Chaque année, les universités, dont l’une des principales responsabilités est de préparer les étudiants à occuper différentes fonctions dans la sphère socio-économique, déversent sur le marché du travail, des diplômés prêts à être embauchés. Une fois sur ce marché, l’un des défis majeurs auxquels font face ces diplômés est l’employabilité, c’est-à-dire leur capacité, de par leurs compétences, à être sollicités sur le marché de l’emploi. Mais hélas ! Aujourd’hui, l’insertion professionnelle des jeunes diplômés se heurte à la triste réalité qu’est le chômage.
Or, jusque dans les années 1980, les diplômés étaient automatiquement insérés à la fin de leurs études. La situation de plein emploi faisait alors l’actualité à cette période. « Les longues études» étaient capitalisées pour une insertion professionnelle efficace. De plus, elles attribuaient aux diplômés un rang social privilégié et convoité qui assurait la dépendance entre études, salariat et réussite sociale. Malheureusement, la politique d’ajustement structurel consécutif des années 90 va favoriser le ralentissement du recrutement systématique des diplômées par les pouvoirs publics. C’est l’inadéquation entre la formation et les offres d’emplois qui pose surtout problème dans notre pays.
Quand les diplômes débouchent sur le chômage et le sous-emploi
Le chômage chronique des diplômés rétrécit considérablement la force d’attrait de l’école et de l’université. Ainsi, l’image de l’intellectuel diplômé voit aujourd’hui son estime sociale se détériorer. Fort de cela, la réussite sociale ne se révèle plus exclusivement en termes de capitalisation de diplômes découlant sur un emploi dans l’administration publique ou dans le secteur privé. Les réussites dans l’informel, dans l’agriculture, dans le sport, dans la musique et dans le militantisme politique sont illustratives des bouleversements constatés dans les représentations sur les trajectoires de l’ascension sociale.
L’insertion socioprofessionnelle des diplômés reste une question pour laquelle l’Etat guinéen peine à trouver des réponses appropriées. Qu’ils soient hommes ou femmes, les mieux diplômés des universités ont davantage de difficultés à trouver un emploi que leurs homologues peu éduqués. Fort de cela, ils se retrouvent aujourd’hui en nombre important sur le marché professionnel face à une offre d’emploi très insuffisante pour les absorber. L’obtention d’un diplôme universitaire apparaît pourtant comme l’un des moyens les plus sûrs de se prémunir contre les difficultés d’accès au travail en Guinée.
La persistante dégradation de l’insertion des diplômés universitaires en Guinée, remet toutefois en cause le sentiment de sécurité lié au fait d’avoir accompli avec succès un parcours à l’université. On constate en effet que le fait de détenir un diplôme universitaire ne garantit pas forcément l’accès au marché professionnel. « J’ai fini mes études en 2015. Jusqu’ici je n’ai pas trouvé le travail correspondant à mes études. J’ai fait la comptabilité. Après des stages dans les cabinets comptables, partout où je passe, c’est le même refrain : il n’y a pas d’embauche. Face à cette réalité, je me vois aujourd’hui obligé de gérer une sandwicherie pour tenir le coup », nous raconte Moustapha D., rencontré dans un fast-food à Kaloum.
En Guinée, on constate un certain paradoxe où le sous-emploi reste très important chez les jeunes diplômés des universités. Ils rencontrent des difficultés graduelles d’accès à l’emploi, qui engendrent une insertion plus lente et plus exposée qu’auparavant à la précarité et à l’instabilité professionnelle. Plusieurs des leurs n’ont pas, des années après la fin de leurs études, un travail correspondant au niveau auquel leurs diplômes les ont théoriquement préparés. Il se perçoit aussi des lourdeurs dans le système d’insertion socioprofessionnel censé faciliter l’accession des diplômés sur le marché du travail.
L’arrivisme et le favoritisme s’imposent sur le marché d’emploi
L’extension de l’arrivisme, du népotisme, du favoritisme et la recherche du gain facile au sein de la société guinéenne influencent, désorientent et découragent les diplômés universitaires. L’image que génère ces formes de réussites sociales impacte leur accès à l’emploi.
