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Dossier – Les barrages hydroélectriques en Guinée : D’importants investissements pour si peu de résultats !

La Guinée est parmi les pays les moins électrifiés d’Afrique. Même dans la sous-région Ouest-africaine la plupart de nosvoisins nous dépassent en termes de couverture d’électricité de leurs pays. Malgré d’importants efforts consentis par l’État ces dix dernières années pour améliorer ladesserte en énergie électrique, les villes guinéennes sont encore obscurcies par le manque d’électricité.

Selon la Banque mondiale, le taux d’électrification (c’est-à-dire le nombre de personnes ayant accès à l’électricitéexprimé en pourcentage de la population totale) était en 2017, de 35,4% en Guinée. En comparaison de 79% au Ghana ; 65,6% en Côte d’Ivoire ; 61,7% au Sénégal ; 54,4% au Nigéria ; 56,2% en Gambie ; 48% au Togo ; 43,1 % au Mali et au Bénin ; 42,9% en Mauritanie et j’en passe.

Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, quatre importants projets d’aménagement hydroélectrique sont lancés en GuinéeMaritime, tous sur le fleuve Konkouréun immense cours d’eau de 260 kilomètres de long qui prend sa source dans le Massif du Fouta-Djalon. Deux de ces projets sont déjà en service, les deux autres sont en cours de réalisation.

Le premier du genre, le complexehydroélectrique de Garafiri, d’une puissance installée de 75 mégawatts, située à 160 km au nord-est de Conakry dans la préfecture de Kindia, est inauguré le 22 juillet 1999 par le président Lansana Conté, en présence de l’ancien président français, Jacques Chirac.Avec un coût total estimé à 250 millions de dollars, la réalisation de ce cet important ouvrage toutefois pas n’a pas eu de retombées significatives sur le niveau réel d’électrification du pays et encore moins de la capitale.

Seize ans plus tard, la construction du complexe hydroélectrique de Kaléta, d’une puissance installée de 240 mégawatts est achevée à 115 km au nord-est de la capitale,dans la préfecture de Dubréka. Il est inauguré le 28 septembre 2015 en grande pompe par le président Alpha Condé, en présence de deux chefs d’États étrangers – le congolais Denis Sassou Nguessou et le nigérien Mahamadou Issoufou, ainsi que de Jean-Louis Borloo, ancien ministre français de l’Écologie. Le coût de ce deuxième ouvrage d’importance est estimé à 446 millions de dollars. Mais là aussi, les promesses de pallier l’insuffisance de Garafiri ne sont pas tenues non plus, car même Conakry peine à s’éclairerconvenablement.

Le complexe de Kaléta sera suivi la même année par l’ouverture des travaux de construction d’un troisième complexehydroélectrique, à savoir celui de Souapitisitué à seulement 6 km en amont de Kaléta, d’une puissance installée de 450 mégawatts. Le plus grand projet de ce genre sur Konkouré, le coût total de Souapiti est estimé à 1,4 milliard de dollars. Or, malgré le niveau davancement des travaux à plus de 80% à ce jour, notamment par la finalisation de la construction de la digue qui aurait permis de former un immense réservoir d’eau en amont pouvant ravitailler les barrages situés en aval, ces derniers n’arrivent toujours pas à répondre efficacement aux besoins des populations.

Enfin, trois ans après l’ouverture du chantier de Souapiti, on a assisté le 19 janvier 2018 au démarrage des travaux de construction d’unquatrième complexe hydroélectrique sur le Konkouré. Il s’agit de celui d’Amaria, d’une puissance de 300 mégawatts, situé à une quarantaine de kilomètres en aval de Souapiti.

Toutefois, et c’est l’objet central de notre article, malgré la réalisation de tous ces ouvrages d’envergure, les ménages guinéens n’ont toujours pas d’électricité courante et la plupart d’entre eux continuent encore de s’éclairer au moyen de lampe-tempêtes ou de bougies. Même dans les centres urbains du pays et à fortiori la capitale Conakry, la disponibilité de l’électricité est un constant tourment pour les habitants.

