Dernières Nouvelles de la Guinée par les Guinéens
Pub Elysian
CIAO

Feuille de route ou fuite en avant? La constitution déjà écrite?

Dans une sortie très médiatisée, le samedi 25 décembre 2021, jour de Noël, le premier ministre de la Transition a publié ce qui est présenté comme étant une feuille de route qui aurait été “validée” par le président de la junte militaire, le colonel Mamadi Doumbouya.

Cette annonce fait suite à la forte pression de la “communauté internationale” qui est essentiellement l’Occident – les Etats-Unis, l’Union Européenne et la France notamment – de revenir à l’ordre constitutionnel c’est à dire d’organiser des élections – si imparfaites soient elles – et de rendre le pouvoir aux civils.

Ceci rentre dans la logique des nations qui sont absolument contre les coup d’états militaires par principe. Même si elles sont molles dans la dénonciation des “coups d’État civils” que sont les « troisièmes mandats », le « syndicat des chefs d’états » (Union Africaine et Cedeao) est viscéralement hostile aux coups d’états militaires. Cette attitude logique est une auto préservation pour les chefs d’états de la Cedeao qui savent que la même chose peut leur arriver à tout moment. Et les déclarations du président de la Transition – qui a toujours affirmé que ce sera le futur Conseil National de la Transition (CNT) qui devra décider de la durée de la Transition – vont dans le même signal que le coup d’état du 5 septembre n’est une « interruption temporaire » du processus démocratique en Guinée.

Or il se trouve que c’est la durée de cette transition qui intéresse non seulement les Guinéens mais aussi les partenaires et les investisseurs potentiels qui veulent être rassurés de la stabilité du pays. Et on ne peut pas parler de durée de la Transition sans la mise en place du CNT qui font penser à certains que les futurs Conseillers feront tout pour faire durer leur mandats le plus longtemps que possible afin de maintenir les avantages matériels qui s’y attachent. Le fait que les membres du CNT ne sont pas élus mais plutôt « validés » par la junte – après avoir été désignés par des organismes non représentatifs de la société – fait douter de leur indépendance voire même leur capacité à s’opposer au pouvoir militaire.

La mise en place du CNT semble piétiner

Cette assurance de mettre en place le CNT “dans les plus brefs délais” avait été donnée par le premier ministre lui-même lors de sa rencontre avec les chefs d’États de la Communauté des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) au sommet d’Abuja au Nigéria le 12 décembre 2021. Mohamed Béavogui avait annoncé que le CNT – qui fera office d’assemblée constitutionnelle – sera mis en place “avant la fin de l’année 2021”

Dans le communiqué final, les dirigeants des Etats membres de la Cédéao affirmaient être « très préoccupés par le fait que plus de trois mois après le coup d’Etat, un chronogramme pour le retour à l’ordre constitutionnel n’a toujours pas été publié. La Conférence insiste sur la nécessité de respecter le délai de six (6) mois précédemment décidé pour la tenue des élections et urge les autorités de la transition de soumettre rapidement le chronogramme pour les élections devant se tenir dans le délai arrêté. La Conférence décide du maintien des sanctions initialement imposées. La Conférence réaffirme sa volonté d’accompagner les autorités guinéennes en vue d’une transition réussie » et maintiennent les sanctions contre les dirigeants de la junte. Pour toute fin pratique le colonel Doumbouya est le seul membre connu du CNRD.

Le premier ministre du CNRD sera vite désavoué à son retour par la junte qui publie un communiqué indiquant que la date du 31 décembre 2021 est « intenable » et accuse les acteurs socio-politiques politiques d’être responsables du retard.

La future Constitution est-elle déjà écrite?

Mais ce qui est le plus révélateur dans cette feuille de route – sans date d’application des jalons de la Transition –  c’est la dernière étape de la transition présentée comme étant “l’élection présidentielle (Premier tour) et l’élection présidentielle (Deuxième tour, si nécessaire)” ce qui aux dires des critiques indique que la junte a déjà dans les cartons une Constitution toute prête qui ne sera que entérinée par une CNT dont les membres seront des “bénis oui-oui’” puisque confirmés par la junte militaire dont la composition n’est toujours pas connue à l’exception du président Doumbouya.

