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Entretien à bâtons rompus : Le Représentant de l’OMS se confie sur la riposte contre le Covid en Guinée

L’Organisation mondiale de la santé (Oms) joue en général un rôle crucial dans la lutte contre les épidémies et les pandémies qui surviennent à travers le monde. Pour connaître  son apport pour la Guinée en particulier, en cette période de crise, votre quotidien en ligne a approché le Représentant de l’institution à Conakry, Pr Georges Alfred Ki-Zerbo avec lequel nous avons abordé plusieurs autres sujets liés au Covid19Bonne lecture !

Guineenews© : Dans la riposte contre le Covid19, on ne sent pas l’OMS sur le terrain comme ce fut le cas lors de l’épidémie d’Ebola.  Quelle est cette fois-ci l’approche employée par votre institution ?

Pr Georges Alfred Ki-Zerbo : Effectivement l’Organisation Mondiale de la Santé de par son mandat et sa responsabilité pour la gestion des urgences sanitaires, travaille au niveau global, au niveau régional et au niveau national avec les Etats membres pour apporter son appui à la riposte au Covid19. Ceci se fait sur la base des directives, sur la base des renforcements des capacités, sur la base aussi des approvisionnements des opérations de riposte. Nous travaillons en lien avec le gouvernement et les autres partenaires à assurer la continuité des services de santé dans le sens de la résilience des systèmes de santé et des communautés.

Donc de ce point de vue, il n’y a pas de différence entre ce qui arrive actuellement, c’est-à-dire la pandémie du coronavirus et l’épidémie à virus Ebola. C’est le même rôle que l’OMS joue : le rôle de coordination des partenaires, le rôle normatif sur la production des directives fondées sur des évidences scientifiques, sur des bases factuelles pour guider la prise de décision des Etats membres. Donc la dynamique dans la riposte n’est pas la même mais les principes restent les mêmes.   Ce qui peut être différent, le Covid19 a touché à la question de la circulation des biens et des personnes et donc les déploiements massifs qu’on a vus lors d’Ebola ne sont pas encore d’actualité.

Guineenews© : Parlant d’assistance, est-ce qu’on peut connaitre à date les moyens matériels, humains et financiers que l’OMS a mis à la disposition de la Guinée dans la lutte contre le coronavirus?

Pr Georges Alfred Ki-Zerbo : L’OMS en tant que gestionnaire des programmes des urgences sanitaires au niveau mondial transforme ses équipes à chaque fois qu’il y a eu une urgence sanitaire en réorganisant ses équipes pour les mettre à la disposition des Etats membres. C’est ainsi que dans tous les domaines de la riposte, que ce soit la coordination, la planification, la surveillance, la prise en charge, les portes d’entrée, la logistique, la communication sur les risques, l’OMS en lien avec les partenaires s’est aligné sur le plan national de la Guinée pour apporter toute son expertise, toutes les ressources qui peuvent être mobilisées, soit directement, soit en lien avec d’autres partenaires du SNU, les Banques, les autres partenaires multi et bi latéraux pour soutenir le plan national de riposte.

Donc nous n’avons pas de besoins propres à nous, mais c’est plus l’alignement avec les priorités du plan national qui sont mis en avant et dont nous ajustons en lien avec notre bureau régional et avec le siège, qui lui-même travaille avec l’ensemble du système des Nations Unies. Et je le disais tantôt, les pays qui font les déploiements sont actuellement fermés, en prise eux même avec la riposte au Covid19. Donc l’OMS travaille avec tous les partenaires pour l’ouverture de corridor humanitaire et ce sont les Etats membres qui sont souverains, qui devront décider que ces corridors soient mis en place. En plus, pour l’approvisionnement en matériel, en équipement et en équipe, ça demande une grande coordination au niveau global, ça demande aussi de la mobilisation des ressources importantes et comme je l’ai dit, les pays donateurs sont eux-mêmes en prise avec la crise mais il y a tout un ensemble de coordinations qui est en cours. Aujourd’hui l’Union Européenne a lancé une grande opération pour financer par exemple la recherche, le Programme Alimentaire Mondial travaille avec l’OMS pour la logistique pour pouvoir ouvrir des vols qui vont transporter les équipements, le matériel et le personnel.

Guineenews©: Vous avez dû le constater, depuis l’apparition du virus en Guinée, le nombre de victimes monte de façon vertigineuse au fil des jours, qu’est-ce qui expliquerait selon vous cette rapide propagation ?

Pr Georges Alfred Ki-Zerbo : Le Covid19 est une pandémie qui s’est propagée rapidement partout où il est survenu depuis les premiers cas en Chine, ensuite sa propagation en Asie, en Europe, aux Etats-Unis et maintenant en Afrique. C’est une maladie qui se transmet soit directement avec les rapports inter humains en particulier avec les gouttelettes de salive, soit lors de la toux ou des éternuements. Mais aussi c’est une maladie qui se transmet indirectement par exemple à travers les poignets ou sur toute surface touchée par un individu qui n’a pas les mains propres. Donc c’est une maladie qui se transmet assez facilement. Ce qui peut réduire la transmission ce sont les mesures d’hygiènes qui ont été mis en avant au début, c’est-à-dire le lavage des mains à l’eau et au savon, à la solution hydro alcoolique ou à d’autres désinfectants. C’est également la distanciation physique, éviter les grands rassemblements, les réunions trop rapprochées et aussi les mesures barrières qui ont été ajoutées avec le port du masque. Je crois que ce sont des mesures qui visent à réduire la transmission. Il y a aussi les mesures de cordon sanitaire entre les zones à forte transmission et les zones moins touchées.

