guérison ?
Dr Thierno Hamidou Barry : parlant du taux de guérison, nous sommes aux environs de 75%. Ensuite, au niveau de la préfecture de Kissidougou, il y a une diminution des fistules mais au niveau des autres préfectures, la situation est stationnaire. Vous savez que la fistule génitale féminine surtout la fistule obstétricale est liée au développement d’un pays. Quand la santé est très développée, la prévention est vraiment développée. Le nombre des fistules diminue voire disparaît complètement.
Guineenews: Quelles sont les solutions pour éradiquer complètement les fistules en Guinée?
Dr Thierno Hamidou Barry : Il faut développer la médecine. Il faut aller de la base au sommet pour finir avec les fistules obstétricales. C’est-à-dire offrir des soins de qualité en matière de maternité et pour cela, il faut une accessibilité dans les villages les plus reculés. Il faut aussi décentraliser les centres de santé, les postes de santé jusqu’au village le plus reculé. Par exemple si dans tous les districts, il y a un agent de santé et que cet agent de santé arrive à identifier les femmes qui tombent en grossesse et que ces femmes sont très bien suivies dans la structure de santé la plus proche, qu’on arrive à détecter les grossesses à risque, on les envoie là où on peut les traiter à temps, on va diminuer largement les fistules.
Mais si tant qu’on arrive pas à réaliser cette activité ça sera très difficile. Lorsque des gros villages sont inaccessibles, lorsqu’il ya des fleuves là où il n’y a pas des ponts, des districts où il n’y a pas des routes, l’hôpital est en manque des logistiques pour aller dans ces villages là afin de récupérer les femmes qui sont dans les difficultés d’accouchement pour les envoyer là on peut faire la césarienne, il va s’en dire qu’il y aura toujours des fistules.
Guineenews: quel est votre mot de la fin ?
Dr Thierno Hamidou Barry : Je demande aux femmes en âge de procréer lorsqu’elles tombent en sainte, c’est d’utiliser la structure sanitaire la plus proche de leurs villages et tout ce que l’agent de santé leur dira dans le sens d’éviter la fistule. Il s’agit de dire à la femme de suivre correctement la consultation prénatale. Et les femmes doivent accoucher aux structures sanitaires. Si elles respectent cela, non seulement la mortalité maternelle va diminuer, mais aussi la mortalité néonatale va diminuer. On va vraiment faire disparaître les fistules.