En Guinée, révèle le dernier recensement général, les femmes représentent plus de 52% de la population. En dépit de cette prépondérance numérique, celles-ci restent toujours sous-représentées au sein de l’appareil administratif surtout au niveau des postes de décision. Dans le microcosme politique et administratif guinéen, on y assiste à un règne hégémonique des hommes bien que minoritaires.
Cette suprématie masculine est légion dans tous les secteurs de la vie politique et socioéconomique du pays. A l’Assemblée Nationale, par exemple, sur les 113 députés qui y siègent officiellement, on ne compte que 26 femmes. Au gouvernement, on dénombre seulement 7 femmes sur plus de trente départements ministériels. A la CENI, elles sont 6 femmes contre 17 hommes.
Cette inégalité devient encore plus saisissante lorsque vous avez affaire à l’administration déconcentrée. En effet, sur les 33 préfectures, deux seulement sont dirigées par des femmes et un seul gouvernorat est placé sous le contrôle d’une femme sur les 9 que compte le pays.
Aujourd’hui, il existe une floraison d’explications à cette situation. Et pour donc mieux appréhender le phénomène dans notre pays, nous avons demandé l’avis du sociologue et chercheur, Dr. Amadou Bano Barry qui est, par ailleurs, le Conseiller à la Présidence de la République chargé de l’enseignement supérieur.
Selon ce cet universitaire, cette disproportion s’explique avant tout par le fait que les femmes constituent le plus gros contingent parmi la population analphabète et si elles sont scolarisées, c’est dans leurs rangs qu’on compte le grand nombre de cas d’abandon de l’école par rapport à leurs amis garçons. Et l’autre raison avancée par le sociologue, c’est la pesanteur de nos traditions et coutumes qui continuent de reléguer les femmes à leur rôle d’être biologique destiné à procréer et à s’occuper des ménages.
« Lorsque le niveau d’alphabétisation d’un pays comme la Guinée est au tour de 65%, il sera très difficile d’avoir une très forte représentativité des femmes dans les postes administratifs et politiques. Ici, le taux d’alphabétisation est de 77% pour les hommes et de 50% pour les femmes. C’est le premier problème. Le second, c’est que même les femmes qui vont à l’école, si on a sensiblement un taux de scolarisation global de 65%, la proportion des femmes baisse au fur et à mesure qu’on gravit les échelons de l’école. A l’aboutissement, il y a moins de femmes diplômés que d’hommes. Et la raison pour laquelle elles ne restent pas à l’école, est très simple. C’est parce que la société guinéenne est une société qui a donné une certaine mission aux femmes, en particulier celle de faire des enfants. En plus dans les familles, ce sont les hommes qui parlent de politique pendant que les femmes sont dans les cuisines », affirme le Sociologue, Dr Bano Barry.
De son côté, interpellée sur la faible représentativité des femmes au niveau des centres de décision, Hadja Maimouna Bah Diallo, ancienne ministre et présidente du comité national des femmes de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG), le principal parti d’opposition en Guinée, estime presque dans le même sens que Dr Bano, que cet état de fait est accentué en Guinée à cause des considérations sociologues et religieuses quelque peu surannées de la place que doivent occuper les femmes dans nos communautés en Afrique et plus singulièrement en Guinée qui est majoritairement musulmane.
«Les pesanteurs socioculturels et le poids qu’exercent les communautés sur les femmes,; généralement considérées comme celles qui doivent s’occuper des ménages, empêchent celles-ci d’accéder aux fonctions ou aux carrières politiques. En plus, nous sommes dans un pays à majorité musulmane. Or nous savons tous quelle place la religion musulmane réserve à la femme.»
A contrario, Hadja Aïssata Daffé, la présidente des femmes de l’Union des Forces Républicaines (UFR) et députée, pense qu’en plus des pesanteurs sociales, c’est l’envie du gain facile et rapide qui empêcherait les femmes de s’intéresser à la politique.
«La grande majorité des femmes préfère évoluer dans les ONG que d’embrasser la politique qui ressemble plutôt à du bénévolat. On ne peut pas semer le matin et récolter le soir. Il faut une certaine persévérance, une certaine conviction pour obtenir les fruits plus tard. Mieux, les femmes ont peur des violences verbales en politique. Or, il faut avoir la carapace dure et avoir une certaine conviction pour pouvoir faire de la politique», soutient-elle.
