Nana – C’est le sobriquet que nous attribuons à une gamine dans cette enquête qui suit. Elle est âgée de trois ans et demi et présente des signes d’une infection virale contagieuse appelée la rougeole. Accompagnée de sa mère, les agents de santé expliquent que cette éruption cutanée est due à la négligence des vaccinations de routine. Comme Nana, plus de 70 pour cent des enfants en Guinée ne sont pas complètement vaccinés avant leur premier anniversaire. C’est du moins ce qu’indiquent les statistiques du Programme Elargi de la Vaccination (PEV). (Photos d’archives)
Pourquoi la vaccination des nouveau-nés est rendue obligatoire par l’OMS ?
Au dire des spécialistes de la vaccination, le vaccin contre la rougeole doit être administré au bébé dès 9 mois. Si cela n’est pas fait comme c’est le cas parfois, indique-t-on, l’infection peut apparaître plus tard.
Contre la rougeole ou toutes autres infections contagieuses, tout nouveau-né doit prendre un certain nombre de vaccins dits obligatoires ou recommandés par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Il s’agit de la BCG, la première dose vaccinale administrée dès la naissance pour lutter contre la tuberculose et le polio oral contre la poliomyélite. Ensuite, il y a un deuxième contact à six semaines que sont le PENTA 1 et le VPO1 et puis la Rougeole et la fièvre jaune à partir de 9 mois.
Selon Dr Moustapha Dabo, Coordinateur du PEV, ces vaccins sont en général administrés pour lutter contre les maladies infectieuses notamment l’hépatite, le tétanos, la diphtérie, la coqueluche qui sont appelés les maladies ‘’tueuses’’ de l’enfant.
Suite à la Déclaration d’Alma-Ata, tenue à la fin des années 70 sur les soins de santé primaires et à l’Initiative de Bamako visant à réduire la mortalité et la morbidité chez les enfants, le Programme élargi de vaccination a vu jour dans de nombreux pays du monde entier.
Le taux de vaccination des nouveau-nés toujours faible en Guinée, presque 30 ans après la mise en place du PEV
En Guinée où existe depuis 1988 le Programme Elargi de Vaccination (PEV), la couverture vaccinale reste toujours insuffisante. Selon les estimations OMS/UNICEF 2016, le taux de mortalité des nourrissons de moins d’un an est de 61 décès sur 1000 et de 94 sur 1000 chez les enfants de moins de 5 ans. Une situation qui s’explique en partie par le manque de renforcement des vaccinations de routine. Au cours du forum national de la vaccination, tenu en octobre 2017, la première Dame de la République, Hadja Djènè Condé déplorait la faiblesse de la couverture vaccinale en Guinée. Soit 1 enfant sur 4 est complètement vacciné, affirme le site officiel du gouvernement guinéen.
Faire vacciner systématiquement tous les enfants, le cheval de bataille des institutions internationales
Pour remédier à cette situation, le Représentant de l’OMS, Pr. Alfred Ki-Zerbo estime qu’il faille une mobilisation soutenue en faveur des interventions visant à renforcer la vaccination de routine. C’est l’une des interventions de santé publique les plus efficaces en termes de coût et d’efficacité, a-t-il déclaré.
Cet appel du Représentant de l’OMS en Guinée n’est sans doute pas tombé dans de oreilles sourdes. Car, le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) qui a fourni en 2016, 2,5 milliards de doses de vaccins à des millions d’enfants dans près de 100 pays dont la Guinée.
Cette agence onusienne spécialisée dans la protection des enfants a appuyé en février dernier une campagne de vaccination avec 3.286.620 doses de vaccins de polio oral pour un coût de 650.166 dollars (6.975.633.200 gnf), pour plus de trois millions d’enfants de moins de 5 ans.
Outre, l’UNICEF, il y a plusieurs autres acteurs qui s’investissent dans le ravitaillement des doses vaccins protectrices et gratuites ainsi que dans l’accompagnement du PEV pour mener à bien la mission sur l’ensemble du territoire guinéen.
«Nous devons être conscients que le pays consent d’énormes efforts pour rendre gratuitement disponibles les vaccins en collaboration avec les partenaires dont je salue les engagements et appuis inestimables », a indiqué la première Dame au cours du dernier forum national sur la vaccination, tenu en octobre 2017.
Tant d’efforts pour des résultats encore dérisoires à cause des velléités mercantiles de certains agents de santé ! Quelques cas révélateurs que sidérants à Conakry.
Malgré ces appuis massifs qualifiés d’ «inestimables », force est de constater que les vaccins dans de nombreux services de santé publique sont donnés dans certaines structures sanitaires de Conakry contre des espèces sonnantes et trébuchantes.
Au centre de santé de Lambanyi par exemple, les femmes venues pour faire vacciner leurs enfants, sont reçues par ordre d’arrivée moyennant 1.000 francs guinéens, comme frais d’accès.
Les agents entre ‘’l’escroquerie’’ à ciel ouvert et la violation éhontée de leur déontologie
A la question de savoir si l’accès à la vaccination est payant, une infirmière au niveau de la réception nous répond par la négative avant d’ajouter sèchement : payez l’argent ou restez à l’écart pour laisser les autres avancer.
Plus loin, dans la salle de vaccination, l’on peut trouver deux à trois agents de santé ainsi que des vaccins et des enfants qui attendent de recevoir leur dose de vaccin. A ce niveau, on y est contraint de donner de l’argent aux vaccinateurs. «Ce n’est pas le prix des vaccins, mais il faut y laisser 5.000 francs guinéens », nous fait remarquer un agent sur place.
