Travaux pénibles dans les domiciles, exploitation abusive, maltraitance, punition allant jusqu’à la privation de vivre, bastonnade, séquestration et parfois l’esclavage sexuel…En Guinée, le phénomène de la traite des jeunes filles fait ravage. Loin cette fois-ci du Koweït, de Beyrouth ou du Ryad…Guineenews© a mis le couteau dans la plaie !
En provenance essentiellement des zones rurales, tantôt appâtées par de fausses promesses de travaux décents dans l’eldorado de Conakry, tantôt victimes de leur naïveté, ou poussées par la misère ou même enlevées, elles se retrouvent piégées, sans repère ni soutien dans les filets de véritables réseaux mafieux. A travers donc les mésaventures de quelques filles, nous ouvrons une enquête sur ce crime sournois aux multiples visages qui sévit tranquillement en république de Guinée et dans l’indifférence totale.
En septembre dernier, à la gare routière de Madina dans les locaux des syndicats des transporteurs, Dame Khadiatou Bah, tout en larmes retrouve enfin sa fille Mouminatou, victime depuis trois ans de maltraitance et d’exploitation abusive par une de ses tantes partie la chercher au village à Dabola à l’âge de six ans pour, selon elle, la scolariser à Conakry. Une atmosphère étreinte d’émotion qui marque l’épilogue d’une procédure entamée il y a quelques mois en arrière.
Le 29 septembre dernier. Il est 19 heures quand Mouminatou, une fillette de 10 ans, seule et affamée, descend d’un minibus sans régulariser son titre de transport. Menacée par l’apprenti du bus, elle court se refugier dans le hangar des syndicats. Le chauffeur ayant compris que la petite ne pouvant payer son transport, rappelle son apprenti. Sous le hangar où elle est accueillie, la petite Moumi présente des signes d’une personne en détresse. Elle a dans sa main droite un morceau de pain qu’elle a pioché dans une poubelle. Visage creux aux yeux jaunâtres et larmoyants, un corps frêle dans une robe aux couleurs sombres et délavées. Elle est dans un état crasseux qui reste bien visible par ses cheveux courts poussiéreux malgré la nuit tombée. La peau sèche et les pieds dans les sandalettes, elle est accueillie par les membres du syndicat des transporteurs avant d’être remise à la gendarmerie où elle sera reçue par derniers agents encore au bureau. Après l’avoir mise en confiance en lui donnant à manger, la petite fille naguère apeurée, s’ouvre peu à peu à ses bienfaiteurs qui se rendent très vite compte qu’ils ont à faire à un cas de fugue pour maltraitance.
Selon ses dires, elle s’est enfuit de chez sa tante à Coza, dans la commune de Ratoma où elle vivait parce que maltraitée par cette dernière qui l’affame et la contraint aux travaux domestiques sans repos, mais aussi à la vente du jus de fruits. Chose grave, c’est qu’elle est régulièrement battue par sa tante. Pour mettre fin à cette vie infernale, elle décide de s’en fuir et de trouver refuge chez une parente à Dixinn-gare. Mais ne connaissant pas la ville, elle monte à bord d’un minibus, direction Madina. Une marche qui l’a conduit sur le plus grand marché de la capitale. Après ce récit pathétique de la gamine, les agents de la gendarmerie décident de la conduire au ministère. C’est ainsi que sa mère alertée la veille par une connaissance de passage au marché, débarque à la gare routière de Madina…
Il y a combien de Mouminatou exploitées dans les foyers à Conakry ? Combien de Mouminatou se promènent à travers les rues de la capitale avec la tête chargée de fruits ou de sachets d’eau glacée ? Et que dire de cette fillette de 9 ans et demi, battue à mort par sa tante pour avoir renversé, par inattention le plat de son « tonton » ?
La traite des jeunes filles : Une réalité au quotidien
A Conakry, l’intensité du travail féminin qui se déploie dans la vie domestique et marchande s’impose à l’observateur. A côté des femmes qui partent dans les villes, exercent diverses petites activités commerciales et artisanales, on remarque toujours la présence de fillettes et d’adolescentes occupées à toutes sortes d’activités. Aux abords des maisons, elles transportent des bassines et des bidons d’eau ; chargent des sacs de charbon sur la tête, acheminent les denrées nécessaires à la préparation des repas. Dans les cous, elles balayent, aident à la cuisine, récurent les casseroles, lavent le linge, s’occupent des jeunes enfants. Sur les trottoirs de la ville, elles vendent des sachets d’eau glacée, des beignets, des cacahuètes. Et même devant les écoles, les usines, les bureaux, elles assistent des femmes à la vente des mets. La plupart de ces filles ont entre 10 et 20 ans, non scolarisées, elles vivent et travaillent dans les ménages où ne réside aucun de leurs parents géniteurs.