Pour sa part, Dr Makalé Traoré, ancienne ministre et présidente du réseau des femmes parlementaires et ministres de Guinée, (une association qui est née depuis 2010), a une toute explication et affirme plutôt que les femmes ne sont absentes en politique…
«Quand vous allez dans les partis politiques, vous constaterez qu’elles sont majoritaires », déclare-t-elle. Le hic, fait-elle remarquer, c’est qu’elles ne sont suffisamment représentées au niveau des instances de prise de décision. Et là, il y a un manque de volonté politique à tous les niveaux. Lorsque vous prenez nos différentes institutions, il y a deux qui sont présidées par des femmes : la Haute Autorité de la Communication et le Conseil Economique et Social. On aurait pu voir beaucoup plus de ministres, gouverneurs femmes. Parce que les femmes sont les plus actives et engagées à la base. Mais il y a un sérieux problème à l’accès aux postes de responsabilité », dénonce Dr Makalé qui dirige aussi la Coalition des femmes et filles de Guinée pour le Dialogue, la consolidation de la paix et le développement.
Aujourd’hui en Guinée, cette situation d’inégalité entre hommes et femmes au sein du système politique, administratif et socioéconomique, est un fait social patent qui doit nécessairement interpeller toutes les bonnes consciences politiques nationales et étrangères.
Les femmes, outre, leur compétence maintes fois avérées en tant que leaders et actrices du développement socioéconomique et en dépit de leur droit de participer en toute égalité à la gouvernance démocratique, restent malheureusement largement sous-représentées aussi bien comme électrices que dans les fonctions dirigeantes.
Cette dure réalité s’est encore manifestée de la façon la plus éclatante lors des élections communales et communautaires que notre pays a organisées le février 4 février dernier.
Selon des statistiques fournies par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), sur un nombre total de 29 669 conseillers pour les 342 circonscriptions, il n’y avait que 7070 femmes. Alors que la constitution guinéenne exige à ce que 30% des places soient accordées, sur chaque liste de candidature aux élections législatives et communales, aux femmes. Et d’ailleurs la Cour Constitutionnelle, vient récemment de revoir ce quota à la hausse. Désormais, les listes de candidature à ces élections doivent strictement être paritaires. C’est-à-dire, 50% d’hommes et 50% de femmes.
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A NDI (National Democratic Institute), une ONG internationale œuvrant dans le cadre des élections, l’on fait remarquer que ce quota constitutionnel est loin d’être atteint en Guinée.
«Le degré d’implication des femmes dans la politique tel que nous le constatons aujourd’hui en Guinée en général et au niveau des élections communales en particulier, n’est pas satisfaisant. Il va falloir rehausser le niveau. La parité à l’horizon 2030 doit être une réalité selon l’engagement des Nations », a exhorté Paul Améga, le Directeur Résident de cette ONG en Guinée.
Pour permettre justement aux femmes de relever ce défi majeur qui se dresse sur la voie de leur épanouissement total, NDI s’active dans leur formation afin de pouvoir doper leur participation en politique.
«L’objectif de ces formations est de booster la capacité de ces femmes à gérer les affaires publiques, booster leur participation comme candidates aux élections mais aussi développer leur capacité à pouvoir être crédibles et être nommées à différents postes de responsabilité au niveau local comme au niveau national. Nous leur apprenons qu’il y a possibilité de pouvoir cumuler la responsabilité de ménage et la responsabilité professionnelle », a-t-il fait savoir.
Une contribution qu’atteste d’ailleurs la Vice-présidente du comité national des femmes de l’UFDG, Hadja Maimouna Bah Diallo. Selon elle, ces formations ont été d’un grand apport pour les différentes formations politiques.
«Au niveau du comité des femmes de l’UFDG par exemple, nous avons profité de toutes les formations qu’on a eues notamment avec NDI et de l’opportunité qui nous a été offerte à travers ces élections pour vraiment encourager les femmes non seulement à se présenter mais aussi pour leur bon positionnement sur les listes. Parce qu’il ne s’agit pas d’avoir 50 % ou plus sur une liste, mais il s’agit d’être bien positionnée», a témoigné Hadja Maïmouna Bah Diallo.
