La 17e édition du Championnat d’Europe des Nations (Euro 2024) démarre ce vendredi et se déroulera dans 10 villes à travers l’Allemagne jusqu’au 14 juillet, date de la finale. Cette année, l’attention de l’opinion publique semble davantage captée par l’actualité politique, marquée par une forte poussée des partis d’extrême droite lors des récentes élections européennes. En conséquence, cet Euro 2024 semble susciter moins d’attente que les précédentes éditions.
Plusieurs facteurs peuvent aussi expliquer ce désintérêt relatif. Le calendrier surchargé du football, avec les nombreux matchs des différents championnats, la Ligue des champions et les coupes européennes dont les finales se sont jouées il y a environ 14 jours, les coupes nationales, pourrait en être une cause. De plus, la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) 2023 s’est tenue en janvier dernier, la Copa América débutera bientôt (du 21 juin au 15 juillet), et les Jeux Olympiques commenceront dans quelques semaines. Il est toutefois possible que l’enthousiasme grandisse une fois la compétition officiellement lancée au gré des exploits des équipes présentes emmenées par leurs stars.
Sur le terrain, pour autant, aucun favori clair ne semble se détacher cette année. Le tournoi paraît relativement ouvert, avec de nombreux outsiders en lice. Les hôtes allemands peuvent-ils tirer profit de jouer à domicile ? L’Italie, championne en titre, peut-elle réitérer son exploit ? La France, vice-championne du monde, parviendra-t-elle à s’imposer ? Et qu’en est-il des espoirs de l’Angleterre, du Portugal ou encore de l’Espagne ?
Comme à chaque compétition, je vous livre mon pronostic pour cet Euro 2024.
Portugal : Cristiano Ronaldo, un titre et puis s’en va ?
Pour moi, si une équipe coche toutes les cases pour remporter cette compétition, c’est bien le Portugal. Vainqueur de l’Euro en 2016, l’équipe, désormais dirigée par Roberto Martinez, dispose de nombreux atouts pour rééditer l’exploit cette année en Allemagne. Avec un bilan impressionnant en qualifications, remportant leurs 10 matchs, marquant le plus de buts (36) et en concédant le moins (2), le Portugal a de quoi inspirer confiance.
Logé dans un groupe relativement abordable avec la République Tchèque, la Géorgie et la Turquie, la Seleção portugaise possède un effectif riche et talentueux dans toutes les lignes, à l’exception peut-être du poste de gardien, qui reste un point légèrement préoccupant. Trouver la bonne alchimie et réussir à impliquer tout son groupe représente, à mon sens, le véritable défi pour le sélectionneur au cours de ce tournoi.
Dans cette abondance de talents, Martinez aura le luxe de pouvoir compter sur une brochette de joueurs expérimentés et performants tels que Pepe, Palhinha, Cristiano Ronaldo, Bruno Fernandes, Bernardo Silva, Joao Felix, Gonçalo Ramos, Vitinha, Rafael Leao, et bien d’autres. Tout autre résultat que le dernier carré serait, pour moi, un échec.
Pour Cristiano Ronaldo, la star de l’équipe, ce sera peut-être, à 39 ans, sa dernière grande compétition en équipe nationale. Recordman du nombre de matchs disputés (25) et de buts marqués (14) dans la compétition, il lui faudra probablement accepter un rôle différent, tout en restant performant et positif lorsque le sélectionneur fera appel à lui. En sera-t-il capable ? Le souvenir du mélodrame qui s’est joué au Qatar lors de la Coupe du Monde 2022 est encore frais dans les mémoires. Reste à voir comment il gérera cette nouvelle campagne.
Angleterre : le pari de Southgate
Parmi les prétendants à l’Euro 2024, l’Angleterre suscite de nombreuses interrogations. Cette équipe me rappelle furieusement l’équipe de France lors de la Coupe du monde 2002 en Corée et au Japon : une sélection bourrée de talents, mais qui pourrait bien se faire surprendre. À cet Euro 2024, les Three Lions sont pourvus de joueurs de très grande qualité dans toutes les lignes et se sont même permis le luxe d’en laisser d’autres à la maison.
Emmenée par sa star et capitaine Harry Kane, meilleur buteur de l’histoire de la sélection avec 63 buts, et Soulier d’or de la saison avec 44 réalisations toutes compétitions confondues (en ne prenant en compte que les 5 plus grands championnats européens), cette équipe dispose, sur le papier, de solides arguments pour aller au bout de la compétition. À ses côtés, on retrouve les quadruples champions d’Angleterre mancuniens Kyle Walker, John Stones, et Phil Foden, ce dernier étant également sacré meilleur joueur de la saison de Premier League. Ajoutons à cela Jude Bellingham, auteur d’une première saison stratosphérique et récent vainqueur de la Ligue des champions avec les Merengue, ainsi que Declan Rice et Bukayo Saka, tous deux étincelants avec Arsenal.
