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Dossier – Politique énergétique de la Guinée : Les barrages de campagne d’Alpha Condé (2ème partie)

Kaleta, barrage de campagne pour le deuxième mandat d’Alpha Condé

Quand Alpha Condé a accédé au pouvoir en 2011, il a promis aux Guinéens de résoudre le problème de l’électricité dans l’espace de six mois après sa prise de fonction.  Il met des alliés politiques à l’EDG (électricité de Guinée) et engouffre des sommes énormes dans des groupes thermiques qui s’avèrent inopérants. Plusieurs centaines de millions de dollars seront engloutis dans le secteur pour des résultats si piètres que le chef de l’Etat a dû se rendre à l’évidence que sa politique de l’électricité a été un échec cuisant.

Lire aussi la première partie : Dossier – Politique énergétique de la Guinée : L’arnaque des barrages de campagne électorale.

Avec un regard fixé sur le second mandat, les stratèges d’Alpha Condé lui rappellent comment ils ont aidé leur ancien patron Lansana Conté à se maintenir au pouvoir (second et troisième mandats) en se reposant sur les promesses de campagne d’un barrage.  Après avoir tâtonné et gaspillé des centaines de millions de dollars sans réussir à assurer une desserte stable et fiable ne serait-ce que pour Conakry, Alpha Condé accepte d’essayer le coup électoral de Conté. Il fait alors reprendre le dossier Kaleta des tiroirs et relance les Chinois pour le réaliser.  Comme du temps de Conté, il est obnubilé par l’idée de boucler le financement et de s’entendre avec les Chinois sur un chronogramme qui fera coïncider l’inauguration du barrage aux campagnes électorales pour le coup KO annoncé du deuxième mandat.

Il négocie directement avec les Chinois le financement et la construction du barrage de 240 mégawatts au coût de de 526 millions de dollars. L’Exim bank chinoise accepte de financer à hauteur de 75% (environ 400 millions de dollars US). Pour compléter les 25%, M. Condé puise dans ce qui restait de la manne des 700 millions USD obtenue de Rio Tinto. Sa mise est de 131.5 millions de dollars avec ordre que le barrage doit être prêt et inauguré durant les campagnes pour le deuxième mandat. Les Chinois respectent son souhait, ce qui lui permet d’inaugurer le barrage avec fanfare le 28 Septembre 2015 au moment le plus fort de la campagne électorale, à quelques deux semaines de la tenue des élections présidentielles le 11 octobre 2015. Les Guinéens qui avaient oublié la supercherie électorale de Garafiri du temps de Conté, les promesses de courant et d’argent à gogo après le PPTE (pays pauvres très endettés), le riz a un prix abordable, etc. renouvellent leur confiance à Alpha Condé, sur la base de sa promesse que la misère de l’électricité sera résolue une bonne fois pour toute avec le barrage Kaleta.

Alpha Condé fait croire que le barrage constituait une révolution dans la desserte en électricité en Guinée et se targuait d’avoir fait un travail que nul autre chef d’Etat n’avait réussi avant lui.  Ses partisans le présentent comme un héros pour avoir réalisé ce qu’ils considéraient alors comme le barrage du siècle. Le président Condé est si fier de sa « réussite » qu’il ne peut pas s’empêcher de se moquer de  son ami Mahamadou Issoufou du Niger, invité de marque à la cérémonie d’ouverture du barrage. Issoufou peinait à aller aussi vite avec son barrage de Kandadji, ayant opté pour le mode de financement classique avec les bailleurs de fonds et accepté de s’astreindre aux exigences d’expertise technique, économique financière, environnementale et sociale. Alpha Condé clame aux rencontres politiques que le barrage Kaléta sera « celui qui va changer la vie des Guinéens ».  Effectivement, s’il marchait à pleine capacité toute l’année, le barrage de Kaleta doublait la capacité de production de 240 MW à 450 MW. Mais Alpha Condé ne dit pas aux populations crédules l’impact possible de l’étiage sur la performance du barrage. D’ailleurs, il s’arrange pour que l’ouvrage soit inauguré avant la saison sèche pour donner l’impression que la totalité des 240 mégawatts du barrage seront régulièrement disponibles au réseau guinéen. Quelle fut la déception des Conakrikas quand les délestages ont retourné vers la fin de l’hivernage, peu après les élections présidentielles.