Si cette action a été bénéfique lors des élections communales comme le prétend Hadja Maïmouna, force est de constater, en revanche, que le fossé entre les hommes et les femmes reste encore énorme. Il suffit donc de prendre les deux plus grandes formations politiques de l’opposition, pour s’en convaincre.
Au sein de l’UFDG, sur 6 521 candidats, on note seulement 1 490 femmes, soit 22, 85 %. A l’UFR (Union des Forces Démocratiques), sur 3642 candidats présentés, 951 représentent des candidatures féminines, soit 26%.
Il faut noter de passage que nos tentatives pour avoir les statistiques auprès du RPG Arc-en-ciel, le parti au pouvoir, sont restées vaines. Toutefois, le président de son groupe parlementaire, Amadou Damaro Camara affirme que le quota de 30% exigé par la loi sur la liste de candidature, a été observé.
Devant cette sous-représentativité dont elles sont victimes dans les partis politiques traditionnels à la faveur des consultations électorales, certaines femmes commencent à faire une prise de conscience. De plus en plus, elles ont la propension à se frayer leur propre voie. Et dans cette optique, la tendance est à la candidature indépendante comme l’encourage la loi surtout aux élections municipales.
En effet, lors du dernier scrutin communal, deux têtes de liste se sont fait particulièrement remarquer dans deux des cinq communes que compte la capitale Conakry. Il s’agit de Aminata Touré (la fille du premier président guinéen, Ahmed Sékou Touré, ndlr) qui a porté victorieusement les couleurs de ‘’Kaloum Yigui’’, à Kaloum et de l’ex ministre des Sports, Domani Doré qui a dirigé la liste de ‘’Guinée Audacieuse’’.
Pour Aminata Touré, se porter candidate indépendante à une élection de proximité et la remporte face aux partis traditionnels, y compris celui au pouvoir, constitue un lourd challenge, une confiance incommensurable qu’il faille mériter.
«Les populations de Kaloum ont exprimé leur volonté citoyenne, celle de porter notre candidature. Donc, c’est un challenge pour nous, mais aussi un poids, une confiance que nous devons mériter. Nous nous battrons pour que tout le long de notre mandat, nous méritions la confiance des Kaloumkas et nous nous emploierons à cela. Parce que le crédo de notre campagne, c’était d’abord la concorde sociale et la paix à Kaloum, vivre dans un environnement sain à Kaloum et créer des emplois au profit des jeunes et des femmes de Kaloum. Nous nous y emploierons fermement », a-t-elle- déclaré à la presse au lendemain de la proclamation de sa victoire par la CARLE de Kaloum.
Par ailleurs, par rapport au débat sur la très faible représentativité des femmes au sein des partis politiques ainsi que l’atteinte de l’objectif de parité à l’horizon 2030, un spécialiste des questions électorales recommande à ce que les femmes ne soient plus celles qui accompagnent les mouvements de développement mais celles qui sont plutôt actrices et bénéficiaires.
«Il faudrait qu’au niveau des collectivités locales, du gouvernement, du parlement, des associations, dans le secteur privé qu’une attention particulière soit accordée aux femmes. Cela de façon concrète par l’aménagement des villes où, par exemple, les marchés et les bureaux administratifs doivent être aménagés de sorte à permettre aux femmes de développer leurs activités en gardant leurs enfants à côté. C’est-à-dire dans les garderies pour que les enfants de bas âges puissent libérer leurs mamans en étant dans un cadre éducatif qui les encadre au mieux. Et enfin, il faut lutter contre les violences sur toutes ses formes», a-t-il plaidé.
Représentant plus de la moitié de la population guinéenne, la femme guinéenne a un rôle prépondérant à jouer dans le cadre du développement socioéconomique du pays. C’est pourquoi le gouvernement guinéen et ses partenaires au développement doivent aujourd’hui avoir une politique nationale clairement définie en faveur de la promotion et de l’émancipation des femmes à tous les niveaux de la vie nationale.
C’est sans doute la seule option réaliste et raisonnable de lutter efficacement contre la pauvreté parce qu’elles représentent la frange la plus importante de la population et qui, curieusement, bénéficie de moins d’attention surtout par sa sous-représentativité dans les sphères clés de prise de décision. Pour donc gagner ce pari, il est impérieux de bannir sinon éradiquer tous les comportements et stéréotypes sexistes discriminatoires qui confinent la femme dans son rôle ‘’naturel’’ d’épouse et de mère de famille.