La Guinée possède l’un des plus grands réservoirs d’eau souterraine et d’eau de surface en Afrique selon les hydrographes. Pourtant, le taux de desserte en eau potable est de 2% selon nos enquêtes, comparé à un pays sahélien comme le Sénégal où ce taux est de 98% en milieu urbain et de 82% en zone rurale. En clair, 98% des Guinéens ne sont pas connectés au réseau d’adduction d’eau et sont exposés à tous les risques de santé et autres dépenses liées à l’achat quotidien d’eau minérale dont les usines pullulent dans le pays et l’installation galopante des forages dans les quartiers et dans les domiciles. L’accès à l’eau, ce don de Dieu et source de vie, est un véritable parcours du combattant dans les quartiers de Conakry.
Les populations en quête quotidienne d’eau potable
À Conakry, selon nos enquêtes, seuls 8000 mètres cubes d’eau sont disponibles pour les populations sur un besoin total estimé à 200 000 mètres cubes d’eau par jour. Il est difficile de faire la cuisine pour une famille de trente personnes. Tellement que les pénuries sont devenues chroniques dans les quartiers.
Lors de notre enquête dans certains quartiers de Conakry, nous avons interrogé les populations qui sont tous unanimes sur la situation. Cela fait des années que l’eau a disparu des robinets. Et pourtant, ils reçoivent chaque fin de mois des factures. « On paie des factures d’eau qu’on ne consomme pas. On utilise des bidons et des bassines…, des récipients de tous les volumes. Depuis que l’eau est coupée chez nous en 2009, nous avons recours aux charretiers« , témoigne Fatoumata, habitante du quartier Hermakonon, dans la commune de Matam. Des familles entières font chaque jour des kilomètres à pied pour s’approvisionner dans les bornes fontaines ou au niveau des forages.
Beaucoup de Guinéens ont encore recours aux puits
Cela parait curieux qu’étonnant. Lors de nos enquêtes, il nous a été donné de constater dans certains quartiers l’existence des puits supplantés de poulie… C’est le cas du quartier Hafia où nous avons fait un tour le dimanche dernier. Dans ce vieux quartier surpeuplé, nous avons trouvé un attroupement de femmes dans une cour commune. Ces femmes venues puiser l’eau pour le ménage se disputaient le tour. Elles se « battaient » à l’aide des sceaux, des bidons et autres récipients. Un spectacle accompagné de cris et d’injures grossières. C’est notre quotidien, selon les riverains. « Je puise l’eau dans ce puits depuis que j’ai déménagé dans ce quartier. C’est toujours ainsi. C’est le seul point d’eau du coin où tout le monde se ravitaille en eau. Pour l’eau à boire, nous faisons recours aux forages », a-t-il confié.
Au quartier Koloma, ce sont les mêmes réalités. La longue file de bidons jaunes, l’attroupement des femmes autour des points de forage, l’embouteillage des charretiers. Les complaintes et les lamentations des femmes qui en ont assez des corvées tous les petits matins… C’est le cas de dame Madeleine rencontrée au quartier Demoudoula, dans la commune de Ratoma : « nous souffrons pour avoir l’eau potable. On nous fait payer un bidon d’eau de 20 litres ou un seau d’eau à 2000 francs guinéens. Quand l’eau se coupe dans le quartier, mes enfants et moi remontons vers « Soloprimo » à la recherche d’un forage ou d’un puits ».
Lors de l’une de ses visites du terrain, Taliby Sylla, alors ministre de l’Energie et de l’Hydraulique, s’est rendu compte de cette triste réalité. A la station de Kakimbo, dans la commune de Ratoma, il a constaté des pannes et défaillances, principales causes de la faible capacité de production d’eau. Ce jour-là, le ministre a reconnu que cette station qui produisait autrefois 10.000 à 20.000 mètres cubes d’eau, ne produit aujourd’hui que 8.000 mètres cubes. Séance tenante, il avait promis remédier à la situation pour mettre fin à cette crise. Cheick Taliby Sylla a profité pour interpeler les responsables de la SEG. « Cette pénurie d’eau potable devrait interpeller l’entreprise en charge de la gestion de l’or bleu pour qu’elle fasse des efforts de recouvrement afin de se doter de moyens nécessaires pour acheter le carburant et alimenter ces groupes électrogènes pour fournir de l’eau aux populations », dira-t-il avant de s’en prendre vertement à la direction de la SEG : « quand je prends l’aide que le gouvernement a apporté à travers le Budget national de développement et que nous sommes encore dans cette situation ! Tenez ! Pour l’année 2018 seulement, 90 milliards de francs guinéens ont été envoyés à la SEG pour faire face aux problèmes d’exploitation… »
Sous l’effet de l’émotion ce jour-là, le ministre Taliby a annoncé la bonne nouvelle en indiquant que son département était à pied d’œuvre pour pouvoir développer la phase d’urgence du 4ème Projet Eau et produire en dix mois, 50.000 mètres cubes d’eau pour la ville de Conakry afin de soulager les populations. Il avait aussi annoncé les 30 millions de dollars de la Banque Mondiale, les 72 millions de dollars de la coopération chinoise, 30 millions d’Euros de l’AFD. Mais hélas ! Aujourd’hui la crise d’eau demeure.