Leçons à tirer des décisions de Kaleta

Kaleta n’a pas tenu ses promesses et plusieurs voix autorisées, dont votre quotidien Guineenews© avait prédit l’échec programmé.  En effet, la capacité installée de 240 mégawatts ne peut être réalisée qu’en pleine saison des pluies. Durant la période d’étiage, la production maximale de Kaléta ne peut pas dépasser 75 mégawatts pendant la phase de pointe, soit moins d’un tiers de la capacité installée. Alpha Condé connaissait ce risque et savait qu’il fallait un barrage régulateur pour que Kaleta tienne. Mais en grand roublard politique, il a calculé  que les Guinéens allaient se patienter jusqu’à la prochaine élection, ce qui lui donne le temps de programmer le barrage régulateur de Souapiti. Pour lui, Kaleta a déjà livré ses promesses en lui permettant de réaliser le coup KO promis pour son second mandat.

Mais les conséquences inattendues rendent la phase après-barrage assez coûteuse pour le régime. D’abord, la conséquence est politique, car le désenchantement des Guinéens ne tarde pas à se manifester dans la rue. Le train-train quotidien de Conakry et des villes de l’intérieur est émaillé par des manifestations récurrentes contre les délestages intempestifs. Dès que la saison sèche tombe, Kaleta subit de plein fouet le scénario de Garafiri.  Ensuite, la conséquence est budgetaire. En dépit du barrage coûteux, il va falloir remédier aux délestages fréquents et ceci n’est possible qu’en revenant aux centrales thermiques plus coûteuses à exploiter. L’énergie thermique est chère et au dessus de la capacité de paiement du consommateur guinéen. Les Guinéens payent ce qu’ils peuvent (beaucoup parmi eux ne payent rien d’ailleurs), et c’est au budget de l’Etat de compléter et payer la facture salée. Alpha Condé engloutit donc une bonne partie du budget de l’Etat en subventions et achats de carburant HFO pour alimenter les centrales thermiques. Pour s’assurer que ces sorties d’argent servent aussi ses intérêts politiques, il donne des contrats de IPP au gré à gré à des amis du pouvoir, tels que la Guinéenne d’Électricité et le Mauritanien Abdallahi Ould Noueighedh. Donc Kaleta a non seulement été un barrage cher, mais le déficit d’électricité en saison sèche devient un fardeau lourd pour le budget de l’Etat.

Pendant ce temps, la situation financière de l’Électricité de Guinée (EDG) devient catastrophique.  Les bailleurs de fonds exigent une gestion privée, par Veolia. Avec Veolia, EDG gère deux réseaux interconnectés alimentés par une capacité totale installée de 572,4 MW dont 365,4 MW en hydraulique et 207 MW en thermique, pour une capacité utile de 433,4 MW. Mais comme le Guinéen n’aime pas payer l’électricité, et l’administration d’Alpha Condé étant un mauvais payeur de subventions, même Veolia n’arrive pas à redresser EDG et à améliorer la desserte.  Le retour à l’énergie thermique (près de 50% de la production) consécutif à l’échec de Kaleta entraîne une augmentation significative des dépenses de consommation en combustible HFO (de 491 milliards GNF en 2017 à 1 061 milliards GNF en 2018, soit plus du simple au double). EDG ne peut pas faire porter le poids de ces dépenses au consommateur, et vend l’électricité à perte. En plus de ce facteur, le ministre de l’Energie attribue les problèmes de l’EDG aux faiblesses suivantes : le manque de capitaux propres ; la faiblesse du prix de vente moyen de l’électricité qui ne couvre que 30% du coût de revient ; le déséquilibre entre les tarifs (Basse Tension et Moyen Tension) ; le recours à des sources d’approvisionnement onéreuses pour compenser l’insuffisance de l’approvisionnement des centrales hydroélectriques ; la facturation au forfait et l’absence de système de comptage généralisé en Basse Tension et un délai moyen de recouvrement des factures trop long.