Face à ces agissements qui enfreignent la gratuité de la vaccination, Mme Savané ne cache guère sa stupéfaction et sa déception. «Je suis très surprise. Tout à l’heure on m’a fait payer 1.000 francs à la rentrée et chez vous ici, on nous exige 5.000 francs guinéens. Pourtant, à la télévision, il est dit que c’est gratuit », s’est-elle plainte.
Pourtant dans la même salle, l’on peut apercevoir des cartons de doses de vaccins entreposés frappés de l’inscription, ‘’Gratuit ou interdit à la vente’’.
Une mention expresse portée sur les emballages des vaccins qui n’a jamais eu raison des velléités mercantiles des ‘’agents vaccinateurs’’. Mieux, dans le hall du bâtiment abritant le centre de santé de Lambanyi, on peut voir plusieurs exemplaires d’une note de service datant de mai 2017, signée par la directrice communale de la Santé de Ratoma, Dr Hadja Fatoumata Conté invitant ces mêmes agents de santé à observer « des attitudes conformes à la déontologie et au serment d’hippocrate lors de leurs prestations de service ».Des prestations qui incluent l’effectivité de la gratuité de la vaccination ainsi que d’autres services tels que la césarienne, les accouchements ou encore la distribution des moustiquaires imprégnées, lit-on dans la même note.
Ce système qu’on peut à bien d’égards assimiler de par sa pratique à de l’arnaque organisée, n’est nullement l’apanage des seuls centres de santé se trouvant dans les communes de Ratoma ou de Dixinn à Conakry. Cette ‘’escroquerie généralisée’’ a également cours dans d’autres structures sanitaires de la capitale. C’est bien le cas à la maternité Bernard Kouchner, sise au quartier Coronthie, dans la commune de Kaloum que avons eue à sillonner pendant que nous menions investigations.
Bien que devenue ‘’virale’’, l’existence de ce système est ‘’ignorée’’ sur le terrain par les autorités
La pratique, bien que largement répandue, semble échapper à la vigilance de la structure en charge de la vaccination en Guinée. En tout cas, c’est ce que soutient le Responsable du Programme Elargi de Vaccination (PEV).
«Nous partons sur le terrain pour apporter l’appui technique et pour le moment, nous n’avons pas encore rencontré de mère qui nous a fait part d’un telle inquiétude (le fait de leur faire payer la vaccination, NDLR)…», a affirmé Dr Dabo qui précise par ailleurs que le ministère de la Santé a mandaté et orienté le PEV pour que la vaccination soit gratuite dans les centres de santé pour les enfants et lors des campagnes.
Ce que nous faisons, affirme-t-il, c’est de mettre tout en œuvre pour appliquer cette politique de gratuité de la vaccination. Nous procédons à la supervision mais toujours est-il que nous avons besoin du retour des bénéficiaires, a-t-il fait savoir.
Dans les centres de santé sillonnés, aucun responsable n’a voulu se prêter à nos questions. Nous sommes sur la rédaction des rapports, il faudrait plutôt prendre un rendez-vous sinon dans l’immédiat, ce n’est pas possible. Tels sont, entre autres, alibis tout trouvés par nos différents interlocuteurs pour se dérober à nos questions. Même lorsqu’on les joignait par téléphone pour tenter d’obtenir d’eux des réponses ou des explications à ce phénomène qui pourtant est légion un peu partout.
Par contre, un agent de santé nous a, sous le couvert de l’anonymat, confiés que la plupart des agents sinon des centres de santé violent cette gratuité à cause de la précarité dans laquelle ils vivent.
«Nous évoluons dans une précarité dans ces hôpitaux et la plus part des agents sont des stagiaires non rémunérés », a-t-il expliqué. Sauf que cette « nécessité » invoquée peut constituer des facteurs susceptibles de décourager certains parents qui vivent dans le même dénuement, à aller faire vacciner leur enfants dans les structures sanitaires.
Quoiqu’il en soit, c’est l’état d’âme qu’on appréhende chez certaines mères de famille qu’on a interrogées à la faveur de cette enquête. Certaines parmi elles nous ont confiés qu’elles n’ont pas la possibilité de payer régulièrement cette somme à chaque fois qu’elles doivent faire vacciner leurs enfants.
C’est le cas de Sarata, mère de jumeaux : « j’ai des jumeaux. Donc, à chaque fois que je dois venir les faire vacciner, je paie doublement. Parfois je ne respecte pas la date faute d’argent. Il m’arrive même que je m’interroge si je dois leur trouver de quoi manger ou aller les faire vacciner. Je ne travaille pas et mon époux qui est carreleur de profession, se débrouille parce que ce n’est pas à tout moment qu’il trouve des contrats.»
Une réalité parmi tant d’autres, qui constitue à n’en point douter une des causes fondamentales de la non-observance du calendrier vaccinal de certains bébés, et que les médecins qualifient, de leur côté, de ‘’négligence’’ des vaccinations de routine.
Nécessité d’entreprendre urgemment des initiatives idoines par les autorités, un impératif pour sauver des millions d’enfants guinéens
Dans l’un ou l’autre cas et quoiqu’il en soit, entre la négligence des vaccinations de routine, l’insuffisance de la couverture vaccinale ou la non-effectivité de la gratuité de la vaccination, c’est la survie des milliers voire des millions d’enfants qui est menacée en Guinée. Si naturellement des dispositions juridiques, administratives et politiques fortes ne sont urgemment prises à l’effet de rendre obligatoire la vaccination et de mettre définitivement un terme à cette forme d’arnaque qui crève les yeux et les cœurs dans presque tous les établissements sanitaires du pays et dont sont quotidiennement victimes de nombreuses mères.
Enquête réalisée par Mame Diallo