“Pourquoi parle-t-on de premier et deuxième tour présidentiel alors que nous ne savons toujours pas quelle forme de gouvernement le CNT va choisir? Il n’y a pas que le régime présidentiel qui est adapté aux réalités guinéenne” fulmine cet analyste politique qui suit la transition “comme le lait sur le feu”

« Le régime présidentiel “fort” a été une catastrophe pour la Guinée. De Sékou Touré à Doumbouya, le président guinéen a toujours gouverné sans contre pouvoir. Le président guinéen est tout puissant, il (ou une future elle) a toujours gouverné à sa guise. Il nomme qui il veut, il enlève qui il veut, il arrête qui il veut, il libère qui il veut. Le président guinéen a le contrôle total des finances publiques, peut rendre quelqu’un riche et un autre pauvre. Personne n’ose le contester et une “mafia” prédatrice s’assure que ce système continue même si les acteurs sont interchangeables. Il n’y a aucun mécanisme – à part la mort (Sékou Touré, Lansana Conté), le coup d’état (Alpha Condé), la tentative d’assassinat (Dadis Camara) ou la pression internationale (Konaté) pour se débarrasser d’un pouvoir dictatorial en Guinée » conclut cet analyste.

D’autres modèles de gouvernements sont-ils nécessaires pour la Guinée?

  • Le régime présidentiel est de rigueur dans plusieurs pays du monde, quoique il existe souvent des contre pouvoirs qui jouent leur rôle comme la chambre bicamérale des Etats-Unis (Sénat et Congrès) avec un arbitrage de la Cour Suprême pour l’interprétation des Lois. C’est un régime représentatif dans lequel le pouvoir exécutif (président élu) n’a pas de responsabilité politique direct devant le pouvoir législatif (députés) puisque sa légitimité vient du peuple via un vote. De l’autre coté, le président qui est le chef de l’État, généralement élu au suffrage universel direct ou indirect, dispose de moins de pouvoir sur le Parlement que dans un régime parlementaire. D’ou les « cohabitations » quand les 2 branches sont issues de camp différents comme cela arrive souvent en France et aux Etats-Unis.
  • En plus dans certains pays, les présidents sont élus sur un “ticket” président et vice-président. La Guinée peut s’y inspirer en obligeant les candidats de choisir un colistier élu qui jouera le rôle de vice président et qui ne peut être renvoyé par le président parce que lui-même élu. Cela poussera à la dé-régionalisation des candidatures, un candidat originaire de la Haute Guinée par exemple sera bien inspiré de courtiser les autres régions en choisissant un vice-président d’une autre région. Les Etats-Unis, Philippines, le Nigéria et le Libéria sont des exemples de tickets présidentiels qui obligent chaque candidat à ratisser large au lieu de se rabattre sur sa “communauté”.
  • Il n’y a aucune raison qui empêche les membres du CNT de proposer un régime parlementaire dans lequel il n’y a pas de président tout puissant, mais un premier ministre chef de l’exécutif issu du parti le plus apte à gouverner selon les alliances et les résultats des élections au parlement comme c’est le cas au Royaume Uni, Canada, Australie, Allemagne, Pays Bas, Europe du Nord ou au Japon pour ne citer que ceux là. Dans ces pays, il n’y a pas d’élections présidentielles, mais des élections parlementaires de députés et le parti qui a le plus de députés et qui peut former une majorité forme le gouvernement et dirige les affaires courantes jusqu’à ce qu’il perde “la confiance du parlement” avant de “tomber” et laisser la chance à d’autres ou de nouvelles élections.
  • Les membres du CNT peuvent aussi proposer un fédéralisme décentralisé pour diminuer le pouvoir absolu de l’administration centrale sur les juridictions de l’intérieur dont les besoins sont mieux servis avec des autorités locales élues aux compétences bien définies dans la future constitution comme c’est le cas de la plupart des pays du monde qui sont des fédérations comme les Etats-Unis (50 états), le Canada (10 provinces), l’Allemagne (16 ‘landers”), Afrique du Sud (9 provinces), Australie (6 états), Mexique (32 états)…. Rien n’empêche la Guinée d’avoir des Assemblées provinciales qui seront chargées de gérer les affaires locales et laisser les affaires nationales (défense, affaires étrangères, planification économique, infrastructure, monnaie etc…) au gouvernement fédéral.
  • Le modèle foutanien. Après tout citent ces adeptes du fédéralisme, l’ancien royaume théocratique du Foutah Djallon était une fédération qui a fonctionné tant bien que mal pendant deux siècles avec une Constitution et des pratiques de gouvernance implémentées et suivies. Les neuf provinces (diwés) du Foutah étant : Timbo, Timbi-Touni, Kébaâli, Koïn, Kollâdhè, Bhouria, Fougoumba, Labé, Fodé Hadji. L’Almamy étant nommé par une assemblée composée des représentants de ces Diwés était obligée de tenir en compte de leurs intérêts. En cas de danger national, l’armée était levée par un apport de chaque province pour protéger la patrie ou attaquer les ennemis, Pour éviter l’implémentation de la dictature, une rotation alternante fut imposée aux Almamys de Timbo entre les 2 partis qui ne devaient pas faire plus d’un mandat consécutif.
  • L’exemple de la Suisse cantonale ou le poste de président est plus que honorifique est le plus cité en termes de gouvernance d’une nation multiethnique. L’« autonomie gouvernementale » et la « gouvernance partagée » représentent les deux principales notions généralement utilisées pour définir le modèle fédéral suisse. La Suisse est un État fédéral comportant trois niveaux politiques : la Confédération, les cantons et les communes. Il y a 26 États fédérés (cantons) qui cèdent une partie de leur souveraineté à l’État fédéral. La politique interne respecte la séparation des pouvoirs définie dans la Constitution et répond à la nécessité de recherche permanente de consensus liée aux diversités régionales et linguistiques, par une représentation équilibrée au sein des institutions. L’une des particularités de la Suisse, est le droit d’initiative et de référendum qui est la norme. Les citoyens sont appelés à voter régulièrement pour accepter ou refuser des propositions de lois.