L’échec programmé de Kaleta était donc bien consommé avec en prime EDG confrontée à de graves difficultés financières dues à des problèmes structurels. Le barrage a donc délivré la victoire coup KO du second mandat pour Alpha Condé, mais les Guinéens sont loin de l’électricité promise. Avec les prochaines joutes électorales programmées pour 2020, les sirènes du pouvoir tentent de pousser Alpha Condé à faire de Souapiti la passerelle pour un éventuel troisième mandat.  D’ailleurs, ce sont les mêmes qui avaient poussé Conté à user du même scénario pour Garafiri. Du coup, Alpha Condé devient le messie des barrages. D’empereur des mines durant son premier mandat, il acquiert la réputation d’empereur des barrages en Afrique, avec un barrage du siècle durant chaque mandature. Pour le barrage du troisième mandat, ils persuadent Alpha Condé de relancer l’entreprise chinoise China International Water & Electric Corporation (CWE) qui avait réalisé Kaleta afin de préparer le coupa KO sur la base de Souapiti,  cet autre barrage du siècle.

Souapiti, barrage de campagne pour le troisième mandat d’Alpha Condé advenant une modification de la Constitution

Sans le dire, Alpha Condé semble accepter de jouer le jeu des sirènes du régime qui pour la plupart sont des anciens stratèges du régime Conté, spécialisés en manoeuvres politiques pour leurs besoins personnels. Il continue de maintenir un flou artistique sur son plan pour 2020, alors que ses compères venus au même moment en 2011, ont déjà fait savoir leur plan. Mahamoudou Issoufou du Niger vient d’annoncer son plan de succession et son intention de se retirer des affaires au terme de son second et dernier mandat. Il ne va pas se reposer sur son barrage de Kandadji, sa boucle ferroviaire, et la modernisation impressionnante de la ville de Niamey pour chercher à se maintenir. Alhassane Ouattara, malgré les tergiversations, a aussi indiqué la semaine passée sa préférence de passer le témoin à la jeune génération, malgré la tentation de continuer ses réalisations économiques sans commune mesure avec celles d’Alpha Condé.  Mais comme possibilité d’un autre coup KO tente Alpha Condé, le sacrifice prescrit pour la victoire est un autre barrage à livrer juste au moment chaud des campagnes électorales. Imaginez les slogans : Souapiti, barrage du siècle ! Souapiti le plus grand barrage jamais construit en Guinée, l’équivalent des Trois Gorges en Chine, c’en est fini le problème d’électricité ! Vive le Héros des Barrages ! Donnons lui un mandat à vie !

Les stratèges Conteistes du chef de l’Etat se mettent donc à l’oeuvre et pour aider leur maître à réaliser le rêve électoral.  Ils acceptent sans difficulté l’offre de la CWE de réaliser l’ouvrage au coût de 2 milliards de dollars, et de mettre tout en oeuvre pour que l’inauguration soit programmée autour de 2020, au moment chaud de la campagne pour les présidentielles. Pour préparer les esprits, Alpha Condé se projette en bâtisseur incomparable : « On a fait en 4 ans ce que d’autres n’ont pas pu faire en 50 ans. Tout le monde a vu Kaleta. Souapiti a deux fois plus de puissance que Kaleta. Nous allons aussi entamer la construction du barrage d’Amaria avant la fin du premier trimestre de l’année 2018…En 10 ans, nous sommes en train de construire des barrages hydroélectriques qui devaient être construits depuis 100 ans. »

Avant l’arrangement avec CWE, la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds s’activaient pour assister le gouvernement à développer Kaleta à des coûts raisonnables à travers le financement concessionnel classique. La Banque assiste la Guinée à recruter un consortium de consultants dirigé par Electricité de France pour réaliser les études de faisabilité, et un autre bureau d’études dirigé par la firme belge Tractebel pour les études d’impact environnemental.  Sur la base de ces études, la Banque propose un schéma de financement concessionnel qui aurait coûté environ 1 milliard de dollars en tout. Mais comme au temps Conté qui lorgnait un troisième mandat avec Garafiri, Condé veut d’un barrage qui s’accommode de son échéancier électoral. Il trouve très contraignant les exigences que les bailleurs de fonds imposent pour la transparence des attributions de marchés, la rentabilité économique à long terme, et les normes environnementales et sociales en matière de déguerpissement (50 000 personnes affectées par le barrage).  Comme Lansana Conté au temps de Garafiri, Alpha Condé s’offusque des termes et conditions rigoureuses des bailleurs de fonds. Il décide alors que le meilleur moyen est de se tourner vers les Chinois qui sont moins regardants sur les critères de transparence, de protection environnementale et sociale, et même d’efficacité et de rentabilité économique. Les Chinois accepteront de financer rapidement sans exigences contraignantes et se soumettent au calendrier politique du président.