La question légitime que nous nous posons est donc de savoir pourquoi autant d’argents dépensés pour si peu de résultats (les projets Garafiri, Kaléta et Souapiti totalisent 2 milliards et 96 millions de dollars) ? Pourquoi ces projets peinent à atteindre leur objectif, le plus souvent dès les premiers mois qui suivent leur mise en service ?

Notre réponse sera nourrie par uneexpérience personnelle, en tant que témoin oculaire lors de la réalisation du premier de ces projets, celui de l’aménagement hydroélectrique de Garafiri, entre 1996 et 1999. Nous y étions présent en qualité d’inspecteur en génie civil, agissant pour le compte du Groupement de maîtrise d’œuvre déléguée pour ledit aménagement, Coyne et Bellier Électricité de France (EDF).

L’expérience de Garafiri : de la politique hydroélectrique à l’hydroélectricité politique

« L’avenir de votre pays dépend de vous-mêmes, jeune-homme ». C’est ce que me ditun jour mon patron, un ingénieur de Coyne et Bellier, en sortant d’une réunion avec les responsables locaux. L’aménagement hydroélectrique de Garafiri était un beau projet d’ingénierie, mais un fiasco en ce qui a trait à sa gestion locale. La responsabilité de la Délégation guinéenne auprès de la missionétrangère de contrôle des travaux est lourdedans les raisons de l’inefficacité de cette infrastructure. Combien de travaux non-conformes ont-ils été autorisés ou acceptésdélibérément par elle et ce, malgré la dénonciation de ces travaux par les inspecteurs opérants sur le terrain et le refus de ceux-ci par les responsables du Bureau de maîtrise d’œuvre ? On ne saurait le dire avec exactitude.

Mais le plus grave de tous concerne le feu vert donné pour la mise en eau de la digue qui débuta en avril 1999, dans un contexte de forte pression politique. Alors même que les berges du fleuve n’ont guère été élaguées et nettoyées au préalable. De même que le fond du lit du fleuve en amont de la digue n’a pas été dragué afin de permettre à la retenue d’atteindre sa profondeur maximale effective de 66 mètres ainsi que sa capacité conceptuelle de stockage d’eau, indispensables pour un meilleur rendement.

En effet, il faut rappeler que le président Lansana Conté nourrissait déjà à cette époque l’ambition de briguer un troisième mandat. Ainsi, espérait-il que grâce à la réalisation de cet ouvrage et sa rapide mise en service, il pouvait compter sur l’appui de la majeure partie du peuple pour porter son projet de révision constitutionnelle qui lui permettra de présenter sa candidature aux élections présidentielles de 2003. Tel est le malheur de ce beau pays qu’est la Guinée. Pour la plupart de ses dirigeants, le patriotisme se résume aux calculs politiciens, à la poursuite sans vergogne de l’intérêt personnel, même si cela entrave durablement le développement du pays.

Si bien que ce projet de réforme constitutionnelle est approuvé par référendum le 11 novembre 2001 à 98,4% des suffrages. Dès lors, la limitation du nombre des mandats présidentiels ainsi que la limite d’âge du candidat sont supprimées. Et de toute évidence, comme on pouvait s’y attendre, le 21 décembre 2003, Lansana Conté est réélu président de la République dès le premier tour du scrutin à 95,6% des suffrages.

Le président Conté avait ainsi atteint son objectif, celui de réunir les conditions qui lui permettaient de demeurer jusqu’à sa mort président de la République de Guinée. Mais l’objectif du projet Garafiri lui, n’a pas été atteint. Loin de là !

En effet, la décision de permettre le remplissage progressif de la digue sansl’exécution des travaux de dragage du fond du lit (excavation, nettoyage, dessablement et extraction de tous débris hors de l’eau) a eu d’énormes conséquences sur le fonctionnement de la centrale, non seulementdans l’immédiat mais aussi dans le futur. Tout d’abord, la quantité d’eau escomptée a été faussée, car les dépôts de sable et de sédiments qui se trouvaient déjà dans le lit du fleuve occupaient une portion non négligeable de la hauteur d’eau, de sorte que la profondeur maximale effective n’a jamais été atteinte, même si plus tard la contemplationde la cote maximale de l’eau pouvait émerveiller les spectateurs néophytes.

