Nombreuses sont des femmes, revendeuses de poissons, qui se battent jour et nuit pour ravitailler le marché de la capitale en poissons, ainsi que les villes environnantes. Contre vents et marées, elles bravent toutes sortes de difficultés pour s’approvisionner aux ports de pêche de Conakry. Pour en savoir davantage sur les conditions de travail de ces « amazones », nous les avons suivies. Nous avons passé ensemble une nuit, en attente de l’arrivée des navires ou des pirogues, censés ramener le poisson.
Il est 16 heures 30 minutes, le vendredi 14 janvier dernier lorsque nous foulons le sol du port de pêche de Conakry dans la commune de Kaloum. Mais ce jour-là, nous avons eu la chance d’être insérés par une connaissance qui a bien voulu nous aider à y entrer. Car, avant d’avoir accès au port de pêche, ‘’il faut payer un droit d’accès’’, explique notre guide. Selon lui, cette première étape fait partie des entraves que bravent les revendeuses de poissons.
«Ça, ce n’est pas nouveau, on nous rançonne ici chaque jour. C’est devenu une exigence», explique notre passeur. Qui indique avoir été une fois refoulé parce qu’il a refusé de payer. Malgré ces entraves, les revendeuses de poissons, dont certaines sont sans mari – divorcées ou veuves – se battent comme elles peuvent pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Pas de place pour les paresseuses au port de pêche
Nous avons suivi avec beaucoup d’attention et d’intérêt ces femmes qui se privent de sommeil et d’autres plaisirs, contrairement à certaines jeunes filles d’aujourd’hui qui préfèrent l’argent, quitte à se livrer à la prostitution, pourvu qu’on leur tende des espèces sonnantes et trébuchantes. Mais, celles qui ont décidé de vivre dignement à la sueur de leur front, ont accepté de passer des nuits blanches au port de pêche. Durant des heures tardives de la nuit, ces femmes, tenant des bassines et sacs à la main, attendent que les bateaux arrivent. Cette nuit-là, elles eurent beaucoup de chance. Après une longue attente, arrive aux larges du port, un navire. Ayant aperçu le navire s’approcher, elles se précipitent. Nous essayons de nous insérer dans le groupe en nous présentant comme un novice qui aimerait faire ses débuts dans la vente de poisson. Une jeune fille du nom de Mariam T, nous indique qu’il faut au minimum une semaine, période probatoire au cours de laquelle le novice doit nouer des contacts nécessaires pour son insertion dans le milieu. Juste à nos côtés, une dame d’une trentaine d’années environ exerce depuis près de deux ans, dans ce secteur d’activité. Pour cette dernière, la vente de poisson nécessite beaucoup de courage parce que ce secteur d’activité est un peu compliqué.
«Quand on explique aux gens, ils ont du mal à nous croire alors que la réalité est bel et bien là. Pour se ravitailler ici, il faut nécessairement connaître des gens ou précisément des dockers pour qu’ils te servent régulièrement», explique-t-elle.
Revente du poisson, un métier qui nourrit son homme
Il est pratiquement 22 heures ce jour lorsqu’un navire procède au déchargement de sa cargaison dans les bennes appartenant aux sociétés qui en ont fait la commande. Maciré, une vieille dame présente sur le lieu malgré cette heure tardive ne s’en plaint pas. A la question de savoir depuis quand elle exerce ce métier, elle répond: «J’ai toujours exercé cette activité qui permet de nourrir mes enfants qui sont encore à bas âge ».
Sa commande se situe entre 300.000 et 800.000 Gnf. «Souvent je ne gagne rien, mais je continue mon commerce pour nourrir mes enfants », s’est-elle confiée. Mme Sylla M. relève pour sa part, les difficultés qu’elle rencontre dans la vente de poisson. «Avant, le prix de la bassine nous revenait entre 200.000 et 300.000 Gnf. Aujourd’hui, on nous livre cette même quantité entre 1.500.000 et 1.800.000Gnf. J’habite Matam et le transport me revient à 60.000 Gnf, en plus du chariot à 20.000 Francs guinéens. A cela, s’ajoutent les frais de dédouanement.
Imaginez-vous que souvent on se retrouve sans bénéfice. Mais comment on va faire?», s’interroge-t-elle.
Elle ajoute que certaines revendeuses de poissons se voient obligées de collaborer avec les dockers. Et c’est Astou K qui a éclairé notre lanterne sur la relation qui les lie aux dockers. ‘’Nous sommes amis aux dockers avec qui nous travaillons. Le plus souvent, nous leur offrons des habits, des bottes, des gants, des cigarettes et de la nourriture. Nous sommes à leurs petits soins pour qu’ils ne nous oublient pas lors du déchargement des navires’’, souligne-t-elle. Plusieurs femmes, pour des raisons diverses, préfèrent veiller des nuits après le déchargement des poissons.