Alpha Condé boude donc le financement classique concessionnel proposé par les partenaires techniques et financiers traditionnels de la Guinée et se jette dans les bras d’une société chinoise plus accommodante. Il négocie avec CWE un montage financier peu orthodoxe que ses stratèges appellent pompeusement un partenariat public-privé (PPP), bien que la Guinée n’ait pas un cadre de PPP formel. Dans le montage chinois, Alpha Condé avait besoin de mobiliser 400 millions de dollars pour que l’Eximbank chinoise consente à octroyer la dette d’environ 1.5 milliards de dollars. Ses stratèges l’aident à monter une vraie pyramide de Ponzy qui consiste à concéder Kaleta et Souapiti à la société chinoise CWE. Pour Kaleta, qui fut financé à 75% par l’Eximbank chinoise (environ 400 millions USD) et 25% par l’Etat guinéen sur les fonds de Rio Tinto, la Société de Gestion de Kaleta (SOGEKA) est créée, dans laquelle la Guinée concède 50% de Kaleta  à CWE. En contrepartie, la CWE apporte à Condé 200 millions USD. De la même manière, la Guinée concède 50% de Souapiti à CWE contre un apport en fonds propres de 200 millions USD. Avec l’apport de CWE dans Kaleta (200 millions USD) et Souapiti (200 millions USD), les 400 millions sont réunis, et l’Eximbank chinoise accepte de financer Souapiti à hauteur de 85%. L’accord formel pour le montant de 1.567.290.000 USD (dette et coûts de transaction) est finalement signé en Septembre 2018, sans un débat préalable à l’Assemblée Nationale. Alpha Condé était si sûr du financement chinois qu’il avait lancé les travaux deux ans avant l’accord formel de la dette d’Eximbank afin de ne pas rater l’échéance électorale de 2020 pour un possible troisième mandat.

Les conséquences possibles des décisions de  Souapiti

Le processus de construction d’un barrage utile s’accommode très mal du cycle électoral et demande assez de temps de préparation et de mise en oeuvre. Le temps nécessaire pour tout le processus dépasse le cadre d’un mandat présidentiel.  La plupart des barrages réussis dans le monde sont passés par une phase de développement assez longue (5 à 10 ans) et coûteuse (plusieurs millions de dollars en études et investigations). Cette phase est nécessaire pour justifier le bien-fondé des sommes colossales requises pour la construction et la mise en exploitation. Cette phase des investigations sérieuses et rigoureuses permet de savoir avec précision l’adéquation entre la capacité disponible, le débit et la régularité de l’eau pendant toute l’année, la géologie du site, la demande en électricité par rapport aux besoins, le coût du kilowattheure par rapport à la capacité de paiement du consommateur, ainsi que les questions environnementales et de déguerpissement des communautés.  C’est à l’issue de ces études que la décision de construire un barrage est prise. Le succès d’un barrage exige aussi une réforme en profondeur du secteur de l’électricité. Certes Alpha Condé était pressé pour montrer des résultats, et ceci est louable, mais il a semblé confondre vitesse et précipitation dans ses grands projets de barrage. Il a opté pour la solution clé en main à la va-vite proposée par CWE et l’Eximbank. Ces solutions pourraient marcher si l’objectif était d’augmenter la capacité d’un réseau déjà performant. Mais s’il s’agit de jeter les bases de l’avenir énergétique et industriel du pays, brûler les étapes critiques pour le plaisir d’inaugurer des barrages et d’en faire un fonds de campagne politique est myopique et mène à des barrages calamiteux tels que Garafiri et Kaleta.

