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Dossier – Pratique malsaine dans la gestion des finances publiques en Guinée : utilisation abusive des autorisations de paiement (AP)

Dans le cadre du programme d’urgence relatif à la reconstruction des routes préfectorales et communautaires de la Haute Guinée, le gouvernement guinéen, par le biais du financement du budget national de développement, a englouti plusieurs milliards de francs guinéens dans des travaux qui ne sont réalisés qu’à 15%, a-t-on appris.

En effet, il faut tout d’abord savoir que l’axe programmatique principal de tout gouvernement est la bonne gouvernance. Voilà un Etat depuis 2010 qui prétend se différencier des régimes passés par des réalisations concrètes et se poser en champion de la vertu, et qui pourtant détourne les deniers publics avec une astuosité qu’il croit passer sous silence. Si le principe fondamental de la bonne gouvernance c’est l’exemplarité, le leadership et la rigueur, les régimes passés peuvent être admirablement considérés comme vertueux !

Il est donc blâmable que le budget national de développement différemment de celui d’un programme se caractérise par une allocation des ressources aux ministères, institutions de la république et services techniques, ainsi qu’aux entreprises publiques et parapubliques. Ce qui favorise la corruption, car les fonds peuvent être facilement utilisés à des fins autres que celles liées aux populations.


Selon nos informations, dans les conditions normales, les opérations de décaissement des fonds dans le circuit financier, si elles sont inscrites au budget national de développement (BND), doivent suivre la procédure d’engagement et d’ordonnancement avant mises à disposition du prestataire/fournisseur.  Parmi les dépenses d’investissement certainement non programmées dans le budget national, des paiements ont été effectués en faveur d’un prestataire, en l’occurrence EBOMAF par procédure d’autorisations de paiement (AP), et ce au temps de la ministre Malado Kaba. Le profane aurait qualifié ces dépenses normales lorsque les professionnels de la chose l’appellent dépenses extrabudgétaires par conséquent irrégulières. L’anormalité d’une telle pratique s’explique par la violation des textes de lois des finances qui prévoient l’observation des règles et principes qui sous-tendent leur exécution.

La société burkinabé EBOMAF (Entreprise Bonkoungou Mahamadou & Fils), puisqu’il s’agit d’elle, a obtenu le marché de construction de la route Kankan-Kissidougou, soit une distance de 194 kilomètres pour un montant d’environ 65 millions de dollars américains, dit-on. La réalisation de ces travaux, a nécessité des paiements par tranche en sa faveur. Selon les documents consultés par Guinéenews©, le 17 août 2017, un montant de quatre millions sept cent soixante mille et neuf cent neuf dollars (4.760.909 USD) a été payé à l’entreprise burkinabé via Autorisation de Paiement. Soit, une somme de cinquante milliards et neuf cent quatre vingt treize millions de francs guinéens  (50.993.000.000 GNF). Le plus surprenant, c’est qu’au lendemain de sa prise de fonction, constatant l’excès des paiements par l’utilisation abusive des autorisations de paiement et son incidence sur l’équilibre de la Position Nette du Trésor (PNT) à la BCRG (banque centrale de la République de Guinée), l’ex ministre des Finances avait pris une note circulaire interdisant les AP. Malgré cette décision, ce moyen de paiement a été pompeusement utilisé et de façon exponentielle jusqu’à l’explosion de la PNT au trimestre finissant le 31 décembre 2017. Cette attitude est celle d’un ministre qui lutte d’une main contre le vol et bénit de l’autre sa pratique. Pour la vertu, le compromis s’appelle compromission !