Quant à Mamadou Djouldé Diallo, l’ancien directeur de la SEG, il a reconnu ce problème majeur de la desserte en eau potable. Il a reconnu clairement que la SEG utilise des installations vieilles de près d’un siècle avant d’exhorter l’Etat à investir plus dans ce secteur pour soulager les populations. C’était lors de sa dernière rencontre avec la presse. Il a aussi pointé un doigt accusateur sur la croissance rapide de la population et la forte demande ces dernières années. Pour lui, la Société d’Exploitation chargée de l’adduction d’eau potable n’arrive plus à suivre l’urbanisation galopante de Conakry. « Nous sommes dans une crise d’eau. Souvent nous ne pouvons fournir que 4 litres par jour à des personnes qui devraient pouvoir en consommer entre 50 et 100 litres ». Retenons que l’agglomération de Conakry comptait un peu plus d’un million d’habitants en 1997. Ils sont un peu plus de 3,5 millions aujourd’hui », a déclaré l’ancien DG de la SEG.
Des équipements vétustes
Aussi, selon nos sources, sur le site de Yésoulou mis en service depuis des années, seuls 2 000 mètres cubes sont produits par jour sur les 100 000 mètres cubes quotidiens escomptés. Cela à cause d’une fréquence de pannes des machines de l’ordre de deux fois par mois. Dans la même lancée, nos interlocuteurs accusent le manque d’investissement. Pour eux, la pénurie d’eau en Guinée est due à un déficit d’investissements consistants dans les infrastructures depuis les années.
Après des investigations auprès des responsables du ministère de l’Hydraulique et ceux de la direction générale de la SEG, la première cause de cette pénurie d’eau que connait la Guinée depuis des années, est la vétusté des équipements engendrant des pertes substantielles d’eau en qualité et en quantité. En effet, selon nos interlocuteurs, une quantité importante d’eau disparaît dans le circuit de distribution à cause des fuites. Et pire, les pannes sont légion dans les unités vétustes de production. C’est le lieu de rappeler que les installations de Yésoulou, dans la commune de Coyah, datent du temps colonial.
Des investissements privés nécessaires pour combler le gap
Il existe aujourd’hui un besoin criard d’investisseurs privés qui viendront intervenir massivement dans la construction de nouvelles stations de traitement des eaux, le renouvellement des équipements, des conduites, des branchements existants en vue de sécuriser l’alimentation en eau potable. Des efforts sont en cours mais l’eau de robinet s’appelle toujours « Fanta » en référence à sa couleur jaunâtre.
La troisième cause est la centralisation de la production et de la distribution de l’eau. Cela crée une espèce de monopole desservant la cause de la démocratisation de l’accès à l’eau en Guinée et annihilant les incitations à l’amélioration de la gestion et de la gouvernance. Il convient de décentraliser la gestion de l’eau et de la placer sous la responsabilité des communes. Mieux, une politique incitative devrait être mise sur pied pour encourager les initiatives privées allant dans le sens de la multiplication des constructions de forages et autres châteaux de moindre envergure pouvant permettre de juguler les déficits au niveau local.
La quatrième cause est le manque de dynamisme dans l’action commerciale. Aux dires de nos informateurs, les abonnés ne se bousculent plus aux portes de la SEG. Pire, le service d’entretien, pas fonctionnel par manque de réactivité des interventions sur le terrain, engendrant des pertes énormes dans le circuit de distribution. Il convient d’intensifier les campagnes de branchements des particuliers en vue d’augmenter le nombre d’abonnés et d’assurer la rationalisation de la distribution de l’eau selon un planning alternatif connu en vue de garantir le minimum à tous. Il convient surtout de renforcer le service d’entretien afin de limiter les pertes d’eau au niveau des tuyaux défectueux du réseau.
Sur le plan de la gestion des ressources humaines, le personnel était démotivé. Il n’y avait plus de prime de productivité, les avancements et reclassements étaient gelés. Cette situation regrettable conduisait à des pertes en efficacité et à la montée de mouvements d’humeur gangrenant le fonctionnement de l’entreprise. Des efforts sont en cours en vue de restaurer un climat social favorable au travail.