D’abord, le recours aux ententes directes entraîne des coûts élevés de construction. Comme l’approche du gouvernement est de réaliser des barrages à n’importe quel prix, pour les besoins de campagnes électorales, le recours aux appels à compétition qui permettrait d’avoir un choix et de choisir la meilleure offre, n’a pas été retenu. Au contraire, l’Etat a opté de faire des ententes directes et d’attribuer des marchés au gré à gré.  Puisque les Chinois s’accommodent le plus de ce genre d’entente, l’Etat a préféré faire des affaires avec des entreprises chinoises. C’est ainsi que la construction de Souapiti a été attribuée à CWE au moins deux ans avant que le financement ne soit bouclé. En moyenne, le coût de construction d’un nouveau barrage est de 1000 dollars US à 3000 dollars US par Kilowatt installé. Mais Alpha Condé n’a pas été regardant sur les coûts. Par exemple, le coût de des 240 MW de Kaleta est de 526 millions de dollars, soit autour de 2200 dollars US par Kilowatt (KW).  Le coût des 450 MW de Souapiti est de 2 milliards de dollars, soit 4400 dollars US par KW, le double du coût unitaire de Kaleta. Avec ces coûts élevés, le prix de revient de l’électricité risque de se rapprocher de la fourchette de coûts pour la production thermique, soit 30 à 40 centimes US le kilowattheure. Afin de maintenir les tarifs au niveau actuel de 10 centimes US, l’Etat doit continuer à allouer une bonne partie de son budget à la subvention de l’électricité. Par conséquent, les barrages continueront de peser sur le budget de l’Etat, en plus du poids de dette qu’ils occasionnent. C’est comme un pauvre qui se permet d’utiliser une carte de crédit chère pour s’acheter une grande cylindrée pour pouvoir déposer ses enfants à l’école.  En fin de compte, payer les frais de transport d’un Magbana aurait été plus économique, car il faut rembourser chaque mois la dette élevée, mais encore payer plus cher pour les frais de la grosse cylindrée.

Un autre facteur important est qu’en raison des coûts élevés du barrage,  le tarif réel de l’électricité produite n’est pas à la portée du Guinéen moyen. C’est comme si le salaire n’est pas suffisant pour payer les coûts de fonctionnement de la cylindrée évoquée ci-haut. En effet, le consommateur guinéen est habitué à payer autour de 30% à 50% du prix de revient de l’électricité, et il revient à l’Etat de subventionner la différence. Normalement, les barrages hydroélectriques auraient résolu ce problème, car ils sont un moyen de rendre l’électricité abordable en faisant baisser le coût de l’électricité jusqu’à 5 cents US au kilowatt heure (environ 450 GNF).  Mais Alpha Condé ayant opté pour des barrages coûteux, l’Etat doit maintenir les tarifs à des niveaux artificiellement bas. Avec les prix bas, EDG ne peut pas s’en sortir, et la qualité et fiabilité du service prennent nécessairement un coup. Ainsi, comme dans un marché de dupes, les Guinéens font semblant de payer l’électricité, et l’Etat fait semblant de les fournir l’électricité fiable. Le coût moyen de l’électricité guinéenne est de 40 cents US (3627 GNF) pour l’énergie thermique et au moins 15 à 20 cents US pour l’énergie hydraulique. Pour accommoder l’électorat urbain, l’Etat exige du consommateur guinéen seulement 10 centimes US par kilowattheure (956 GNF), le prix le plus bas de la sous-région.  Même à ce bas prix, un bon nombre de Guinéens préfèrent les branchements clandestins ou des arrangements avec les agents d’EDG. Pourtant, l’électricité régulière nécessite un tarif plus élevé et que chacun paye sa facture. A titre comparatif, les Maliens déboursent 16 à 25 cents US pour un kilowattheure de courant, les Ghanéens 13 à 20 cents US, les Togolais et Béninois 17 à 20 cents US. Les Ivoiriens qui ont l’électricité à revendre payent plus cher que les Guinéens, autour de 12 cents US. La moyenne en Afriques est de 25 cents US, soit 2.5 fois le tarif en Guinée. Même aux Etats-Unis d’Amérique, le consommateur paie en moyenne 15 cents US.

