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Dossier – Immigration clandestine ou le désespoir d’une vie en Europe – Témoignages poignants des jeunes guinéens ayant traversé la Méditerranée

Après avoir bravé l’enfer d’un voyage au risque de leur vie, les jeunes migrants arrivés en France avec espoir d’un changement spectaculaire de leur vie à la « Mamoudou Gassama » (le Malien qui avait sauvé un bébé dans un building en France), ne sont pas au bout de leur peine. Ignorant les démarches et le déroulement de la vie dans leur pays d’accueil, le monde leur tombe sur la tête. La rédaction de Guinéenews© basée à Paris est allée à la rencontre de ces jeunes migrants originaire de la Guinée dans un foyer au sud de Paris. Chacun d’eux possède une histoire singulière, mais ils partagent tous la désillusion de leur nouvelle vie qu’ils auraient cru paradisiaque une fois qu’ils foulent la terre européenne.

Lire ou relire : Dossier-Guinée : familles endeuillées, rêves brisés, autorités impuissantes, le lourd tribut payé par les jeunes désespérés à la migration clandestine

Ce sont plutôt des jeunes pleins d’énergie, qui cachent moins bien leur amertume que nous avons rencontrés dans un centre d’hébergement dans le Val de Marne, en petit groupe de« frères » guinéens ; ils ont bien voulu partager leur histoire. Pour commencer, ils ont désigné leur ami qu’ils appellent tous « Kountigui (le patriarche, ndlr) » à prendre la parole ; ce dernier dans un ton rassurant se lance… 

« J’ai quitté la Guinée pour chercher un meilleur avenir en Europe, parce que l’avenir des jeunes en Guinée est de plus en plus incertain. L’humanité perd tout son sens au vu de tout ce que nous vivons au long de cette aventure… »

« Je suis Camara Saliou né en mars 1992 à Conakry ; je suis en France depuis 3 ans. J’ai quitté la Guinée pour chercher un meilleur avenir en Europe, parce que l’avenir des jeunes en Guinée est de plus en plus incertain. Pour arriver en France, je suis passé par le Mali, l’Algérie, la Libye, l’Italie puis la France. Ce que je retiens de ce voyage est que l’humanité perd tout son sens au vu de tout ce que nous vivons au long de cette aventure. Arrivé en France, j’ai cru que mon calvaire était fini, mais j’ai découvert une autre réalité. Lorsque j’ai demandé l’asile, les autorités de l’immigration ont retrouvé mes empreintes d’entrée en Europe enregistrées en Italie ; je me suis donc retrouvé dans la procédure Dublin qui me renvoie vers le pays par lequel je suis entré en Europe, où j’ai été contrôlé pour la première fois. Selon le règlement, seul ce pays a le droit de prendre en compte ma demande d’asile. Ne voulant pas retourner en Italie, je suis resté une année en France pour être éligible à la procédure normale de demande d’asile en France. Il y a juste quelques mois que j’ai réussi à déposer ma demande d’asile ; je suis passé à l’OFPRA (Office Française de Protection des Refugiés et Apatrides) pour mon entretien j’attends donc la décision si j’ai eu le statut de réfugié ou pas. Cela fait donc 3 ans et quelques mois que je suis en France sans papiers, sans travail ; un véritable enfer, puisque sans travail, tu ne peux pas vivre dignement et aider les parents et sans papiers tu n’as pas le droit de travailler. Je suis donc dans cette attente pleine d’angoisse et de stress, je passe les nuits à prier afin que Dieu puisse nous aider. Ici, on nous héberge, on nous donne à manger mais c’est vraiment pour des conditions de survie. Dans ce centre, on est beaucoup de jeunes guinéens, je dirais une dizaine, souvent on se retrouve pour parler de notre pays et se donner des conseils. Avant de terminer, je dirais à tous les jeunes guinéens candidats à l’immigration par la mer de garder l’argent qu’ils investissent dans ce voyage pour d’autres projets qui peuvent les rapporter mieux, car avec tout ce que j’ai dépensé et enduré pour me retrouver dans de telles situations je me sens un peu en prison dans ma tête bien que je me promène. », a-t-il sèchement déclaré à Guineenews.

