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Dossier – La production artisanale d’or explose et surclasse celle industrielle en Guinée : fiction ou réalité ?

Exploitation minière en Guinée : quand la production artisanale d’or (24,5  tonnes), soit 7 fois supérieure à celle industrielle (3,6 tonnes) en période de pandémie de coronavirus (avril-mai-juin 2020) suscite des interrogations !

Sommaire des statistiques minières avril-mai-juin 2020

Le ministère des Mines et de la géologie a instauré une excellente initiative de production de statistiques minières, en créant le bulletin minier avec l’appui financier des partenaires intéressés par le secteur vital de notre économie. A parcourir ce bulletin des statistiques minières en République de Guinée, on trouve son compte en matière de données officielles dans le secteur minier. Mais le cas qui a retenu l’attention de votre quotidien électronique Guineenews©, ce sont les statistiques de la production d’or dans les secteurs industriel et artisanal (orpailleurs) du deuxième  trimestre  (avril-mai-juin) 2020, parues dans le bulletin N°008. Selon celles-ci, la production artisanale est estimée à 25,47 tonnes (soit un équivalent de plus d’un milliard six cent mille dollars américains de revenu), alors que la production de toutes les grandes industries réunies évoluant en Guinée (SAG-Anglo Gold Ashanty, Société minière de Dinguiraye – SMD) qui utilisent les moyens mécaniques modernes, est de 3,6 tonnes.

Ces chiffres qui semblent être invraisemblables à un moment où l’économie mondiale est au ralenti en raison de la pandémie liée à la COVID-19 ont surpris plus d’un. En même temps, ils suscitent la curiosité de Guineenews© étant donné qu’aucun investissement n’a été fait dans le secteur en question au deuxième trimestre 2020, surtout que le groupe canadien Semafo qui exploitait la mine de Kiniéro a fermé ses portes depuis quelques années. Il devient alors inimaginable que la production artisanale ait pu atteindre un niveau équivalent à 7 fois celui de la production industrielle.

L’Etat justifie les chiffres de la production artisanale… 

Pour mieux comprendre ce paradoxe, Guineenews© a approché l’un des artisans de ce bulletin, en l’occurrence Aboubacar Kourouma, directeur général du Bureau de stratégie de développement (BSD) du ministère des Mines et de la géologie. Voici ce qu’il a dit pour justifier cette hausse exponentielle de la production artisanale par rapport à celle industrielle durant le deuxième trimestre 2020.

« Il y a environ 300 mille orpailleurs dans le pays. La maîtrise de l’orpaillage est l’un des défis majeurs pour toute politique minière responsable, tant sur le plan de son impact économique qu’environnemental (aussi et surtout). Ils sont d’ailleurs bien mentionnés dans la VMA (Vision Minière Africaine). Suite à la tenue de la journée nationale de l’orpailleur organisée par nous en 2017, une série de réformes a été enclenchée pour essayer de mieux organiser afin de maîtriser ce secteur « hautement informel » dont entre autres :  

– La délimitation des couloirs d’orpaillage ; 

– La parcellisation des  zones d’exploitation artisanale ;  

– La mise en place des équipes d’encadrement techniques dans les zones d’exploitation artisanale ;  

– L’implémentation de nouveaux projets (coopératives de Tonso avec financement de la GIZ ……) 

– L’installation des coopératives et la formation des orpailleurs ; 

– L’évolution graduelle de l’orpaillage traditionnel vers – la petite mine, la petite mine mécanisée  (EMAPE). 

Ces réformes n’expliquent pas l’exceptionnelle hausse constatée des productions d’or artisanal, mais y contribuent de fait. Concernant cette hausse (conjoncturelle), il faut noter les points essentiels suivants : 

– La réduction drastique de la fraude due à la faible mobilité des orpailleurs suite à l’état d’urgence sanitaire – COVID-19 (fermeture des frontières) ; tous les colis d’or sont désormais exportés exclusivement à partir de l’Aéroport de Conakry par les vols Cargo Emirats et Air France. Environ 35  à 40%  de la production partaient au Mali compte tenu de la porosité de nos frontières. Cette fraude s’explique entre autres par la proximité de la principale zone de production (Siguiri) avec la République du Mali et l’insécurité le long du trajet de Siguiri – Conakry.  

– La ruée vers la filière aurifère est due à la flambée du prix de l’or de 1385 $ USD par once en mars à 2000 $ USD par once à ce jour, soit une augmentation de 44% en dix mois ; pendant que le diamant lui a perdu 35% de sa valeur sur la même période. » 

Des experts indépendants doutent des statistiques et enfoncent l’Etat… 

Contrairement à Monsieur Kourouma, nous avons interrogé Alpha Mamadou Diallo spécialiste en laboratoire de mines avec plus 20 ans d’expériences, un expert évoluant dans le domaine aurifère dans une entreprise basée au Ghana. Voici ce qu’il affirme :

« Dans le fichier joint, la production artisanale de 25,47 tonnes comme quote-part de l’exportation artisanale me semble surestimée au regard des méthodologies anciennes d’exploitation utilisées par ce secteur. Ces 25,47 tonnes produites en 3 mois équivalent en valeur monétaire à 1,6 milliard de dollars américains au taux actuel de la valeur de l’once d’or sur le marché. J’estime honnêtement que si la région productrice de ce métal qu’est la Haute Guinée produisait toute cette quantité par ses orpailleurs locaux, elle serait sortie de la pauvreté. Par ailleurs, j’ai fait une analyse des 8 premières années de production aurifère depuis la prise de fonction de Alpha Condé en 2011, c’est-à-dire la période allant de 2011 à 2018. Cette analyse montre que la Guinée avait exporté en moyenne et par an environ 16 tonnes d’or, soit 970 millions de dollars de revenus annuels au prix actuel de l’once d’or situé autour de 1913 $ USD. Entre temps, 3 sociétés industrielles étaient opérationnelles (la SAG, la SMD et SEMAFO de Kiniero dans Kouroussa). Ces chiffres sont dans les normes au regard de la taille des nos trois sociétés industrielles dans le secteur. Si après fermeture de la mine de Kiniero, la production en 2019 est montée à 28 tonnes  alors que les autres entreprises industrielles n’ont pas eu à augmenter leurs capacités de production,  on est en droit de se demander qu’est-ce qui a pu entraîner cette augmentation quasi double de la production ». 

