Première partie : La politisation des barrages de la période coloniale à l’ère Conté
La Guinée dispose d’un potentiel hydroélectrique estimé à 6 000 MW pour une énergie garantie de 19 300 GWh/an, largement suffisant pour la consommation domestique et l’exportation. Mais le pays peine toujours à développer son potentiel énergétique. Il n’a pu réaliser que de façon balbutiante quelques barrages qui sont restés sans effet. Sous Lansana Conté, il y eu les barrages Banéa (1988) et Garafiri (1999). Sous Alpha Condé, il y a Kaleta (2015) et bientôt Souapiti, Amaria, Koukoutamba, Fomi et autres. Mais la floraison des barrages n’a, pour l’instant, pu améliorer la desserte en électricité, malgré les dettes énormes contractées pour les réaliser. Le taux d’accès à l’électricité demeure toujours parmi les plus bas en Afrique (18% pour la Guinée contre 37% pour la moyenne en Afrique). On est en droit de se demander si les barrages ont servi vraiment à résoudre le problème de desserte en électricité. Plus on construit de barrages, plus la question de la desserte se pose.
La raison de ce paradoxe tient du fait que durant toute l’histoire de la Guinée, les barrages hydroélectriques ont été instrumentalisés par les politiciens pour servir leur campagne électorale. Par exemple, les premières études des sites de barrages sur le Konkouré remontent à 1948. Mais le pouvoir colonial d’alors avait attendu jusqu’au moment de la décolonisation en 1957 pour se décider enfin à réaliser le barrage. Le projet colonial de barrage était sous-tendu par le « Projet d’Aluminium de l’Afrique Noire » promu par les pouvoirs publics et les industriels français. Vu son importance stratégique, le projet intégré de construction du barrage de Konkouré et d’une fonderie d’Aluminium a été un des atouts que le Général De Gaulle utilisera en 1958 pour essayer de convaincre les Guinéens de voter « oui » pour une Guinée industrialisée et prospère dans la communauté de l’AOF (Afrique Occidentale Française). Le « Non » fracassant du 28 Septembre 1958 mettra fin à ce projet.
A son arrivée au pouvoir, Sékou Touré reprendra le projet de barrage Konkouré à son compte, et s’y attelle durant 26 ans de règne. Il va faire rêver les Guinéens avec ses promesses de réaliser le barrage Konkouré et d’en faire la clé de voûte de l’industrialisation de la Guinée. Il va même créer ministère de développement de Konkouré a cet effet, promettant aux Guinéens qu’après avoir accepté la liberté dans la pauvreté, ils auront droit à une industrialisation rapide qui fera de la Guinée le hub de l’énergie hydroélectrique et de l’aluminium en Afrique. Son régime s’était écroulé à sa mort sans avoir pu réaliser le rêve du Konkouré. Ses successeurs suivront son exemple en misant sur la fascination des Guinéens pour les barrages sur le fleuve Konkouré afin de les promettre des lendemains meilleurs. Lansana Conté et Alpha Condé iront plus loin, en faisant des barrages le centre de leurs promesses de campagne dans le but de s’offrir un second mandat ou de modifier la Constitution pour un troisième mandat, sans pour autant résoudre le problème de desserte d’électricité régulière à Conakry ou dans les villes de l’intérieur.
Garafiri, le barrage de campagne pour le deuxième mandat de Lansana Conté et la modification de la Constitution pour un troisième mandat
As son arrivée au pouvoir le 3 avril 1984, Lansana Conté avait essayé de prendre la relève du barrage Konkouré. Dès 1986, il active le dossier du barrage de Garafiri, le premier de la série de barrages sur le Konkouré. Le coût est estimé à 1 milliard de francs français à l’époque. Pour mobiliser les fonds, il se tourne vers la Banque mondiale, qui, après examen du dossier, l’annonce que faire Garafiri à lui seul serait un gaspillage de fonds et finirait par échouer. Conté se fâche et se brouille avec la Banque mondiale. Il demande alors aux Guinéens de faire un sursaut patriotique et de cotiser pour le barrage. Les pauvres guinéens ne peuvent apporter qu’une petite goutte d’eau dans l’océan. C’est la France qui s’implique pour mobiliser le financement en mettant sur la table 300 millions de francs afin d’encourager d’autres bailleurs. C’est ainsi que la banque européenne d’investissement, et les banques islamiques (Fonds koweïtien, Banque arabe pour le développement des états africains, et banque islamique de développement) apportent leur concours pour boucler le financement. Ceci avait permis à Lansana Conté qui avait fait du barrage une plate-forme de sa campagne pour le deuxième mandat, de lancer les travaux à temps pour les élections présidentielles du 14 décembre 1998. Grâce à la campagne axée sur la promesse du barrage comme une réalisation sans pareille dans l’histoire du pays, Conté va remporter la victoire avec 56.1% des suffrages.
L’année suivante, il fait inaugurer Garafiri avec fanfare. C’était le 22 juillet 1999, en présence de l’ex président français Jacques Chirac. Conté promettait alors de faire suivre Garafiri par la réalisation de Kaleta. Les deux barrages devraient fonctionner en tandem pour donner une puissance totale de 155 Mégawatts, ce qui doublait la capacité de production du pays. Mais Conté est plus intéressé par son maintien au pouvoir qu’à résoudre de façon pérenne la question sempiternelle de l’électricité en Guinée. Fort du lancement de Garafiri qui fait rêver les Guinéens, il concocte un référendum pour changer la Constitution afin de prétendre à un troisième mandat. En 2001, sa machine politique bien huilée lui permit de s’adjuger une victoire au référendum qu’il avait concocté. Les Guinéens n’étaient pas enthousiastes, mais le « Oui » l’avait emporté avec une grande abstention de vote (participation électorale estimée à 20%) et à coup de fraudes massives. Avec cette « victoire », et en dépit du fait que les délestages revenaient en force à Conakry, Conté s’offre un troisième mandat le 21 décembre 2003 en s’adjugeant 95.6% des suffrages dans l’élection que sa machine à fraude avait organisée. Déterminé à se cramponner au pouvoir jusqu’à sa mort, il fait l’effort quand même de relancer Kaleta et Souapiti, et offre aux Chinois des gisements de bauxite contre la réalisation des barrages. Affaibli par la maladie, il mourra jour pour jour cinq ans après sa victoire au troisième mandat, le 22 décembre 2008. A sa mort, la desserte en électricité s’était dégradée davantage, au grand désespoir des Guinéens.
Garafiri n’avait pas tenu ses promesses et la Guinée a brillé par sa réputation d’être le pays au monde où les élèves doivent se masser sur l’autoroute pour réviser et préparer leurs examens sous la lumière des lampadaires. A Bamako, quand il y avait coupure d’électricité, les manifestants scandaient « ici, ce n’est pas Conakry ! ». Construite pour produire 70 MW, la centrale donne à peine 20 MW. Au lieu de tirer les leçons de cet échec pour Kaleta et Souapiti, le ministre de l’Energie d’Alpha Condé Taliby Sylla trouve d’autres raisons : « La coupe de bois le long de ce fleuve, la fabrication des briques cuites, les cultures sur brûlure tout cela à contribué à la dégradation aujourd’hui de ce bassin de Konkouré. Ce qui fait que le débit à l’étiage devient extrêmement faible. Donc, nous demandons aux riverains de cesser ces genres de pratique qui peuvent causer des préjudices à notre environnement et qui parle de courant parle forcément de l’eau ».
A suivre….
L’équipe de rédaction de Guinéenews©