Ensuite, c’est au tour de Barry Alpha Amadou de vider son sac avec un peu de réserve, comme si raconter tout ce qu’il a vu et vécu ne pouvait changer grand-chose à sa vie. Il s’est quand même prêté à l’exercice sous l’encouragement de ses amis…

« Venir en Europe n’est plus la solution, ça consiste juste à déplacer le problème car la solution c’est chez nous, que la jeunesse n’accepte plus de se faire manipuler par les politiques, elle sort toujours perdante…»

« Je suis Barry Alpha Amadou ; moi j’ai quitté la Guinée il y a 4 ans, je suis venu par le même chemin que mes amis avec tout ce que ça implique. Je peux vous assurer du calvaire qui consiste à vivre dans un pays comme la France n’ayant pas de titre de séjour. Tu ne peux pas avoir de logement car tu ne travailles pas et tu ne peux pas travailler sans titre de séjour, c’est la raison de notre résidence dans ce centre d’hébergement. Pour ma part, je vis ici depuis deux ans, la vie dans ces centres hébergements d’urgence est tout sauf aisé, on n’a pas le droit de visite, nous ne pouvons pas cuisiner et manger ce que nous voulons parce que la nourriture qu’on nous donne ici on n’aime pas forcement on mange juste parce qu’il faut se nourrir pour tenir debout. Nous cohabitons avec des personnes de nationalités différentes qui n’ont donc pas la même culture ni la même manière de voir les choses que nous. Parfois, il y a des tensions mais nous Guinéens ici dans ce foyer, on se donne des conseils pour éviter les problèmes qui pourraient nous faire expulser du centre et nous retrouver à nouveau dans la rue. Je suis toujours dans la procédure de demande d’asile. J’attends que le bon Dieu m’aide à obtenir mes papiers pour démarrer une nouvelle vie. Si J’avais le choix je serais encore à Conakry mais les dernières nouvelles de la Guinée ne me rassure pas non plus, c’est pourquoi quand certains me demandent de retourner j’ai du mal à les répondre. Je souffre certes en France mais vouloir rentrer et souffrir avec la famille entière, cette image me ferait encore plus mal. Le gouvernement guinéen ne fait rien pour aider la population à sortir de la pauvreté, c’est vraiment dommage. Je lance un message à la jeunesse guinéenne de se battre jusqu’au bout pour leurs droits, venir en Europe n’est plus la solution, ça consiste juste à déplacer le problème car la solution c’est chez nous, que la jeunesse n’accepte plus de se faire manipuler par les politiques, elle sort toujours perdante. »

Diallo Alpha Issiaga quant à lui, aimerait bien que son témoignage porte fruit, qu’il réussisse à faire renoncer ses frères guinéens qui sont prêts à mettre leur vie en jeu pour venir en Europe. Il est arrivé en France il y a moins d’une année, mais il a l’impression que le plus dur n’est pas la traversée mais la vie de sans papier en France…

« J’ai choisi la France parce que c’est un Etat de Droit, et étant un pays francophone, je n’allais pas avoir de problème avec la langue comme en Espagne et en Italie. Mais ma surprise fut grande à mon arrivée, je passais mes nuits dehors à la belle étoile…»