« Par ailleurs, l’estimation de la production artisanale pose problème au regard des moyens rudimentaires de production et l’absence en amont de données de laboratoires fiables qui aideraient à ce que l’exploitation soit plus rapide, efficiente et rentable. Surtout que de 2011 à 2018, la production industrielle est talonnée par celle artisanale ou surpassée par celle-ci durant certains trimestres. La production augmente crescendo de janvier 2020 pour qu’à la fin du 2ème trimestre de cette année, elle culmine à 36 tonnes. Ces 36 tonnes représentent un revenu de 2,2 milliards de dollars américains », relève-t-il.

« En conséquence, ce qui est le plus incongru et rocambolesque dans ces statistiques, c’est que dans la même période du 2ème  trimestre de 2020, l’exportation artisanale surpasse celle industrielle de plus de 6 fois en pleine période COVID-19 soit 25 tonnes contre 4 tonnes. Les productions industrielles indiquées dans les différents bulletins me semblent dans les normes comparées à d’autres mines d’or de la région ayant les mêmes capacités de traitement que nos deux industries, c’est-à-dire la SAG et la SMD. C’est la production artisanale qui me semble surestimée pour la période avril-mai-juin 2020. La Guinée ne peut pas produire 29 tonnes qui incluent les 3,6 tonnes de l’exportation industrielle en 3 mois alors que la Haute Guinée croupit dans la misère sans eau ni électricité ni route. La valeur monétaire de 29 tonnes  représente environ 1,8 milliard de dollars américains. Ce montant représente combien de % de notre PIB (produit intérieur brut) ? Y-a-t-il une intention de gonfler le PIB (produit intérieur brut) en période de COVID-19 ? Si notre secteur artisanal est aussi performant, la pauvreté devrait reculer dans ces zones de production fortement impactées par l’orpaillage…J’ai alors l’intime conviction que les données aurifères  sont fausses à partir de 2019. Pire, il est incompréhensible quelque soit la bravoure et le courage des orpailleurs qu’ils puissent produire plus ou au même niveau que les 2 industrielles », s’est indigné cet expert dans le domaine aurifère.

Selon un autre spécialiste évoluant dans le secteur minier que Guineenews© a interrogé mais qui n’a pas voulu être cité, la production artisanale ou semi-industrielle ne doit en aucun cas dépasser celle industrielle. « A la limite, les deux peuvent être égales ou que la production industrielle utilisant les moyens d’extraction modernes soit supérieure, ce qui est d’ailleurs normal, mais jamais l’inverse », soutient-il.

Un haut cadre de la SAG confirme les chiffres…

Cependant, si les deux experts doutent des chiffres (24,5 tonnes) du ministère des mines  sur la production artisanale, un autre non des moindres travaillant à la SAG depuis plus de 25 ans estime pour sa part qu’ils sont réels. « La production artisanale a largement surclassée celle industrielle. Ces chiffres sont réels au regard des équipements semi-modernes (gros concasseurs) qu’utilisent les orpailleurs dans les zones aurifères de nos jours mais surtout compte tenu du nombre élevé de personnes venues un peu partout faisant cette pratique en Guinée. La population est devenue dense à Siguiri et compte tenu de la ruée vers l’or, les prix y ont grimpé de façon vertigineuse. Je peux donc vous affirmer sans aucun doute que les statistiques sont réelles sur la production artisanale est réelle », a affirmé ce technicien qui a strictement requis l’anonymat.

« Par exemple, nous avons beaucoup de problèmes à la SAG liés à l’extension de l’usine et la faible teneur en or du type de minerai oxydé qu’on utilise en ce moment. Ce qui fait que nous produisons difficilement 300 mille onces d’or par an, soit 9 tonnes. Depuis mars 2019, on n’a pas eu de budget, ce n’est qu’en janvier 2020 qu’on on a eu quelque chose. La seule chose qui permet à la SAG de survivre actuellement, c’est le bon prix de l’or sur le marché mondial (jusqu’a 2000$ par once) », a-t-il précisé.

En somme, des observateurs miniers s’accordent à dire que les 25,9 tonnes d’or produites par le secteur artisanal (semi-industriel) contre 3,5 tonnes de celles produites par les deux industries aurifères en avril-mai-juin 2020 en temps de pandémie liée à la COVID-19 ne sont pas réalistes et réalisables et pourraient contenir des erreurs, ce que l’Etat réfute. Si tel est le cas (plus 1,8 milliard de dollars américains de revenu pour les orpailleurs au second trimestre 2020), il va falloir taxer fortement les producteurs artisanaux au regard du régime fiscal guinéen puisque c’est un nid important de ressources fiscales qui échappe aux recettes publiques. « On a mis en place une Task force « sécurisation des revenus miniers » entre le budget (impôt et douane), la BCRG (banque centrale de la république de Guinée) et nous pour effectivement discuter de ces sujets », rassure le patron du BSD du ministère des Mines et de la géologie avant de préciser que la taxe sur l’or produit par les orpailleurs a été supprimée en 2016.

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