Auteur: Youssouf Sylla, juriste, analyste.
Après le non de la Guinée au referendum de 28 septembre 1958, la Guinée est devenue indépendante le 2 octobre 1958, et s’est dotée de sa première constitution le 10 novembre 1958. De 1958 à 2020, le pays a donc connu cinq constitutions, donc cinq républiques. Les constitutions de 1958 et de 1982 sont adoptées par des assemblées constituantes. Celle de 1990 fut adoptée par référendum après son élaboration par le Conseil transitoire de redressement national (CTRN), organe investi de pouvoirs législatifs, mis en place le Comité militaire de redressement national (CMRN), qui a pris le pouvoir après la mort de Sékou Touré, président de la Guinée, de 1958 à 1984. Entre 1984 et 1990, la Guinée a vécu sans constitution, mais sous un régime d’exception imposé par le CMRN.
En 2001, il n’y a pas eu de nouvelle constitution en Guinée, plutôt une révision constitutionnelle qui a supprimé la limitation à deux, du nombre de mandats qu’un président de la République est en droit de briguer, et allongé à sept ans, la durée du mandat présidentiel, initialement fixée à 5 ans.
En ce qui concerne la constitution du 7 mai 2010, elle fut élaborée par le Conseil national de transition (CNT), un autre organe investi de pouvoirs législatifs mis en place par le Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), qui a pris le pouvoir en décembre 2008, après la mort Général Lansana Conté, président de la République, de 1984 à 2008.
Avant sa révocation par le Comité national du développement et du rassemblement (CNRD), qui a mis fin au pouvoir d’Alpha Condé ( président de 2010 à 2021), le 5 septembre 2021, la dernière constitution à régir la Guinée, était celle de 2020 adoptée par référendum. L’élaboration d’une nouvelle constitution par le Conseil national de la transition ( CNT) est prévue dans l’article 57 de la Charte de la transition promulguée le 27 septembre 2021 par le CNRD.
Au total, si la constitution promise par la CNRD est adoptée, la Guinée aura en 63 ans d’existence en tant qu’Etat indépendant, 6 constitutions. Soit une constitution tous les 10 ans. Cette frénésie constitutionnelle est un signe qui marque l’instabilité institutionnelle de ce pays. Par comparaison, depuis 1958, la France est toujours sous la cinquième Republique avec la même constitution qui a été révisée 24 fois. Quant à la Guinée, pour la même période (63 ans), elle a vécu sous 5 constitutions. Elle a donc changé 5 fois de Republique, mais révisé une seule fois la constitution, celle de 1990 en 2021. La révision d’une constitution est différente en effet de la substitution d’une constitution à une autre. La révision porte sur la même constitution et la substitution porte sur un changement d’ampleur qui consiste a éliminer l’ensemble d’une constitution au profit d’une nouvelle. Et c’est bien de ce dernier cas qu’il s’agit en Guinée.
La constitution d’un pays est d’une importance systémique pour son organisation. D’interminables crises constitutionnelles plongent forcément un pays dans le chaos. Les pays qui connaissent une grande stabilité institutionnelle, du moins ceux qui sont à même d’y faire face sans être déstructurés, sont les pays qui ont des constitutions stables dans le temps. Mais les pays qui connaissent une instabilité institutionnelle chronique sont généralement les pays qui sont perpétuellement instables sur le plan constitutionnel. Compte tenu de son cheminement historique dans le domaine constitutionnel, la Guinée peut-être citée dans cette dernière catégorie d’États.
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