Cependant, des doutes subsistent quant à la capacité de cette équipe à briller en tournoi qui plus est hors de ses terres. Les changements opérés dans la liste finale des joueurs retenus, qu’ils soient assumés ou subis, posent question. Le sélectionneur, Gareth Southgate, aura-t-il eu suffisamment de temps pour faire émerger une équipe performante, solidaire et complémentaire à l’entame de la compétition ? Privée d’Harry Maguire et d’un latéral gauche de métier (Luke Shaw est présent dans la liste mais semble diminué), la défense anglaise constitue sans nul doute son talon d’Achille. Cette-ci sera-t-elle au niveau ? A voir.
La défaite lors du dernier match préparatoire à domicile face à l’Islande a soulevé de nombreux doutes, car l’équipe reste sur une série d’une seule victoire en cinq matchs (deux défaites, deux matchs nuls, et une petite victoire contre la Bosnie). Cette série négative a également accentué les incertitudes autour de la capacité de Gareth Southgate à mener cette équipe vers un nouveau sacre. Depuis 1966, soit 58 ans, l’Angleterre attend désespérément un titre majeur. La pression est énorme, et seul le temps dira si cette équipe peut transformer ses immenses promesses en succès in fine.
Une Espagne tout feu tout flammes ?
La Roja, actuellement 8e au classement FIFA, est une équipe en pleine forme. Sur ses 12 derniers matchs, elle en a remporté 10 avec la manière, affichant une moyenne de 3 buts marqués pour 0.8 but encaissé par match. Ébranlée il y a quelques mois par l’affaire Luis Rubiales, la sélection espagnole a su se relever de belle manière, d’abord chez les femmes en remportant le Mondial 2023 en Australie, et peut-être dans les prochains jours avec les hommes en Allemagne. Pour y parvenir, le sélectionneur Luis de la Fuente s’appuie sur un groupe rajeuni mais expérimenté, évoluant ensemble depuis plusieurs années.
Emmenée par des joueurs indispensables comme Alvaro Morata, Rodri, Pedri, et la paire de défenseurs centraux d’origine française Robin Le Normand et Aymeric Laporte, cette équipe conserve son style de jeu caractéristique basé sur la possession et le redoublement de passes. Elle a même ajouté de nouvelles munitions avec les apports de Nico Williams et Lamine Yamal, dont la vitesse et les dribbles sont capables de perforer et déstabiliser n’importe quelle défense au monde. À seulement 16 ans, le jeune barcelonais devrait vraisemblablement devenir le plus jeune joueur de l’histoire du Championnat d’Europe, confirmant son étonnante précocité au plus haut niveau. Si elle possède quelques individualités remarquables, la force de cette équipe, comme ses prédécesseurs, repose avant tout sur son jeu collectif.
Attention cependant, car, bien que leur style de jeu fasse généralement des merveilles lors des phases de poules, ils se heurtent souvent à des équipes robustes, positionnées en bloc bas, parfaitement préparées et capables de les surprendre en contre-attaque ou aux tirs buts. C’est ce qu’a fait le Maroc lors du dernier Mondial ou encore l’Italie en demi-finale de l’Euro 2020.
Positionnée dans un groupe relevé avec la Croatie, l’Albanie et l’Italie, la Roja a de fortes chances de passer la phase de groupes et peut ambitionner d’atteindre au moins les demi-finales cette année.
France, in Deschamps we trust !
Pour qui pratique le Didier Deschamps couramment sait que sa philosophie repose d’abord et avant tout sur une défense de fer et un milieu de terrain ultra solide. Il aurait d’ailleurs pu être l’auteur de cette célèbre maxime de Michael Jordan : « L’attaque fait lever les foules, mais la défense fait gagner des titres. »
Et c’est là le problème. Car, ces derniers temps, malgré une victoire en trompe-l’œil face au Luxembourg (3-0) et un match nul sans saveur contre le Canada (0-0), la défense française a été malmenée, encaissant en moyenne deux buts par match contre le Chili (victoire 3-2), la Grèce (2-2) et une Allemagne en pleine crise (défaite 2-0 à domicile). Les deux favoris pour être titulaires lors du premier match le lundi prochain sortent d’une saison difficile. Ibrahima Konaté a alterné entre blessures et performances mitigées, terminant la saison à Liverpool comme remplaçant, dépassé dans la hiérarchie par le jeune Jarell Quansah. Même constat pour Dayot Upamecano, qui a connu une saison tronquée par des blessures, une forme inconstante et des erreurs coûteuses avec le Bayern Munich. Malgré cela, des joueurs comme William Saliba, après une saison exceptionnelle avec Arsenal, et Benjamin Pavard, titulaire et plusieurs fois décisif des deux côtés du terrain avec l’Inter Milan, auraient tous deux pu prétendre à une place de titulaire, ce qui soulève des interrogations sur les choix défensifs du staff technique des Bleus. Dans ce contexte, les absences récurrentes de Mike Maignan ajoutent une couche d’incertitude.