« Je suis Alpha Issiaga Diallo né en 1992 je suis guinéen, je suis diplômé d’université, j’ai quitté mon pays pour des raisons politiques, je militais au sein d’un parti de l’opposition ; au fil du temps, j’ai commencé à recevoir des menaces de mort à chaque fois que je prenais part aux manifestations de l’opposition. Pour sauver ma vie, j’ai préféré quitter le pays. J’ai pris un vol pour le Maroc et je suis passé par la méditerranée pour rejoindre l’Espagne ; de là, je suis arrivé en France en septembre 2018. J’ai choisi la France parce que c’est un Etat de Droit, et étant un pays francophone, je n’allais pas avoir de problème avec la langue comme en Espagne et en Italie. Mais ma surprise fut grande à mon arrivée, je passais mes nuits dehors à la belle étoile ; j’ai ensuite rencontré un ami qui m’a accompagné au lieu où je devrais demander l’asile, après mon enregistrement, on m’a donné une adresse à la porte de la Chapelle dans le 18ème arrondissement de Paris où je devais passer la nuit. C’est un grand centre hébergement qui accueille des centaines de migrants venus de partout. J’y suis resté pendant un mois ensuite j’ai atterri ici. Ma demande d’asile est un peu compliquée puisque mes empreintes ont été retrouvées en Espagne ; donc je me retrouve aussi dans la procédure Dublin.  Je vais rester aussi pendant une année pour voir si je pourrais faire une demande normale parce que tout le monde n’a de chance de rester en France après qu’on ait découvert les empreintes dans un autre pays, la plupart on les renvoie dans ces pays d’entrée. Pour le moment, je suis en attente… Je dirais que la vie de migrant dans les foyers c’est une vie de fou, tu passes toutes tes journées à dormir, tu ne peux pas travailler même si tu en as envie, tu passes tes journées à réfléchir à faire des calculs, tu te poses des questions est-ce que c’était la solution ? C’est un monde de fous. D’ailleurs, dans notre foyer, l’année dernière un soudanais avait eu un problème mental ça faisait vraiment pitié, il a été admis dans un centre psychiatrique pendant plusieurs mois ; à sa sortie, il n’était plus le même que j’ai connu. Après quelques mois de traitement, il est rentré chez lui au Soudan pour être entouré de ses parents. Malgré tout ce que j’ai traversé et mon statut d’homme, j’ai eu les larmes aux yeux à le voir partir, j’imaginais la surprise de ses parents et je m’imaginais à sa place. Parfois, je me dis que les jeunes africains n’ont pas de chance, nos dirigeants font tous pour tuer le peu d’espoir qu’on nourrit en restant au pays. Le cas de la Guinée avec ce projet de changement de la constitution pour maintenir Alpha Condé au pouvoir, j’ai peur pour mes frères et sœurs mes parents et amis restés au pays ; je sais comment les militaires malmènent les populations. Que Dieu sauve ce pays c’est mon dernier mot. »

Calme et peu bavard depuis de début de l’intervention de ses amis, M. Bah semble évasif et un peu perdu, quelque chose le tracasse, un souvenir dur à porter qu’il n’aime pas évoquer, mais il décide quand même de le partager…

« J’ai eu le même parcours périlleux que mes amis mais une chose m’a marqué à vie. J’avais pris la décision de faire ce voyage avec un neveu, avec lui j’ai traversé le désert, l’enfer Lybien on se soutenait lui était même plus courageux que moi. Malheureusement, on n’a pas fini la course ensemble, il a été emporté par les vagues de la Méditerranée sous mon impuissance, cela m’a anéantie j’ai regretté ce voyage, je ne savais que dire aux parents, son visage d’ange me hante je ne sais pas comment je fais pour ne pas devenir fou après ce drame…»               