Pour les diplômés en quête d’emploi, les valeurs capables de rendre important le travail sont l’utilisation de ses capacités, l’accomplissement de soi, l’avancement, l’autorité, le gain économique, la sécurité économique, la stimulation intellectuelle, la participation aux décisions de l’organisation, le prestige, la responsabilité. Ces valeurs se résument à la sécurité de l’emploi, la réalisation de soi et à la reconnaissance sociale. Mais tout cela est foulé aux pieds pour privilégier la voie « relationnelle ou parentale». Après l’obtention du diplôme du Brevet de Technicien Supérieur ou la licence, les étudiants des grandes écoles, des universités privées, sont souvent sans emploi ou sont parfois contraints de s’engouffrer dans l’informel. L’attachement plus ou moins généralisé des Guinéens à l’informel s’avère être l’une des conjonctures économiques remarquables des années 90 avec le régime militaire. Cette situation a favorisé hâtivement des bouleversements dans les imaginaires de réussite sociale en faisant des partisans de la bourgeoisie commerçante des références de réussite.
…Et pourtant les diplômés souhaitent un emploi stable
Eu égard au temps passé aux études, les diplômés universitaires interrogés conçoivent la réussite socioprofessionnelle comme une expérience individuelle de réalisation d’objectifs spécifiques primordiaux liés à la stabilité du travail et à l’épanouissement personnel dans une activité professionnelle attractive ou pour laquelle les personnes se sentent aptes. Plusieurs des enquêtés de la présente étude accordent une valeur essentielle à la stabilité dans le travail. Ils veulent avant tout pouvoir trouver de l’emploi, le conserver, ne pas être éjecté. Pour eux, la réussite socioprofessionnelle se mesure plus à travers la stabilité de l’emploi. De ce fait, la plupart d’entre eux perçoit l’accès à la fonction publique comme un signe de réussite. A D, diplômé en Master II relate ses propos en ces termes : « La réussite professionnelle, c’est lorsque tu as un emploi stable. Ma propre grande sœur a été virée de son boulot au privé parce que son patron avait été remplacé. Je préfère la fonction publique à cause de la stabilité ».
Au-delà des années 1990, la Guinée traverse une autre phase de sa situation socio-économique. Il s’y perçoit en effet, une détérioration très avancée des conditions de vie des populations, l’apparition de la pauvreté, des niveaux de chômage surprenants. D’où l’apparition d’une angoisse collective.
….La Fonction Publique, une aubaine
La possibilité de pouvoir rentrer à la fonction publique est alors pour plusieurs des enquêtés une grâce, une aubaine pour atteindre la réussite professionnelle du fait des différents privilèges que peut leur offrir la fonction publique comparativement au privé. Il peut également s’agir de la construction de la retraite. C’est en cela que pour certains diplômés universitaires, la réussite socioprofessionnelle ne s’exprime pas en termes de rémunération, lorsqu’ils parlent de l’emploi, ils soulignent la nécessité de sa stabilité.
Le choix d’un emploi est parfois tributaire du salaire qu’il pourrait générer. Certains considéraient leur travail comme purement instrumental : subvenir aux besoins de sa famille. Un bon nombre des individus interrogés opte ainsi pour un emploi si et seulement si le salaire leur convient ou correspond à leurs attentes. Cela est d’autant plus logique si l’on considère le travail comme une source génératrice de revenu. Ici, le diplômé fait une évaluation de la réussite à travers la dimension matérielle du travail. Lorsqu’un gradué universitaire aborde par exemple un indicateur de la dimension matérielle, il enchaîne aussitôt avec des aspects qui excluent toute situation de précarité. Les propos de K S, étudiant en Master II de comptabilité audit et contrôle font office de témoignage. « Je suis en Master II comptabilité audit et contrôle. Ma principale source de motivation c’est la rémunération, un bon salaire pour un grand travail abattu. Si je suis expert-comptable et que je suis rémunéré au moins 10 millions par mois, je peux dire que j’ai réussi ; autrement, je vais dire je me débrouille ».