Et si la Guinée changeait de système en abolissant le “président tout puissant”?

Bref comme on peut le constater la “feuille de route” qui n’est pas une, laisse présager que le CNRD compte tout simplement recommencer le processus qui a suivi la crise de 1984 et 2008 et qui a vu le CMRN et le CNDD prendre le pouvoir organiser une transition pour l’élection d’un président fort et tout puissant qui décidera de tout, aura des pouvoirs quasi illimités y compris tripatouiller la Constitution et la probable limitation de mandats avec le support des zélés – toujours les mêmes sans convictions et changeant de veste au gré des vents – qui ont accompagné toutes les dérives dictatoriales en Guinée depuis 1958.

Si tel est le cas, ce sera un autre recommencement car de l’avis de tous tant que les pouvoirs exorbitants d’un président tout puissant ne sont pas réduits en Guinée, l’état se limitera au président: “le chef suprême a décidé… grâce à son excellence le président ….” formules maitrisées par les medias d’état.

Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. Il est temps pour la Guinée de réduire le pouvoir absolu des présidents en Guinée pour l’intérêt du président lui-même pour ne le voir s’écrouler dès que son pouvoir personnel est mis hors jeu par la mort ou par un coup d’État.

La Guinée comme l’Afrique a besoin d’institutions fortes et non des hommes forts, disait Obama parlant du continent de son père. Rien n’est plus vrai car la preuve est que les institutions américaines ont tenu bien contre les assauts de Donald Trump qui voulait être un dictateur … à l’africaine.

Le colonel Doumbouya qui a promis de ne pas repéter les erreurs de ses ainés risque malgré sa bonne volonté de tomber dans le piège du président tout puissant qui n’a pas fait ses preuves en Guinée à date. Il n’est pas trop tard pour se ressaisir et préparer la « sortie par la grande porte » tant souhaitée pour ses multiples admirateurs et tant redoutée par ses adversaires tapis dans l’ombre qui souhaitent l’échec de la transition démocratique pour continuer la prédation des biens publics dont ils sont champions.

Analyse de Boubacar Caba Bah

vous pourriez aussi aimer
commentaires
Loading...