Dans le lot des autorisations de décaissements, on retrouve le paiement de 50 milliards FG à EBOMAF pour des travaux dont les traces sont quasiment invisibles sur le terrain, ce qui aggrave la situation des paiements antérieurs estimés à plus de 100 milliards GNF à cette même entreprise burkinabé depuis 2014 concernant le même tronçon, qui serait coupé à ce jour selon nos dernières informations. Il est important de préciser que certaines dépenses mineures de ces AP, ont été régularisées dans le tableau des opérations financières (TOF) sans que la loi de finances n’en tienne compte et que même sa partie rectificative n’en a n’intégrées. Il va de soi que c’est un paiement irrégulier. Pire pratique cautionnée par l’Assemblée nationale dont le rôle principal est de contrôler l’action de l’exécutif et de rendre compte aux populations. Mais hélas, cette assemblée s’est muée en une caisse de résonnance du gouvernement.

Interrogée par Guinéenews©, Mme Zenab Koita, ex-directrice administrative et financière du ministère de l’agriculture qui a suivi le circuit jusqu’au paiement de ces fonds à EBOMF a expliqué comment se déroule les opérations de paiement par autorisation. « Vous devez savoir que les autorisations de paiement (AP) n’engagent que l’ordonnateur en l’occurrence le ministre des finances. Les DAF, lorsqu’ils les reçoivent, ils n’émettent aucune réserve que de suivre le circuit du début à la fin jusqu’au paiement final en faveur d’une entreprise ou d’un prestataire de service avec laquelle ou lequel l’Etat fait affaire….», a-t-elle dit.

Cet autre haut cadre du ministère des finances sous le sceau de l’anonymat, a réitéré que : « Dans les conditions normales (procédures normales), lorsqu’une entreprise obtient un marché de l’Etat, elle signe un contrat avec lui. Elle reçoit les décomptes selon l’avancement des travaux. En général, elle reçoit une avance qui oscille autour de 20% au démarrage des travaux. 10, 30 ou 40% sont retenus comme garantie ; ce chiffre varie selon la nature du marché. Selon nos textes de loi, seules certaines dépenses des forces armées et de souveraineté d’Etat font l’objet des procédures de paiement exceptionnelles dans le circuit financier guinéen. Normalement, ces types de dépenses ne devraient pas du tout passer dans les dépenses extra budgétaires mais, elles devraient plutôt figurer dans la catégorie des dépenses d’investissement pour respecter l’orthodoxie financière et assurer la transparence dans la gestion des affaires publiques. »

Ne s’extrayant pas de ses obligations de recoupement de l’information, la rédaction de votre quotidien électronique Guinéenews© a adressé un courriel à l’ancienne ministre de l’économie et finances Malado Kaba depuis le 16 juillet 2018 dont voici le contenu :

«…j’aimerais commencer par le paiement de 4 millions $ 760 mille 909 (50 milliards 50 milliards 993 millions) relatif à la construction des routes préfectorales et communautaires en Haute Guinée (route Kankan Kissidougou) que vous avez  accordé à EBOMAF via AP le 17 août 2017. Après constat fait par nos journalistes sur le terrain, rien n’a été fait. Bien entendu, d’autres paiements notamment de 16 millions d’euros leur avaient été attribués par le passé pour le même objectif.

Ma question est de savoir pourquoi ces dépenses d’investissement de l’Etat n’ont pas figuré dans le budget national plutôt, alors qu’elles ont été payées via les autorisations de paiement (AP) de surcroît aucun travail n’a été effectué sur le projet ?

J’apprécierais fortement votre franche collaboration dans le cadre de ce dossier et d’autres qui suivront après. »

Ce courriel est resté sans suite. Dès lors, s’est posée avec acuité une vérification sur le terrain de l’effectivité des travaux financés par les faramineux montants perçus par EBOMAF.
Notre correspondant, à Kankan Amadou Timbo Barry, est catégorique : « EBOMAF n’a effectué aucun travail sérieux sur le terrain à Kankan ».

