En Guinée, les unités d’exploitation d’eau deviennent de plus en plus nombreuses. On en compte plus de 380, dont 120 pour la seule préfecture de Siguiri. Mais la plupart d’entre elles échappent au contrôle des autorités. Ce qui élève le niveau du risque sanitaire. Cette prolifération a aussi des conséquences négatives sur l’environnement et la production animale.
L’eau ensachée, appelée généralement «eau minérale» est vendue à 500 GNF. Dans les gargotes ou des restaurants, les clients préfèrent prendre de «l’eau minérale» que l’eau de robinet. Mais là aussi, il y a des préférences.
Mariama, qui gère une gargote à Coléah, dans la commune de Matam, sert à ses clients l’eau ‘’Parawol’’ ou ‘’Eau fraîche’’. « Maintenant, les clients ne veulent pas de cette eau. Ils réclament «Eau Coyah» ou des fois «Eau de Vie», confie-t-elle.
« Il y a des eaux qui n’ont pas un bon goût. Ce qui fait que je sélectionne celle que je bois », explique un des clients de Mariama.
Nous avons cherché à connaître comment les unités d’exploitation de ces eaux travaillent. Mais malheureusement, sur les cinq contactées, seule une a accepté de nous recevoir. Les autres, comme ‘’Eau Parawol’’, ‘’Eau Amitié’’, nous ont toujours promis de rappeler à chaque fois.
A Africa Water, dont les installations se trouvent entre des ménages à Yattaya, dans la commune de Ratoma, on ne tourne pas autour du pot. « Désolé monsieur, le patron ne parle pas aux médias. Il y a même d’autres journalistes qui sont passés ici, mais il n’a pas accepté », soutient le comptable de cette unité d’exploitation, avant d’ajouter : «Néanmoins, si vous nous avisez avant de venir, on verra». Une semaine après, la réponse est la même : «Le patron a dit que c’est impossible.»
Selon une source anonyme, Africa Water dispose de quatre unités d’exploitation dont une à Boffa. «Chaque mois, on prélève un échantillon de l’eau qui se trouve dans les cuves et on envoie au laboratoire de Matoto pour le contrôle», précise cette source qui dit que son patron est en règle. Sauf qu’il refuse de parler aux médias.
Les forages dans les ménages ? C’est beaucoup à Conakry. Pourtant, il y a des risques que les toilettes communiquent avec ces forages. Idrissa Diallo, est un professeur de Géologie à l’Institut supérieur des sciences de l’Education de Guinée (ISSEG). Il explique les circonstances dans lesquelles il peut avoir communication entre ces deux installations : «Si le sous-sol est constitué de roches perméables, c’est évident qu’il y ait des communications entre ces deux installations, surtout si les toilettes sont situées en amont du puits de sorte que sous l’effet de la pesanteur et de la pente, ça peut couler de la toilette vers le puits. Donc l’eau peut être souillée et entraîner des maladies hydriques en cas de consommation.»
Pour ce géologue, des études du sous-sol devraient être menées avant que ces unités d’exploitation d’eau fassent leurs forages, car, dit-il, au-delà du risque sanitaire, il y a l’intégrité physique des habitations qui est en danger : «Pour faire ces forages, c’est important que des spécialistes fassent des études de terrain. Vous savez, il y a des forages qui sont en train de fragiliser le sous-sol. Parfois, ces forages affectent l’intégrité de certaines maisons.»
Selon Marc Yombouno, ministre du Commerce, une étude-diagnostic du secteur, effectuée par son département, a permis de recenser plus de 380 unités d’exploitations des eaux ensachées dans le pays, dont 120 pour la seule préfecture de Siguiri.
Comment toutes ces unités ont-elles pu avoir les permis d’exploitation ? C’est le grand problème. Puisque, selon Marc Yombouno, il y a plusieurs structures qui autorisent ces unités de faire leur travail : «Ce n’est pas le ministère du Commerce qui délivre les permis d’exploitation. Vous allez trouver que toutes sortes d’autorités délivrent ces permis. Normalement, les PME, c’est le ministère de l’Industrie. Même d’autres départements délivrent des permis. L’Energie, de simples préfets. En tout cas, l’étude nous a ressorti beaucoup de défaillances dans le cadre de la délivrance de ces documents. »
Une situation que confirme le Directeur national des PME, Aboubacar Sylla, puisque selon lui, ces unités échappent au contrôle du ministère de l’Industrie et des Petites et Moyennes Entreprises (PME) : «Ce sont des unités qui s’installent sans agrément. Ce sont des unités informelles. 90% de ces unités d’exploitation ne sont pas formalisées. Elles échappent au contrôle du département.»
L’octroi d’agrément en suspens
Depuis plusieurs mois, le ministre de l’Industrie a décidé de suspendre la délivrance des agréments jusqu’à la mise en place du comité de réforme du secteur public et privé. Ce, conformément au nouveau code des investissements dont l’application devrait commencer le 1er janvier 2018.