Donc c’est cela qui peut réduire la transmission, mais laisser à lui-même, c’est un virus qui se transmet très rapidement et qui se développe dans la communauté et brusquement les cas émergents. J’aime souvent utiliser l’image d’un iceberg, ce qu’on voit à l’extérieur c’est la pointe de l’iceberg, en général la masse qui est en dessous est beaucoup plus importante et cette masse là ce sont les contaminations, donc ce qu’on voit ce sont les gens qui sont hospitalisés.

Guineenews© : Ces mesures que vous venez d’énumérer sont appliquées pratiquement partout mais malgré tout, le nombre augmente crescendo, y a-t-il d’autres moyens pour casser cette contamination de masse ?

Pr Georges Alfred Ki-Zerbo : pour cela, il faut travailler vraiment à tous les niveaux, notamment au niveau de la prise en charge pour que les cas qui sont positifs soient pris en charge rapidement mais aussi remontés la chaîne de contact, parce que chaque cas a été en contact avec plusieurs personnes, ça peut être la famille, des collègues de travail, des personnes rencontrées dans des occasions diverses. Il faut donc être rigoureux dans le suivi des contacts pour éviter que la chaîne de transmission ne se multiplie. La Guinée a eu une augmentation rapide de cas à l’instar des autres pays et je pense que  c’est l’ensemble de ces mesures d’hygiène, de barrière et aussi l’ensemble des mesures de prises en charge qui consiste à isoler les malades, leurs contacts, les cas suspects, qui peuvent briser la chaîne de contamination.

Il faut donc un dispositif suffisamment robuste pour prendre en charge tous ces cas mais ce n’est pas facile. C’est un dispositif qu’il faut améliorer au fur et à mesure, parce que même les pays qui ont un système de santé réputé très robuste ont été à la limite débordés par l’augmentation des cas, il faut innover et le faire aussi dans le sens de la culture locale. Il faut dans ce cas des interventions communautaires fondées sur nos savoirs traditionnels, véhiculer des messages que les gens peuvent comprendre et auxquels ils peuvent adhérer.

Guineenews© : Vous avez parlé de plusieurs mesures pour empêcher sinon pour limiter la propagation du virus, mais on sait que les pays occidentaux ont opté pour le confinement que vous n’avez pas évoqué ici, pensez-vous qu’il soit possible de confiner les populations dans les villes africaines notamment à Conakry ?

Pr Georges Alfred Ki-Zerbo : Il ne faut pas généraliser, je pense que les approches doivent être contextualisées dans chaque pays. Même à l’intérieur des pays,  les situations peuvent varier d’une région à une autre. Il faut faire la balance des choses entre les interventions de riposte et ce qui touche aux perceptions des gens, à leur vie quotidienne, à leur survie parce que souvent les gens se trouvent dans des conditions de précarité. Et je pense qu’il faut trouver la bonne balance pour chaque situation, pour chaque pays en fonction de la dynamique de la maladie. Donc c’est une analyse qui doit être complète, qui doit être rigoureuse et qui doit viser à atteindre des résultats avec un menu d’approche, il n’y a pas une seule approche qui soit la panacée. Le cloisonnement à lui seul ne suffit pas sans règle d’hygiène, les règnes barrières à elles seules ne suffisent aussi, c’est vraiment une complémentarité de plusieurs mesures et aussi en tenant compte de l’acceptabilité, de la soutenabilité de ces mesures dans un contexte particulier. Donc il faut balancer le résultat en termes de santé publique et les résultats en termes de survie, de bien être, de protection sociale et même en termes de droits humains. Parce qu’on a vu dans certains pays à revenus modérés le confinement a tourné en émeutes, à la répression. Il faut vraiment des mesures rigoureuses mais qui soient encadrés avec des accompagnements pour le bien être des personnes.

Guineenews© : Dans la prise en charge des cas de Covid19 en Guinée, plusieurs observateurs sont sidérés de constater que la Guinée n’était pas du tout préparée à faire face à cette pandémie, malgré la survenue toute récente  de l’épidémie d’Ebola. Partagez-vous cette appréhension?

Pr Georges Alfred Ki-Zerbo : Vous savez il y a des leçons à tirer de la riposte de la maladie à virus Ebola mais il y a aussi des adaptations parce que le Covid, c’est une maladie qui est différente, qui en général couve dans la communauté avant de se révéler et qui se révèle de façon plus explosive et avec une rapidité beaucoup plus grande. Avec Ebola, la contamination se fait avec des personnes qui sont immédiatement proches du malade, la deuxième différence c’est que Ebola est transmis quand la personne infectée développe des signes, hors avec le Covid, c’est possible que la personne qui est dans la phase d’incubation, puisse commencer à transmettre le virus. Donc à cause de tout cela beaucoup de pays se sont retrouvés dans une situation difficile à gérer et la Guinée ne fait pas exception à cette évolution.