Dormir à la belle étoile
Difficile de dire comment les femmes souffrent au port de pêche de Conakry. Après la lutte pour se ravitailler en poissons, certaines vendeuses préfèrent passer la nuit au bureau de vente, sur des supports en bois qu’elles louent entre 20.000 et 30.000 Francs guinéens. Ces femmes n’habitent pas toutes à Kaloum. Elles préfèrent, pour des questions économiques ou sécuritaires, rester au port de pêche. Outre ces femmes qui y restent, on y trouve également des ouvriers du port (pêcheurs, dockers, raccommodeurs de filets et trafiquants).
‘’Quand vous vous promenez entre 2heures et 3 heures du matin, vous vous rendez compte que plusieurs personnes dorment un peu partout dans le port sur des pagnes posés à même le sol ou sur des morceaux de cartons’’, raconte un docker.
Au port de pêche, c’est une affaire de gros sous
Pas de répit pour les revendeuses de poissons au port de pêche. Même au lever du jour. C’est le cas de certaines commerçantes qui restent sur le site de livraison. Et il était 7 heures ce vendredi 17 janvier 2020 lorsque deux bateaux contenant des sardines ont fait leur entrée au port de pêche. Ne sont servies pour ce bateau que les femmes ayant des commandes à hauteur de 15 millions de francs guinéens. La priorité est accordée aux porteuses de gros sous. Une situation qui frustre. Mais Mme Yarie B ne s’en plaint pas. Elle dit faire souvent des achats de poissons à hauteur de 20 millions de F Guinéens qu’elle revend dans des zones reculées (Coyah, Forecariah, Macenta, Gueckedou, Faranah …).
«En allant dans une zone où on n’en trouve pas régulièrement, on a la possibilité de gonfler librement les prix pour entrer dans nos fonds et pourquoi pas faire de gros bénéfices », a-t-elle révélé.
L’hygiène, une denrée rare au port de pêche
Le traitement administré aux poissons lors de la revente qui a lieu entre les dockers et les femmes n’est pas des plus rassurants. Le bureau de vente qui donne sur la mer est l’endroit par excellence où s’effectuent les échanges et qui reçoit le plus de monde pendant toute la journée. Plusieurs personnes y passent la journée et disposent de l’endroit comme bon leur semble, jetant des ordures ou en crachant un peu partout. Une situation que S. Fatou stigmatise en ces termes : « seul Dieu peut nous sauver face aux maladies car on ne peut pas faire autrement. On est obligé de s’accommoder parce qu’il faut bien qu’on nourrisse nos familles ». Mais c’est à cet endroit qu’on retrouve les poissons disposés à même le sol, dans des casiers ou autres supports et parfois à terre. Et un peu partout, l’hygiène semble avoir perdu son sens véritable.
Cap au port de pêche de Boulbinet
Après le port autonome de Conakry, nous nous sommes rendus au port artisanal de Boulbinet. Qui se rend au quartier Boulbinet, dans la commune de Kaloum et approche le bord de mer ne peut manquer de voir de nombreuses pirogues peintes de bleu, du rouge-jaune-vert ou autre couleur avec des inscriptions bigarrées, reposant fièrement sur la plage côte à côte. Ces pirogues dont beaucoup sont équipées de moteur de 25 à 45 cv permettent à des centaines de pêcheurs de travailler et plusieurs femmes de nourrir leurs familles. Ainsi, il suffit de parcourir les environs jusqu’au quartier Temenetaye pour découvrir de nombreux fours en terre soigneusement alignés dégageant une épaisse fumée.
Au port de Boulbinet, on constate à côté des pirogues, des pousse-pousse où sont empilés, en un équilibre précaire, les bassines remplies de poisson débarqué par les pirogues.
Ce vendredi après-midi, la plage située en face d’un hangar construit par le partenaire Japonais depuis des années 90, qui fait office de port de pêche, est envahie de pêcheurs, de vendeuses de poisson et d’acheteurs. Les femmes présentent sur lieux depuis 12 heures se bousculent à l’accostage d’une pirogue. Les piroguiers descendent avec le contenu de la barque et l’étale sur des plastiques en attendant l’arrivée du propriétaire de la pirogue. Celui-ci procède à son arrivée aux partages des produits de pêche. Et lui et les piroguiers ravitaillent les revendeuses de poisson présentes. Dans la discipline et l’ordre chacun sert sa cliente. Ce jour-là, plusieurs pirogues ont accosté avec à leurs bords des caisses remplies de poison. Selon un pêcheur propriétaire d’une entreprise de pêche, A Coulibaly, un piroguier en temps normal, peut revenir de la pêche avec 10 ou 15 casiers de poisson.
Retenons que, dans ce port artisanal, les revendeuses de poisson vivent le même calvaire qu’au port autonome de Conakry.
Un dossier réalisé par Louis Célestin