Alors que 90% des unités d’exploitation d’eau sont dans l’illégalité, Aboubacar Sylla dit être dans l’incapacité de faire la police : « Ce sont des actes clandestins. Mais le département ne peut pas faire la police. Nous sommes une structure d’accompagnement. C’est quand la charte des PME est validée, adoptée par le gouvernement et ratifiée par le parlement comme loi d’orientation, la force sera là pour faire formaliser toutes les entreprises qui doivent s’installer, si ce sont des PME. »
«Nous avons pour mission de booster la création d’entreprises, de pousser les gens à l’entrepreneuriat. Nous avons pour mission d’avoir un cadre légal pour formaliser ces PME et les aider », ajoute M. Bah, un autre cadre du département de l’Industrie.
Le dilemme…
Bien que qualifiée de ‘’Château d’eau’’ de l’Afrique de l’Ouest, la Guinée souffre du manque d’eau potable. La Société d’exploitation des Eaux de Guinée (SEG) ne couvre pas tout le territoire national. Ce qui oblige certains citoyens à creuser des forages et ensacher l’eau qu’ils revendent, notamment dans les zones minières où est ressenti un manque criard d’eau potable.
« La prolifération de ces unités d’exploitation se comprend, dit Marc Yombouno, parce qu’auparavant les gens partaient dans les bas-fonds et prenaient des eaux boueuses issues des opérations minières. Pour eux, c’est vraiment salutaire d’avoir de l’eau naturelle en sachet que de boire l’eau souillée dont la couleur même prouve qu’elle n’est pas de bonne qualité. Avec la technologie de fabrication rapide des sachets et d’ensachement, ça a été une aubaine pour ces régions minières de remplacer vite ces eaux qui étaient souillées. […] Si vous prenez la dimension sanitaire, là on peut relativiser. Les zones de production minière où les gens allaient dans les rivières, les bas-fonds ou bien même l’eau boueuse qu’ils décantaient pour boire, ça leur causait beaucoup de maladies diarrhéiques et hydriques. Aujourd’hui, il y a une diminution. Aujourd’hui, il faut noter la quasi-disparition du choléra. Donc, il faut voir comment avoir une grande production d’eau potable par les services concernés, notamment la SEG. Il y a des problèmes. Nous sommes dans un dilemme. Est-ce qu’il va falloir éliminer tout, mais aussi comment répondre aux besoins croissants de la population en eau au moins un peu propre ? »
L’épineux problème du contrôle
L’Office national du contrôle qualité de Matoto est la structure qui doit contrôler la qualité des eaux que produisent les unités d’exploitation avant la commercialisation. Mais seulement peu d’entre elles se font contrôler. Le ministre du Commerce, Marc Yombouno, le reconnaît : «Nous demandons régulièrement à ces unités de nous fournir des échantillons. Pour chaque lot produit, il faut envoyer des échantillons au laboratoire national de contrôle de qualité. Il y en a qui s’exécutent. D’autres ne le font pas, au vu de la distance et des moyens existants, et le laboratoire n’ayant pas d’équipements mobiles pour couvrir ces zones. Il y en a qui envoient, mais je pense qu’aujourd’hui, vous savez qu’il y a des gens qui produisent dans les maisons. […] En aval, nous procédons au contrôle du contenant et du contenu. Mais les gens ne passent pas au contrôle les plastiques avant de mettre l’eau. Nous faisons le contrôle des deux après la production. » Du moins pour celles qui envoient leurs productions au contrôle.
Le cas ‘’Eau Coyah’’
La Générale des Eaux de France, devenue ‘’Eau Coyah’’ après son rachat en 1997 par El hadj Mamadou Sagalé Diallo, est la seule eau minérale produite en Guinée, selon le ministère de l’Industrie. « Seule Coyah est minérale et c’est ça ce sont les bouteilles. Ça a fait l’objet d’études, de permis de recherche dans le passé », affirment-ils.
« Eau Coyah est une eau minérale naturelle. Il n’y a aucun produit chimique ajouté. L’Eau est puisée à une profondeur de 150 m. Nous avons notre propre laboratoire. Parallèlement, il y a le laboratoire national de Matoto, il y a le laboratoire de l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry, le CERE, il y a le bureau Veritas, le labo marocain Lobomag et puis le labo de la SGS de Cofrate Paris qui nous accompagnent dans le contrôle », explique Boubacar Bah, responsable commercial de ‘’Eau Coyah’’.
L’usage des plastiques non alimentaires
Au-delà de la qualité de l’eau qui pose problème, il y a l’emballage utilisé pour ensacher cette eau. Ces unités d’exploitation font usage des plastiques non alimentaires. A ‘’Eau Coyah’’, les sachets utilisés sont conformes, confie Boubacar : «Ce sont des rouleaux de bobine qui viennent de la France et de l’Espagne qui font partie des sept pays européens qui s’occupent de la qualité des emballages au contact alimentaire. Nous, nous utilisons des films sandwichs. Il y a un premier film qui reçoit les impressions, les dessins et il y a un deuxième plastique qui reçoit l’eau. Les deux sont collés, mais pas visibles à l’œil nu.»