En procédant à des investigations très poussées pour constater de visu si l’entreprise burkinabé qui a une branche au haut sommet dans la sphère étatique guinéenne, avait reçu des paiements correspondant à des travaux effectués, Amadou Timbo Barry de Guinéenews©  a fait remarquer : « Les photos que vous voyez ici sont celles du PK0, quartier Bordo périphérique de la ville jusqu’au village de Konkonikoro situé à 8 kilomètres du centre-ville. Initialement, le projet de reconstruction de cette route couvrait les 195 kilomètres. Mais après, on nous a fait comprendre qu’il devrait se limiter aux 20 premiers kilomètres. Et tenez-vous bien, aucun ouvrage de franchissement n’était concerné. C’est seulement l’année dernière qu’ils ont intégré les 3 premiers ponts sur le tronçon dans le projet dont la reconstruction peine à finir. Donc, depuis 4 ans, l’entreprise burkinabé EBOMAF est sur cet axe sans aucune once de bitume…»

Interrogé, M. Jean Onibon, le directeur des travaux d’EBOMAF, à Kankan lors d’une interview qu’il a accordée à votre quotidien électronique le 22 juillet 2017, a déclaré : « Le gouvernement guinéen nous fait balader et le retard s’il y en a dans la réalisation du projet de reconstruction de la route Kankan-Kissidougou est à 100% dû à l’Etat guinéen…» Il a argumenté que : « Le projet de reconstruction de la route Kankan-Kissidougou a connu beaucoup de rebondissements. Au début, c’était Kissidougou-Kankan. Nous nous sommes installés à Kissidougou avec nos matériels et puis Ebola s’est déclaré. Le gouvernement nous a dit qu’il faut commencer par Kankan. On a transféré nos matériels à Kankan avec des millions de pertes. Et après, ils nous disent qu’ils n’ont pas d’argent et que désormais, au lieu du bitumage des 194 kilomètres, qu’il faut faire 40 kilomètres en bitume et le reste en terrassement. Mais déjà, il faut préciser que nous avions acheté tous nos matériels neufs pas pour faire 40 kilomètres de voie. Ce qu’on a accepté. Quelques temps après, le même gouvernement revient pour dire qu’il n’a pas d’argent et que désormais, il faut faire 20 kilomètres de bitume et 40 kilomètres de terrassement. On a toujours accepté sans pour autant perdre de vue que c’est nous qui perdons au regard de l’investissement fait dans le matériel déployé sur le terrain. »

Au ministère des travaux publics, personne ne souhaite commenter l’information sur EBOMAF en attendant d’avoir le rapport complet concernant les travaux de construction de la route Kankan-Kissidougou. Aucun contrôle à priori, ni à posteriori !

Il n’y a aucun doute que notre gouvernement tâtonne dès qu’on s’imprègne de la réaction du représentant de EBOMAF. Les questions suivantes se posent avec insistance à nos dirigeants pour comprendre si l’Etat guinéen inscrit le symbole de la mal gouvernance en lettre d’or : La gestion du BND est-elle un sentier périlleux ? Le BND dans sa conception actuelle est-il un instrument de détournement ou de mesure de la réalisation des actions de politiques publiques ?

Une preuve d’incohérence ressortie dans l’interview du député Holomou Konni, car nos finances publiques sont gérées par des non professionnels. Lire ou relire : Loi de finances rectificative 2018, concession du port, cas OGP, ARPT, OGC : les vérités de Koni Kourouma (Interview)

Que serait aujourd’hui le sort des nombreux travaux de routes et pistes rurales financés sur le BND mais dont le niveau de réalisation est en déphasage avec les montants déjà perçus par les adjudicateurs ? La dichotomie faite entre les propos mielleux des hauts responsables sur les actions publiques et les décisions qu’ils prennent semble plomber l’espoir de développement de la Guinée.

Guinéenews©  reviendra autant de fois que les cas de mal gouvernance continueront de sévir dans un contexte où la nature et la qualification des dirigeants dépendent de leur position, à titiller la sourde oreille qui protège les judas des pratiques malsaines dans la commande publique et les circuits de paiements détournés ou douteux, et qui endossera exclusivement la responsabilité de la corrumpere de la Nation Guinéenne.

Nous y reviendrons.

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