Dix ans après le massacre de plus de 150 personnes au stade de Conakry – selon un rapport de l’ONU –, l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’Homme (OGDH) attend toujours que justice soit rendue. Partie civile dans ce procès, son président Abdoul Gadiry Diallo est favorable à la tenue du procès en Guinée. Pour lui, on peut maintenant aller au procès. Il en appelle à la volonté politique. À défaut, dit-il, on passera à la vitesse supérieure.
Guineenews© : 28 septembre 2009 – 28 septembre 2019. Dix ans après les tueries au stade 28 Septembre, que pensez-vous du traitement du dossier par la justice guinéenne ?
Abdoul Gadiry Diallo : Dix ans après, il y a eu des évolutions. Mais en dents de scie. Il y a eu des progrès, mais les attentes sont encore énormes. De la mise en place du pool de juges d’instruction à aujourd’hui, des étapes ont été franchies. La première étape franchie a été le fait qu’on est finalement arrivé à trouver un local de travail un peu plus sécurisé pour les juges d’instruction. Cela a permis de commencer les instructions et de recueillir les témoignages de certaines victimes. Au bout du compte, un certain nombre de personnalités notamment le capitaine Moussa Dadis Camara – qui était président de la junte militaire – ont été inculpées. D’autres officiers supérieurs dont son aide de camp Aboubacar Toumba Diakité, ont été aussi inculpés.
Plus tard, on a réussi à extrader Toumba Diakité et à le mettre à la disposition des autorités guinéennes. De manière progressive, on s’est acheminé vers un minimum de quatorze inculpations. Il nous restait maintenant d’autres démarches et d’autres défis. Entre autres, le défis de la mise en place du Comité de pilotage chargé de la conduite du processus, celui de la désignation du lieu où va se tenir le procès, mais surtout celui d’une date de la tenue du procès. La mise en place du comité de pilotage a été obtenue. Le lieu où doit se tenir le procès a été indiqué. Il s’agit de la Cour d’appel de Conakry. Même si en l’état la Cour peut abriter le procès, elle a besoin d’un minimum d’aménagement pour créer les meilleures conditions de sécurité pour les victimes, les témoins et les accusés. S’il faut faire un bilan, il faut dire qu’on a obtenu l’inculpation d’un certain nombre de personnes, on a obtenu
le comité de pilotage qui a décidé du choix de la Cour d’appel comme lieu de la tenue du procès. On a également obtenu le principe de vouloir aller au procès. Qu’est-ce qui nous reste : les bailleurs de fonds sont disponibles, mais leur condition est que la Guinée mette la main à la poche. Ce qui nous reste aujourd’hui et qui est fondamental, c’est la mobilisation des ressources nécessaires. En plus, il faut que la date soit fixée.
J’apprends de manière tout à fait officieuse que les juges qui vont siéger ont été désignés. Ce qui me fait dire qu’un nouveau pas a été franchi. Ces juges doivent avoir des cours d’immersion sur le droit pénal international. Même si les inculpés ont été inculpés sur la base du code pénal guinéen, ils ont besoin de renforcer leur capacité sur certaines situations comme l’appréciation des crimes sexuels. Pour cet aspect, on peut mettre les bouchées doubles pour aider ces juges à avoir une meilleure formation en la matière.
A ce jour, nous ne sommes pas très satisfaits de ce qui est fait, mais nous ne sommes pas aussi très déçus de ce qui est fait. Nous allons poursuivre le combat, mais ne voulons plus que ce procès traine encore très longtemps. Pour y arriver, nous avons besoin de la volonté politique des autorités, même si aujourd’hui nous sommes dans le balbutiement avec un débat politique centré sur des questions qui ne devraient pas se poser si on était dans la logique d’avancer dans ce pays.
Guineenews© : en dépit de tout, vous notez des évolutions. Mais est-ce que les victimes, qui ont passé dix ans à attendre justice, sont au même niveau de compréhension que l’OGDH ?
Abdoul Gadiry Diallo : Je l’ai déjà dit : l’homme qui a faim ne peut pas comprendre qu’on lui dise d’attendre que le repas se refroidisse. Les victimes ont soif de justice. Il y en a qui sont déjà morts et d’autres sont en train de mourir. J’en profite pour saluer la mémoire de l’ancienne vice-présidente de l’AVIPA qui est décédée avant le procès. Il y a aussi des victimes qui sont traumatisées. Dire que j’ai la même appréciation des choses que ces victimes serait un peu prétentieux de ma part. Ce qui est sûr, avec toute raison gardée, c’est que l’évolution est en dents de scie.
D’autre part, il faut dire que l’appréciation dépend du niveau d’information. C’est en cela que je disais qu’il serait très intéressant que le ministre de la Justice, Garde des sceaux, bien qu’étant intérimaire, prenne ses responsabilités pour donner des informations précises sur le procès. Pendant longtemps, c’est nous qui commémorions le 28 septembre. A ce 10ème anniversaire, il faut que les autorités guinéennes prennent la responsabilité d’expliquer où est-ce qu’on en est. Cela amène les victimes à espérer qu’il y a une certaine avancée. Mais aussi longtemps que c’est nous qui transmettons aux victimes ce qui est en train de se mener, l’information ne sera pas prise très au sérieux. Les victimes peuvent penser que nous sommes complices du gouvernement. Il faut que les autorités guinéennes communiquent sur le dossier.
Guineenews© : Contrairement à d’autres acteurs qui préféreraient la justice internationale, vous vous croyez en la capacité de la justice guinéenne à juger cette affaire ?