L’impact environnemental et de l’élevage
Plus de 380 unités produisent chaque jour des milliers de sachets plastiques non biodégradables. Cela a un impact négatif au niveau de l’environnement, mais aussi dans la production animale, souligne Marc Yombouno : «Quand on prend la dimension environnementale, c’est vraiment négatif. Puisque une grande quantité de plastiques est déversée dans la nature et qui entrave même les activités de production animale, l’élevage. Parce qu’il y a des animaux domestiques qui broutent ces plastiques et cela leur cause des problèmes. Vous prenez le milieu marin, c’est autre chose. En profondeur des mers, c’est des tonnes de plastiques qu’on trouve où les poissons n’ont plus un milieu naturel.»
Alors, d’autres pensent déjà à des solutions de rechange du plastique utilisé actuellement. «On est même en train de tester des plastiques oxo-biodégradables parce qu’on sait sous peu, les plastiques vont être interdits. Mais ça va suivre des étapes. Dans un premier temps, on va interdire les plastiques non biodégradables et après on interdira carrément les plastiques. Donc, il faut penser à des solutions de rechange», a fait savoir Boubacar Bah.
Pour mettre fin à la pagaille qui règne dans le secteur, le ministre du Commerce pense à une synergie avec les autres départements : «Donc il nous fait un travail en synergie avec tous les autres départements pour que nous sachions qui a eu l’autorisation et qui ne l’a pas eue pour permettre d’aller dénicher ceux qui ne respectent pas les normes, ceux qui n’envoient pas les échantillons et retirer des licences à des PME qui ne répondent pas aux normes de qualité. Il y en a encore sur le terrain.»
Comme on le voit, tout le monde sait qu’il y a des problèmes mais on laisse faire. Et tant pis pour les citoyens.
Que fait le ministère de l’Environnement ?
Pour réduire les déchets plastiques dans la nature, le ministère de l’Environnement compte réglementer le secteur. « Le ministère est très engagé à réglementer cet usage abusif de ces sachets en plastique, parce que ce qui reste clair, c’est que les sachets qui se trouvent actuellement dans la nature ne sont pas tous recyclables. Au stade actuel de nos industries, il n’y a que les sachets d’eau qu’on peut recycler », a affirmé Safiatou Diallo, Directrice nationale de l’Assainissement et du cadre de vie au niveau du ministère de l’Environnement. Puis de souligner le rôle que l’Etat doit jouer : « En tant qu’Etat, on doit accompagner ces industriels pour améliorer leur méthode de traitement pour qu’ils puissent prendre en charge le maximum des sachets plastiques. »
Selon Mme Safiatou Diallo, il y a déjà eu des réunions entre les départements de l’Environnement et de l’Industrie avec les fabricants, les importateurs pour discuter de cette situation : « Nous leur avons dit qu’ils ont la responsabilité des produits qu’ils fabriquent quand ceux-ci se retrouvent dans la nature en fin d’usage. Au niveau du ministère de l’Environnement, ce qu’on peut faire c’est aller vers la réglementation pour l’importation, l’utilisation, le transport, le stockage et la gestion en fin de vie de ces différents sachets. Interdire, au moins pour un départ, les petits sachets qui sont les plus utilisés. »
La Directrice nationale de l’assainissement et du cadre de vie pense qu’il faudra appliquer le principe pollueur-payeur : « Ce qui reste clair, c’est que le principe pollueur-payeur devrait être appliqué. »
L’autre solution déjà envisagée, c’est la fabrication des plastiques biodégradables. Selon Mme Diallo, il y a déjà une société qui a installé son usine « qui pourra importer des granulés biodégradables et les sachets seront biodégradables. Je pense que c’est une approche qu’il faut privilégier.»
Si elle affirme qu’ils ont avancé dans la réglementation de ce secteur, elle rappelle quand même que son département seul ne peut pas prendre ces actes juridiques : «Nous sommes en avance, mais c’est des actes juridiques qui doivent être validés par toutes les parties prenantes. Le ministère de l’Environnement ne peut pas prendre de tels actes sans se référer aux ministères concernés, l’Industrie, le Commerce, le syndicat des consommateurs. C’est toute une panoplie d’acteurs qui devraient se retrouver pour trouver la solution. »
Pour s’installer, Safiatou Diallo pense que les unités d’exploitation d’eau devraient avoir l’autorisation du ministère de l’Environnement, car, dit-elle, au-delà de la pollution de l’environnement, il y a des problèmes de santé publique : «Il faut reconnaître que non seulement les sachets créent des problèmes, mais l’implantation même de ces usines d’eau peut créer des problèmes de santé publique. Parce que vous pouvez voir une usine d’exploitation d’eau qui se trouve à deux mètres des latrines. Normalement, avant l’implantation de toute usine d’eau, on devait avoir le quitus du ministère de l’Environnement qui pourrait aller évaluer, voir est-ce que si l’usine est installée là, l’eau sera potable, est-ce qu’elle ne portera pas préjudice à la santé publique.»