Lorsque le barrage a été inauguré en juillet, soit trois mois après le début de sa mise en eau, le niveau d’eau qu’affichaient les piézomètres n’était que trop trompeur, dans la mesure où il ne reflétait pas le volume d’eau emmagasiné qui aurait dû lui correspondre conformément aux études techniques. C’est pour cette raison qu’assez tôt après la mise en service de la centrale en 2000, la quantité d’eau disponible n’était plus suffisante pour faire tourner les turbines à leur plein régime.

De plus, l’accumulation de matières solides etboueuses dans la retenue d’eau, davantage favorisée par le non dragage du fleuve a occasionné à son tour des dommages sur les grilles de protection de la prise d’eau et permis l’entrainement des sédiments de sable dans les galeries d’amenée, lesquels ont fini leur parcours au niveau des turbines, provoquant ainsi prématurément l’endommagement des composants de celles-ci. D’où l’origine des nombreuses pannes que nous connaissons et qui nécessitent à chaque fois l’intervention d’experts étrangers en vue de les réparer.

Les raisons « structurelles » du faible impact des barrages hydroélectriques sur l’offre d’électricité en Guinée

Depuis plusieurs décennies les réseaux électriques guinéens sont restés sans entretien, de sorte qu’ils sont jugés obsolètes, surchargés, peu fiables et non-conformes aux normes les plus récentes de l’industrie. Cela a engendré d’énormes pertes sur le réseau et des délestages récurrents. Selon une étudefinancée en 2016 par l’Agence Française de Développement (AFD), les pertes d’électricité entre les sites de production de l’énergie et les réseaux de distribution sont énormes.Cette étude a montré que seulement 57% de l’électricité produite parviennent réellementaux consommateurs (part de l’énergie facturée en volume par rapport à l’énergie produite). En effet, il est techniquement bien connu qu’un volume d’électricité produit ne peut être acheminé jusqu’au consommateur final sans pertes. L’essentiel de ces pertes est lié au passage du courant électrique dans les matériaux conducteurs qui lui opposent une résistance : cela provoque une perte d’énergie qui se traduit par un dégagement de chaleur. Ce phénomène est appelé « effet Joule ». Et cette perte est d’autant plus élevée que les conducteurs sont défaillants.

D’autre part, à puissance délivrée égale, plus la tension est élevée et l’intensité réduite, plus les pertes en ligne (proportionnelles au carré de l’intensité) sont faibles. Le courant transite donc sur les lignes électriques à haute tension et sur le réseau de transport d’électricité. Tandis que sur les réseaux de distribution, la tension est réduite et les pertes sont donc plus importantes. Sur ces différents réseaux, le courant alternatif est utilisé en partie pour cette raison, car il permet d’élever les tensions, de réduire les intensités donc de limiter les pertes. Mais un tel phénomène est malheureusement freiné par la mauvaise qualité des lignes de transport d’électricité.

Une deuxième raison qui s’ajoute aux pertes sur les lignes de transport vise les nombreux cas de vols d’électricité, parfois même avec lacomplicité des techniciens de la Société d’électricité, EDG (Électricité de Guinée, Concessionnaire de la production, du transport, de la distribution et de la vented’électricité en Guinée). Ces vols consistent principalement en des compteurs trafiqués ou court-circuités ou en des branchements illicites au réseau électrique. Certains utilisent des lignes illégalement installées par leur soin, ou parasitent les compteurs des personnes régulièrement connectées. Le grand drame étant de constater que ces manouvres de fraudes ne se limitent pas uniquement aux particuliers, car cela concerne aussi les lieux de commerces, les hôtels et mêmes les unités industrielles.

Pour des informations plus complètes sur ces fraudes, le lecteur peut se référer à cet article publié par Guineenews en janvier 2019 :

Dossier-Fraude sur l’électricité en Guinée : ces grands marchés, hôtels et unités industrielles qui font saigner EDG !

D’autre part, nos projets de barrageshydroélectriques sont muets sur les risques posés par les modifications climatiques. Les épisodes de sécheresse dans différentes parties du pays entrainent souvent une baisse de la pluviométrie et des précipitations, influençant de manière significative les volumes d’eau retenus. Ce phénomène est aussi accentué par les pratiques courantes de la déforestation pour des fins agricoles.