Abdoul Gadiry Diallo : pour trois raisons, je fais partie de ceux qui veulent que ce jugement se fasse en Guinée. D’abord, au nom du principe de subsidiarité, la Cour pénale internationale n’est saisie d’un dossier que lorsque les conditions ne sont pas réunies au niveau national. Deuxièmement, la Guinée, depuis son indépendance, a été un laboratoire de violation systématique de droits de l’homme. Il faut qu’à un moment donné, ces violations soient suivies de sanctions. Les forces de défense et de sécurité et tous les responsables de l’application des lois comprendront ainsi qu’on ne va pas indéfiniment violer les droits de l’homme sans être puni.
Troisièmement, la tenue du procès peut être didactique pour le peuple de Guinée. Imaginez un procès à la Haye – ce que je ne rejetterais pas si les conditions ne sont pas réunies en Guinée –, il ne serait pas facile pour les 400 et quelques victimes de se rendre aux Pays-Bas. Le coût serait énorme et il n’est pas évident que le visa soit donné à tous. Tout cela me fait penser que si les conditions sont réunies en Guinée, il serait mieux de tenir le procès ici. Ce serait une autre école pour les Guinéens. Le procès Hissène Habré s’est tenu à Dakar. Qu’est-ce que Dakar a de plus que Conakry sinon la manifestation d’une volonté politique de donner la possibilité à la justice sénégalaise de connaître une telle affaire. On a également vu ce qui s’est passé au Mali avec les procès de Sanogo et de Moussa Traoré. Pourquoi la Guinée, qui fut à un moment porte flambeau de l’indépendance des pays africains, peut-elle se soustraire de ces bons exemples. L’indépendance veut aussi dire pouvoir jouer tous les rôles régaliens qui sont des rôles de l’État.
Guineenews© : Parlant de volonté de politique ? je rappelle que l’ancien ministre Cheik Sako était bien apprécié par l’OGDH et l’Association des victimes. Avez-vous constaté les mêmes engagements chez le ministre intérimaire ?
Abdoul Gadiry Diallo : malheureusement, je n’ai pas eu l’opportunité de le rencontrer, d’échanger avec lui et de savoir jusqu’à quel point il peut aller. C’est une rencontre que je souhaite de tous mes vœux et je sais qu’elle pourrait avoir lieu dans les jours à venir (Ndlr : l’interview a été réalisée mardi 24 septembre). Jusqu’à preuve du contraire, j’accorde au ministre actuel le bénéfice de la bonne foi. C’est à lui de prouver qu’il est engagé comme Cheik Sako. Ce qui est sûr, c’est que c’est un dossier assez sensible. Il faut un certain courage politique pour l’aborder et pouvoir le mener à bon port. Je souhaite de tous mes vœux que Mamadou Lamine Fofana ait le même courage que Cheik Sako.
Guineenews© : Sur la procédure, alors que vous demandiez l’inculpation du général Sékouba Konaté, vous avez dû vous contenter de vouloir aller au procès sans lui… Est-ce l’un des points qui font votre insatisfaction ?
Abdoul Gadiry Diallo : je me dis que Sékouba ne peut pas échapper à cette procédure. Maintenant ou au cours du procès, il est toujours possible de l’interroger pour qu’il donne sa version des faits. En tout cas, il faut qu’on aille au procès pour ne plus donner l’opportunité à ceux qui veulent jouer au dilatoire de justifier la prorogation du délai par le fait que tel n’a pas été inculpé ou tel n’a pas été fait. Il faut qu’on aille au procès pour que les victimes s’assurent au moins qu’ils peuvent être en sécurité en Guinée. Nous sommes en 2019 et il y a toujours d’autres violations graves des droits de l’homme après celles de 2009. Tout cela, parce qu’on n’a pas encore trouvé de suite à ce qui s’est passé avant.
J’aime à dire très souvent que s’il y a eu le 28 septembre 2009, c’est parce qu’il n’y a pas eu de suite juridique aux évènements de 2006 et 2007. Aussi, c’est parce que les crimes massifs commis dans le tristement célèbre Camp Boiro n’ont jamais été suivis de procédure judiciaire. Ceux qui se croyaient tous permis au temps du régime du président Sékou Touré sont revenus aux affaires durant la période de Lansana Conté et sont encore revenus aux affaires au temps de Moussa Dadis Camara. Et aujourd’hui, on se rend compte que ce sont les mêmes qui sont en train de commettre des crimes graves sous Alpha Condé. Cela veut dire qu’on a fait la culture de l’impunité comme mode de gouvernance. Tout le monde avait pensé qu’après 2009, il n’y aurait plus d’autres crimes. Mais on s’était trompé. Alors, il faut que ça s’arrête.
Guinéenews : Quel serait pour vous le report de trop pour la tenue de ce procès ?
Abdoul Gadiry Diallo : on est déjà dans la date de trop. Dans notre entendement, il ne devrait pas avoir un autre 28 septembre à célébrer en 2019. On devrait plutôt se retrouver au procès. Et je ne souhaite pas une autre célébration en 2020. A mon avis, si les autorités guinéennes veulent prendre à bras le corps ce dossier, le procès peut démarrer avant fin décembre. Nous plaidons alors pour que ce qui a été promis se réalise et toutes les organisations (nationales comme internationales) intéressées par ce dossier interpellent encore les autorités guinéennes. Si elles ne font rien, on sera obligé de passer à la vitesse supérieure. Cette vitesse supérieure est une stratégie qu’il faudra développer.