Il reste à ce jour impossible de chiffrer avec précision ce phénomène, mais les petites domestiques sont indéniablement très nombreuses dans la capitale. Généralement, ce sont les très jeunes travailleuses qui effectuent la majeure partie du service domestique. L’importance numérique de cette main d’œuvre urbaine, principalement composée d’enfants migrants d’origine rurale, a d’ailleurs et de longue date, une répercussion évidente sur la démographie de Conakry.
Un business juteux pour des parents pauvres et de certains réseaux
Le milieu des travailleuses domestiques est un univers mafieux, à la limite de trafic humain. Ces fillettes venues des zones rurales par l’intermédiaire d’un parent ou par un réseau bien implanté à Conakry travaillent sans aucun contrat de travail. Elles travaillent sans repos, constamment exposées à toutes sortes de violences. C’est la triste réalité d’une majorité de ces filles employées de maison ou « en éducation chez une tante » communément appelées « bonnes à tout faire » ou « servantes ». Généralement, peu qualifiées, leurs compétences sont rarement reconnues et elles ne savent pas comment échapper à cet univers d’exploitées.
Le constat est accablant : le milieu des filles « en éducation chez les tantes ou les sœurs », pardon, des domestiques mineurs exploitées est impitoyable. Notre enquête nous a permis de prendre la mesure de la maltraitance de ces filles qui travaillent dans les conditions difficiles et pour un salaire de misère allant de 400 à 500.000 francs guinéens par mois, soit l’équivalent de 48 dollars USD. Un maigre salaire qu’elles partagent, pour celles venues par le biais de recrutements clandestins, avec des responsables des agents de placement de bonnes. Malhonnêtes, les promoteurs de ces agences qui règnent en maîtres-absolus vont jusqu’à ponctionner un pourcentage sur le salaire que doivent percevoir ces filles placées dans les ménages.
A quoi sert le combat du ministère de la Protection des enfants et de nombreux ONG qui pullulent sur le terrain ?
En dehors du département en charge de la Protection de la Petite Enfance, la Guinée compte une multitude d’ONG et associations qui se sont donné pour mission de défendre les enfants et les jeunes en difficulté. Tous ont investi le terrain et mènent des activités. Mais hélas ! Ce qu’il nous a été donné de voir lors de notre enquête, le traitement des enfants placés dans les foyers, montrent qu’il reste encore beaucoup à faire. La situation est déplorable et inquiétante. « Que voulez-vous ? Ces enfants, nous les arrachons souvent dans les familles où ils sont torturés et exploitées. Mais le plus souvent, ça tourne mal entre nos services et les parents des enfants qui nous font croire que ceux-ci sont en éducation. Même celles mariées de force. Lorsqu’on est informé et qu’on se rend sur les lieux, nous sommes chassés par les deux familles sous le prétexte que la jeune fille est dans un lien de mariage. Nous arrivons souvent à arracher certains dans cet engrenage, dans l’enfer où leurs parents les ont jetées. Mais pour combien de temps ? Il n’est pas facile surtout quand les parents de celles-ci sont analphabètes. Nous faisons beaucoup pour redresser la barre, mais nos efforts ne sont pas soutenus ; que les autorités fassent quelque chose pour qu’ensemble nous conjuguons les efforts afin de sauver ces vies innocentes », lance ainsi un appel Marie-Madeleine Kourouma, présidente du ONG « L’Enfant, l’Avenir de Demain ».
Au ministère de la Promotion de la Femme et de la Protection de la Petite Enfance, c’est le même aveu d’impuissance. Là aussi, on nous apprend que les efforts sont fournis sur le terrain, mais ils se heurtent au poids social. « Nous organisons des centaines de séminaires, des ateliers, des campagnes de sensibilisation dans les grandes villes, dans les villages et hameaux, mais la société reste ce qu’elle est. Les gens sont sourds à nos appels. On place les gamines de 7 ans dans des familles pour faire la corvée sans être rémunérées parfois. La Guinée a tous les bons textes pour la protection des enfants, mais leur application se heurte à la tradition. Sinon, nous sommes au courant de tout se qui passe à ce niveau », affirme désespérément Hadja Fatoumata Touré, cadre au ministère de la Promotion des Femme et de la Protection de la Petite Enfance.
C’est donc connue cette exploitation des jeunes filles en République de Guinée. Seulement cette pratique honteuse vue et sue de tous reste toujours impunie.