Au lieu de réformer en profondeur le secteur et imposer la vérité des prix, le gouvernement a préféré parer au plus pressé : acheter des groupes thermiques pour calmer la population urbaines, vendre le courant deux à trois fois moins cher que ça ne coûte à l’Etat pour acheter la paix, et trouver un projet pharaonique de barrage pour faire rêver à des lendemains meilleurs. Afin d’atténuer l’impact budgétaire des barrages de Kaleta et Souapiti, CWE devra produire et vendre l’électricité à un prix qui couvre non seulement le coût du service, mais aussi le remboursement de la dette et la marge bénéficiaire. En conséquence, EDG sera obligée d’acheter au prix comptant, et revendre en dessous du prix de revient, ce qui n’est pas une option viable pour sa santé financière. De son côté, CWE doit trouver des acheteurs solvables pour écouler son électricité.  A cet effet, l’option que CWE envisage est de trouver des marchés porteurs hors de la Guinée en mettant à profit les réseaux d’interconnexion avec le Mali, le Sénégal, la Sierra Leone, le Liberia. L’implication de cette option est que la Guinée devra exporter une bonne partie de la production des barrages alors que la Guinée elle-même est très loin de l’autosuffisance énergétique. Comme dans le cas de la bauxite, quand le gouvernement a préféré, pour des raisons d’opportunisme politique, de faire Boké une grande carrière de bauxite destinée à l’exportation de matière brute plutôt qu’un centre industriel de transformation des produits miniers, la Guinée se positionne comme un exportateur d’énergie envers les pays voisins, alors qu’elle a l’un des plus faibles taux d’accès à l’électricité en Afrique.

En somme, les barrages d’Alpha Condé seraient une très bonne chose pour la Guinée s’ils servaient exclusivement à réduire le déficit énergétique et à jeter les bases de l’industrialisation de la Guinée. Mais à regarder de plus près, on se rend compte que les barrages répondent plutôt à des motivations électoralistes.  Ces réalisations coûteuses de plus de 2,5 milliards de dollars US ont bien servi la campagne politique du parti au pouvoir, mais n’ont pas livré leurs promesses aux Guinéens. Pour des raisons de calendrier électoral, la rigueur technique, économique, financière, environnementale et sociale a fait défaut dans la conception et le financement des ouvrages. C’est ce qui explique les échecs à répétition des barrages. De plus, Alpha Condé a mis les barrages en concession pour une exploitation commerciale par le partenaire chinois qui les a construits.

Avec ces arrangements, les barrages au lieu d’être des acquis deviennent plutôt un fardeau pour l’Etat pour les raisons suivantes : (i) le  coût de construction est très élevé (2200 dollars US à 4400 dollars US par Kilowatt installé en Guinée, comparé à environ 1000 dollars US en Chine), en raison de l’attribution de marchés (négociation directe, donc sans appel d’offres), la nature non-concessionnelle du financement et les risques élevés ; (ii) à cause des coûts élevés de construction, et le poids de la dette, le coût moyen de production sera élevé et largement au dessus des moyens du consommateur guinéen habitué au tarif le plus bas de la sous-région, sans compter le fait qu’il préfère se soustraire à l’obligation de paiement de sa facture d’électricité ; (iii) l’Etat va devoir continuer à subventionner l’électricité des barrages qui sera vendue aux Guinéens par le Chinois CWE, ce qui n’est pas viable pour le Trésor Public  à long terme (l’Etat a englouti plus de 100 million de dollars pour la subvention de l’électricité en 2017, et ce montant pourrait tripler avant 2020 ; iv) En l’absence de demande industrielle (notamment la transformation des produits miniers) pour absorber le coût élevé de l’électricité des barrages, le concessionnaire chinois CWE envisage d’exporter une bonne partie de l’énergie des barrages vers les pays voisins, avant même de régler le déficit chronique d’électricité et relever le taux d’accès de 18%, l’un des plus bas en Afrique. Par conséquent, les Guinéens vont continuer à broyer du noir avec les délestages intempestifs. En définitive, les promesses électorales n’engagent que ceux qui les croient. Autant en emporte le vent !

A suivre…

L’équipe de rédaction de Guinéenews©

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