Bien que n’ayant pas encore accompli leurs projets personnels, une partie des diplômés interviewés ne se font pas prier quant à la définition de leurs rêves professionnels. À ce propos, ces derniers perçoivent la réussite socioprofessionnelle comme la capacité de devenir opérateur économique, être en mesure de créer soi-même sa propre société, pour embaucher d’autres personnes en vue de leur réussite professionnelle. Ainsi, ces diplômés lient leurs activités de travail à l’atteinte d’objectifs personnels et à la passion dans la tâche exercée.
Au-delà de la réalisation de leurs projets personnels, de la liberté et de la responsabilité d’exercer pleinement le travail, la latitude d’exercer des activités non monotones fait partie intégrante de l’appréciation de la situation professionnelle des diplômés universitaires. À ce propos S P, 25 ans, diplômée en Master II, affirme : « La réussite socioprofessionnelle, c’est avoir un métier ou un travail indépendant, non monotone et non stressant, dans lequel j’ai la possibilité de bouger, de faire d’autres affaires ».
L’image des fonctionnaires gracieusement récompensés impactent négativement l’entrepreneuriat
En effet, le dispositif juridique de la création et du fonctionnement de la micro entreprise en Guinée constitue un facteur de risque pour les adhérents. Outre cela, l’aspirant à l’entrepreneuriat est confronté à un obstacle culturel. Les Guinéens appréhendent l’entrepreneuriat comme du ressort de l’Etat et des investisseurs extérieurs. Par ailleurs, l’image des fonctionnaires toujours gracieusement récompensés malgré la liberté et le laxisme dans la pratique de leurs tâches quotidiennes, l’idée de la vie somptueuse menée par les pouvoirs politiques dans un laps de temps impactent les imaginaires de réussite socioprofessionnelle de bon nombre de gradués universitaires. Cette situation les pousse à espérer et à s’investir à acquérir un emploi stable, malgré les aléas du marché professionnel.
Entre stabilité et satisfaction personnelle
Le travail constitue une valeur fondamentale de socialisation, voire de réalisation et de satisfaction de soi. Le besoin de réussite socioprofessionnelle est très profond chez les diplômés universitaires. Dans son ouvrage désigné « les diplômés de l’université Nationale du Bénin, fin d’études, destin et trajectoires » distingue le salariat et l’informel dans les trajectoires post universitaires. Il révèle en effet, que la réussite sociale des diplômés du supérieur découle de la sécurité de l’emploi et de l’épanouissement personnel dans le poste occupé. L’auteur souligne que les jeunes diplômés s’orientent vers le salariat fort de leur attachement à l’image de l’emploi stable et à la régularité des revenus. Quant à l’entreprenariat, elle se présente pour les jeunes diplômés comme une figure ultime de la réussite personnelle, individuelle.
En effet pour certains être insérés professionnellement c’est avoir un contrat à durée indéterminée (CDI) ou lorsqu’on a de bonnes compétences en employabilité. L’emploi favorise culturellement l’autonomie et l’émancipation. Conséquemment, un diplômé en situation de chômage et de sous-emploi est perçu comme un échec pour lui-même et pour la société. Dans ce contexte, l’expectative recelée d’un emploi dans la fonction publique est désormais estimée comme un dû chez bon nombre de jeunes diplômés. Ce sentiment devient toutefois un fait socioculturel prégnant qui étouffe l’entrepreneuriat chez ces derniers en Guinée.
La recherche d’emploi apparaît pour les diplômés comme une lutte individuelle pour la reconnaissance. Perçus comme un signe de réussite socioprofessionnelle, les diplômés universitaires se donnent alors à voir à travers leurs professions, leurs travaux.
Car, le travail constitue pour eux une source d’intégration de la personnalité de l’individu, une première identité, un statut de base, une forme d’estime. En outre, le travail joue quatre fonctions distinctes : économique, sociale, psychologique et une fonction de hiérarchisation des statuts sociaux. Au niveau social, le travail favorise les interactions, au niveau psychologique le travail est une source essentielle de l’identité, de l’auto-estimation de l’autosatisfaction de la personne.