Enfin, la promesse d’une électricité bon marché qui est vendue en campagne de soutien à ces projets tend aussi à être une illusion. Une fois ceux-ci achevés, avec des dépassements de coûts et de délais, les tarifs dépassent généralement les niveaux initialement prévus, les investisseurs voulant rapidement récupérer leurs mises. Selon la Banque mondiale, le coût de l’électricité en Afrique de l’Ouest est l’un des plus élevés au monde, tournant autour de 0,25 dollars le kilowattheure, soit deux fois plus élevé que la moyenne mondiale. D’autre part, les coupures sont régulières et peuvent dépasser les 80 heures par mois.

Comment faire pour obtenir des résultats satisfaisants : de la grande à la petite hydroélectricité ?

La première condition c’est de cultiver d’abord l’amour du pays. Cela se traduit par des actes de probité morale, intellectuelle et citoyenne, exprimés dans une volonté ferme de mettre toujours l’intérêt de son pays au-dessus de son seul intérêt égoïste insatiable, motivé par un ardent désir d’enrichissement illicite. Il va sans dire qu’aucun plan, aussi bien élaboré soit-il, ne fonctionnera correctement sans la réalisation de cette première condition.

Vient ensuite la nécessité de revoir nos besoins réels en matière d’électrification. De quel type d’infrastructures avons-nous besoin ? Ces infrastructures répondent-elles à nos propres objectifs de développement ? En tant que futurs décideurs, nous devrons miser sur les infrastructures qui respectent les préoccupations sociales et environnementales.

Les grands barrages hydroélectriques sont intéressants, mais ils sont bien trop chers pour nos économies déjà lourdement endettées. De plus, leurs impacts sociaux sont souvent sous-estimés. Force est de reconnaitre que les coûts de ces projets alourdissent la dette publique de notre pays, la plupart d’entre eux étant financés en grande partie par des fonds étrangers. Évidemment, les bailleurs de fonds préfèrenteux-mêmes ces grands projets d’infrastructures parce que les capitaux en jeu et la durée des projets obligent l’État à assumer d’énormes risques, au grand dam des générations futures. Cela fait également de ces projets un pôle d’attraction pour la corruption. Par exemple, le barrage hydroélectrique d’Amaria sera entièrement financé, construit et exploité par l’entreprise chinoise Tebian Electric Apparatus (TBEA)pour ses propres bénéfices avant de pouvoir être transféré bien plus tard à l’État Guinéen.

Dès lors, Une réflexion orientée vers le développement des micro-barrages hydroélectriques en misant sur les nombreux cours d’eau qui arrosent notre pays, pourrait être une solution alternative à envisager. L’objectif premier étant de permettre à chaque habitant de la Guinée d’avoir accès à l’électricité domestique pour ses besoins quotidiens et de manière pérenne. Bien évidemment, pour le développement de nos industries minières et agricoles et la transformation sur place des produits de leur exploitation, les grands barrages hydroélectriques peuvent s’avérer plus efficaces.

Enfin, il faudra mettre un grand accent sur l’entretien de nos infrastructures ainsi que sur la formation du personnel d’exploitation de ces grands actifs pour le pays. Nous avons malheureusement l’habitude de laisser nos infrastructures à l’abandon une fois leur construction terminée. Or, aucun ouvrage ne peut fonctionner durablement sans un entretien constant. Concernant les barrages hydroélectriques, la surveillance et l’auscultation sont préalables à toute opération d’entretien et doivent entrer en jeu dès la construction de l’ouvrage.

D’autre part, le personnel d’exploitation doit recevoir des formations adaptées et régulièrement mises à jour afin de pouvoir être en mesure de prendre en charge toutes les pannes qui surviennent sur les équipements électriques et électromécaniques de la centrale.

Telles sont quelques mesures possibles dont la concrétisation améliorera certainement le fonctionnement de nos centrales hydroélectriques en leur permettant de répondre véritablement à la fonction pour laquelle elles ont été conçues : « Sortir la Guinée des ténèbres ».

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