Un autre cadre dont l’état de forme physique suscite des interrogations est Kylian Mbappé. Victime de bobos récurrents en cette fin de saison, l’encadrement des Bleus continue de le ménager depuis le début du rassemblement, laissant penser qu’il pourrait manquer de rythme pour le début de la compétition. Le nouveau capitaine des Bleus, après la retraite d’Hugo Lloris, étrennera son nouveau statut pour la première fois dans un tournoi. Cette responsabilité supplémentaire devrait toutefois le galvaniser, d’autant qu’il est en lice pour le Ballon d’Or 2024, certes derrière des concurrents comme Vinicius Jr et Bellingham, mais toujours en mesure de faire pencher la balance en sa faveur en cas d’Euro exceptionnel.
Malgré ces incertitudes, l’équipe de France dispose encore de talents exceptionnels comme les très réguliers Olivier Giroud et Antoine Griezmann, les meilleurs buteur et passeur de l’histoire des Bleus. On peut également citer Youssouf Fofana et Marcus Thuram, auteurs d’une belle saison dans leurs clubs respectifs. De plus, les absences d’Aurélien Tchouaméni et peut-être d’Adrien Rabiot (pour au moins le premier match) sont compensées par le retour d’un N’Golo Kanté particulièrement en forme lors des derniers matchs de préparation, ce qui est une véritable aubaine.
La véritable force des Bleus réside peut-être dans la présence de Didier Deschamps, considéré comme l’un des meilleurs sélectionneurs de l’histoire et pour qui l’Euro représente le seul trophée manquant à son palmarès d’entraîneur. Son pragmatisme tactique, ses qualités de meneur d’hommes, son expérience et sa légendaire bonne étoile (la fameuse « chatte à DD ») seront indispensables pour naviguer dans un groupe composé de l’Autriche, de la Pologne et des Pays-Bas. Un groupe certes à leur portée, mais qui pourrait rapidement devenir difficile si les Bleus manquent leur entrée dans le tournoi.
Allemagne : un titre et des adieux à domicile pour Toni Kroos ?
Autre outsider, l’Allemagne. À domicile, la Mannschaft aura à cœur de briller après l’humiliation de l’élimination au premier tour de la Coupe du Monde 2022 au Qatar. Exit donc Hansi Flick, place désormais à Julian Nagelsmann, qui a pris les rênes de l’équipe avec moins de 10 mois pour la préparer. Pour ce faire, l’ex-entraîneur du Bayern Munich et de Leipzig pourra compter sur un retour de taille, celui de Toni Kroos. Le futur retraité des terrains de foot, qui vient de remporter sa sixième Ligue des champions avec le Real Madrid, est sorti de sa retraite internationale pour tenter de faire bonne figure dans un tournoi organisé à domicile et ainsi sauver la patrie.
Est-ce que ce sera suffisant ? Rien n’est moins sûr. Bien qu’elle ait hérité d’un groupe a priori à sa portée, avec la Suisse, de l’Écosse et de la Hongrie, cette équipe reste en construction. La défense, emmenée par la paire Jonathan Tah et Antonio Rudiger, aura sans doute besoin de plus de matchs ensemble pour se solidifier. Le retour de Manuel Neuer, considéré comme le meilleur gardien du monde avant sa grave blessure en 2022, était censé apporter une certaine garantie supplémentaire. Cependant, le champion du monde 2014 a commis quelques erreurs lors des derniers matchs, ravivant la concurrence avec Marc-André ter Stegen et instillant une forme de fébrilité parmi ses coéquipiers.
L’attaque allemande, bien que manquant de tueurs emblématiques comme ont pu l’être dans leur glorieux passé Miroslav Klose, Mario Gomez ou Oliver Bierhoff, dispose néanmoins de joueurs comme Kai Havertz, Deniz Undav et Niclas Füllkrug, capables de remplir ce rôle dans un style différent mais avec une certaine efficacité. Les résultats récents sont mitigés mais encourageants (5 victoires, 3 nuls et 5 défaites), avec des victoires contre la Grèce, les Pays-Bas et la France (deux fois).