« Mon nom, c’est Bah Abdoulaye Djibril, j’ai 25 ans et j’ai eu le même parcours périlleux que mes amis mais une chose m’a marqué à vie. J’avais pris la décision de faire ce voyage avec un neveu, avec lui j’ai traversé le désert, l’enfer libyen on se soutenait lui était même plus courageux que moi. Malheureusement, on n’a pas fini la course ensemble, il a été emporté par les vagues de la Méditerranée sous mon impuissance, cela m’a anéantie j’ai regretté ce voyage, je ne savais que dire aux parents, son visage d’ange me hante je ne sais pas comment je fais pour ne pas devenir fou après ce drame.               Après ce douloureux épisode, j’arrive en France, malheureusement je n’étais pas au bout de mes peines, j’ai enchainé les nuits dehors sous les ponts ; je devais appeler le 115 tous les matins espérant avoir une place pour dormir au chaud, cet exercice était sans succès car nous étions des milliers à le faire tous les jours et la priorité est donnée aux femmes, aux enfants et aux personnes âgées. Il fallait attendre mon jour de chance.                                                                                                                                       Un soir, à tout hasard, Mme Anne Hidalgo maire de Paris nous a surpris sur les abords d’une rue en train de camper pour la nuit, elle nous a posé des questions, on lui a répondu qu’on dormait là depuis deux mois déjà, elle était stupéfaite et nous a rassuré qu’elle va trouver une solution à cela, elle a noté nos noms et numéros de téléphone. Le lendemain, un groupe de policiers est arrivé accompagné d’un bus, ils nous ont tous embarqué dans le bus pour nous déposer dans les foyers selon les places disponibles. Moi j’ai atterri dans un centre à Ville Juif, puis dans un autre à Coalia, j’ai enchainé au moins 5 foyers avant de me stabiliser ici depuis un an. Ça n’a pas été facile tous ces déménagements, dès que commençais à m’adapter dans un centre ou à me familiariser avec les autres hébergés, on me faisait déménager ; ça me perturbait beaucoup. Je n’avais surtout pas de choix. Mais Dieu merci, ici, je suis stable ; malgré le règlement à respecter, je me sens en famille avec mes frères guinéens ; on a beaucoup de choses en commun. Je suis toujours sans papiers en attente de résultat, je suis dans la procédure Dublin aussi. C’est stressant, mais je me dis que le plus dur est derrière moi, je l’espère en tout cas. »

Des parcours bien particuliers mais tous confrontés à la même situation, cette embarrassante problématique de la procédure Dublin qui les renvoie au premier pays qui les aurait accueillis. La France tant convoitée par les migrants d’origine guinéenne n’est pas directement accessible depuis les côtes libyennes ou marocaines, il faut donc passer par d’autres pays avant d’y accéder ce qui complique la procédure de demande d’asile avec le règlement de Dublin. En septembre 2018, une nouvelle loi sur l’immigration a été adoptée. Appelée loi n°2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maitrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, cette loi réduit à 6 mois en moyenne le traitement des demandes d’asile (avec notamment la réduction de 120 jours à 90 jours du délai pour déposer une demande d’asile après l’entrée en France) tout en facilitant l’éloignement de certains ressortissants dont la demande d’asile a été rejetée.

Face au durcissement de la loi sur l’immigration, les associations qui aident et accompagnent les migrants ne baissent pas les bras. Elles se battent pour offrir des conditions plus humaines dans l’accueil de migrants en leur offrant des soins de santé, en mettant à disposition des psychologues pour ceux qui ont vécu des atrocités, des endroits pour dormir et se nourrir, aussi des vêtements adaptés aux conditions météorologiques. Les qualités de ces services varient très souvent d’une association à une autre et selon les budgets de ces associations qui se retrouvent très souvent débordées pendant certaines périodes comme l’hiver ou celles de canicule, ou encore l’arrivée de grandes vagues de migrants. Il faut toutefois noter qu’aucune association de Guinéens de France ne s’intéresse à ces jeunes guinéens, souvent confrontés à de dures épreuves une fois arrivés en Europe. 

Il est encore une fois temps que l’Etat guinéen et les familles se battent pour freiner ce fléau. Contrairement à ce que pensent les familles de ces jeunes, ce type d’immigration n’est pas un investissement et les autorités font semblant de s’en préoccuper car jusqu’ici, aucun acte concret n’a été posé pour lutter efficacement contre ce fléau qui continue de vider l’Afrique de ses jeunes bras valides à la recherche d’un lendemain meilleur en Europe qui n’existe que dans leur imagination.

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