Maintenant le dispositif qui était là pendant Ebola peut servir en matière de surveillance, d’équipements, d’intervention rapide, en matière d’agent et de relais communautaires, de communication sur les risques. Mais c’est un dispositif qu’il faut réactiver. Je pense que ça demande du temps pour remettre en place le dispositif et il faut qu’on aille dans ce sens pour pouvoir agir sur l’interruption de la transmission du virus Covid. On apprend au fur et à mesure qu’on avance, que c’est un virus qui est nouveau, qui donne des défis au système de la santé, au système de production et à la vie des gens au jour le jour. Donc il faut s’adapter et mettre des mesures vigoureuses pour qu’on puisse réduire la transmission et atténuer les effets socioéconomiques le plus rapidement que possible. Donc il faut de la patience, de la persistance, il faut beaucoup de coordinations, il faut décentraliser les interventions dans la communauté, les collectivités locales et avoir une plateforme inclusive pas seulement du gouvernement et des partenaires au développement mais de tous les acteurs : la société civile, les leaders communautaires, les religieux, les jeunes, le secteur privé. Il faut vraiment une union pour faire face à ce défi-là qui est de taille.

Guineenews© : Il y a ce débat qui fait la une autour de l’Artemisia, cette plante qui entre déjà dans le traitement du Covid19 à Madagascar. La Guinée aurait entamé l’expérimentation sous la houlette du conseil scientifique. Quelle est votre lecture de ce procédé?

Pr Georges Alfred Ki-Zerbo : Je crois que l’artemésia est une plante médicinale qui est bien connue dans plusieurs pays, pas seulement en Afrique mais en Asie aussi. Il y a des dérivés de cette plante qui sont incorporés dans les médicaments qui luttent contre le paludisme, on les appelle les combinaisons thérapeutiques à bases d’arthémisinine, la savante chinoise qui en a dérivé le principe actif a eu le prix Nobel de médecine. Donc l’arthémisinine est connue depuis des siècles dans plusieurs cultures et en particulier la culture asiatique chinoise mais aussi est utilisée à Madagascar dans la médecine traditionnelle.

L’organisation mondiale de la santé fait la promotion de la pharmacopée traditionnelle. Chaque année au mois d’août, il y a eu une célébration de la journée de la médecine traditionnelle et donc l’OMS en particulier le bureau régional pour la région africaine basée à Brazzaville célèbre cette journée avec les Etats membres et les institutions de recherche.

Il est recommandé par l’OMS que les résultats de la médecine traditionnelle soient validés avec la même rigueur scientifique que les résultats de l’industrie pharmaceutique. Donc l’idée c’est de faire des vraies recherches qui aboutissent à la détection d’un principe actif, à la détection de la dose qui soigne, à la détection des effets secondaires éventuels et au conditionnement qui permettra une utilisation sécurisée de ces médicaments. Donc voilà le processus qui est recommandé par l’OMS, on n’a pas de partie pris ou d’à priori, mais c’est la méthode de validation qui est recommandé.

Dans plusieurs pays africains, vous avez des dérivés qui ont été validés et qui sont produit pour différentes pathologies. Je pense que pour ce qui est du produit qui a été développé à Madagascar nous avons compris que c’est un institut de recherche qui fait des travaux et qui continue ses travaux et qui a partagé avec d’autres pays. Il est recommandé que les autres pays qui s’y intéressent, puissent mener leurs recherches propres pour voir comment cette plante peut être efficace. Parce que sur le plan curatif, il faut la part des choses, il y a des plantes qui soignent les symptômes, il y a aussi des plantes qui ont des résultats sur le microbe ou le virus et quel est le degré d’efficacité. Donc il n’y a pas d’apriori, l’OMS encourage la poursuite des recherches en médecine traditionnelle et dans la pharmacopée moderne aussi pour que médicament et même vaccin puissent être trouvés rapidement.

Guineenews© : En tant que représentant de l’OMS, quelles sont vos projections pour la Guinée pour fin mai ?

Pr Georges Alfred Ki-Zerbo : La tendance actuelle est une augmentation de nombres de cas et avec l’augmentation de la capacité de diagnostic, il faut s’attendre à une hausse du nombre de cas. C’est-à-dire plus le nombre de tests augmente chaque jour, plus il faut attendre à une augmentation du nombre de cas. Ce n’est pas mauvais d’avoir plus de cas, ce qui est important c’est d’avoir une riposte rationnelle, cohérente mais sinon une épidémie c’est une courbe. Donc il faut vraiment renforcer la surveillance, le suivi des contacts et remonter jusqu’à chaque source et essayer de s’assurer qu’on n’a pas de personne qui soit laissée hors suivi. Mais ça demande beaucoup plus de moyens, de ressources humaines sur le terrain et peut être aussi de nouvelles méthodes.

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