Le milieu de terrain allemand est véritablement son point fort, mélangeant expérience et jeunesse. Aux côtés de Toni Kroos, on retrouve le capitaine Ilkay Gündogan, les expérimentés Thomas Müller et Emre Can, ainsi que les jeunes prodiges Florian Wirtz et Jamal Musiala, tous deux agés de 21 ans. Wirtz, champion d’Allemagne invaincu avec le Bayer Leverkusen, a ébloui le monde du football par son aisance, son habileté technique et son sens du but, totalisant 11 buts et 11 passes décisives cette saison et remportant le titre de meilleur joueur de la Bundesliga. Quant à Jamal Musiala, malgré une saison moins aboutie individuellement mais surtout collectivement au Bayern Munich (10 buts et 6 passes décisives tout de même), il demeure un talent exceptionnel et ses dribbles ainsi que ses passes millimétrées restent un atout précieux.
Cependant, je ne vois pas l’Allemagne aller jusqu’au bout en 2024. Atteindre les demi-finales serait déjà un excellent résultat, compte tenu de la reconstruction en cours. Ce tournoi pourrait surtout marquer le début d’une nouvelle ère pour cette équipe, qui aura son mot à dire dans les années à venir avec plus de vécu et de continuité pour les jeunes talents.
L’Italie en embuscade. La Géorgie équipe surprise ?
Parmi les autres prétendants, je citerai sans prendre trop de risques quelques grandes nations du football, quasiment toujours attendues mais souvent décevantes. Dans ce lot, on trouve le tenant du titre italien, l’Italie, qui est en pleine reconstruction avec une nouvelle génération cherchant à s’affirmer.
La Squadra Azzurra, emmenée par le solide gardien parisien Gianluigi Donnarumma, le dynamique et besogneux milieu de terrain Nicolò Barella, auteur d’une saison brillante avec l’Inter Milan, et le talentueux défenseur central gaucher de Bologne Riccardo Calafiori, montre des signes prometteurs. Sérieuse, rigoureuse et appliquée défensivement, talentueuse et travailleuse au milieu, l’équipe italienne souffre malheureusement d’une certaine inconstance sur le plan offensif. Hormis la victoire contre la Macédoine du Nord, elle restait sur une moyenne d’un but marqué par match lors de ses cinq dernières confrontations.
La configuration du groupe, composé de la Croatie, de l’Albanie et de l’Espagne, ainsi que le calendrier des rencontres, laissent penser qu’un des meilleurs troisièmes pourrait en émerger, ce qui pourrait permettre à l’Italie, à minima, de sortir du groupe.
Géorgie : Petit poucet peut-il taper gros outsider ?
La Géorgie est le petit poucet par excellence, étant la nation la moins bien classée selon le dernier classement FIFA. De plus, seuls trois de ses joueurs évoluent dans l’un des cinq plus grands championnats européens. Pire encore, elle n’a battu aucune des équipes participantes au tournoi de cette année en match officiel depuis près de dix ans, à l’exception de l’Écosse. Toute série étant destinée à s’arrêter tôt ou tard, pourquoi pas cette année ?
Selon moi, l’équipe dispose de quelques atouts non négligeables. Premièrement, elle affiche un état d’esprit et une détermination incroyables. Malgré des ressources limitées et un historique défavorable, les joueurs géorgiens ont montré une résilience remarquable, comme en témoigne leur victoire contre la Grèce en barrage, où ils ont disputé toute la seconde mi-temps et les prolongations à 10 contre 11.
Deuxièmement, l’équipe est dirigée par Willy Sagnol, un sélectionneur qui connaît le haut niveau et ses exigences pour avoir été un joueur important de l’équipe de France, de Monaco et du Bayern de Munich. Il a su transmettre son expérience et son savoir-faire aux joueurs, réalisant l’exploit de les qualifier pour ce tournoi dans un groupe difficile.
Troisièmement, la Géorgie compte dans ses rangs trois joueurs de très grand talent. Khvicha Kvaratskhelia, bien que moins flamboyant cette année avec Naples, possède des qualités de dribbleur rares et ses frappes lointaines ont fait des merveilles lors de la saison du titre en Serie A. Georges Mikautadze, bien connu en France, est un serial buteur de 23 ans formé à Metz, attendu prochainement à Monaco après un passage mitigé à l’Ajax. Il est l’avant-centre de référence de la Géorgie. Enfin, Giorgi Mamardashvili, le gardien de Valence en Espagne, a été celui qui a empêché le plus de buts en La Liga la saison dernière, selon Opta.
Pour finir, la Géorgie pourrait bénéficier d’un calendrier favorable. Si elle commence bien la compétition en prenant des points contre la Turquie et/ou la République tchèque, elle pourrait aborder le troisième match contre une équipe portugaise déjà qualifiée, ce qui lui permettrait de déjouer les pronostics et de créer la surprise lors de cet Euro 2024. Après tout, sur un malentendu, tout est possible non ?
Bonne compétition à tous !
Souleymane Camara