Avant d’entamer un programme avec un pays, le FMI (fonds monétaire international) définit normalement un cadre de bonne gouvernance et de promotion d’une croissance durable et partagée. Par exemple, une mission du FMI vient de conclure en République Démocratique du Congo (RDC) qui s’apprête à renouer avec le FMI après un hiatus de 3 ans dû à la mauvaise gouvernance. A l’issue de la mission, le Représentant Résident du FMI pour la RDC, M. Philippe Egoumé, avait salué le regain de croissance de la RDC portée principalement par les mines: « La croissance économique en 2018 s’est élevée à 5,8%, tirée en grande partie par le secteur minier.” Mais il avait aussi déploré que cette croissance ne se reflète pas dans le reste de l’économie avant d’interpeller les autorités congolaises sur les limites d’une croissance basée principalement sur la production minière: “Le secteur minier a eu une croissance de 7% alors que le secteur non minier n’a connu qu’une croissance de 1,7%…Le secteur minier ne représente que 25% de l’économie. La plus grande partie des Congolais n’a pas vu les fruits de cette croissance … Le niveau de pauvreté est très élevé. La croissance n’est pas assez inclusive ». Sur la question des opérations extra-budgétaires de l’Etat, le FMI avait lancé un avertissement clair: « Il y a des recettes qui vont dans des entités publiques ou des services publics. C’est mieux d’avoir les recettes versées au Trésor. » Dans une situation presque similaire en Guinée en Mai dernier, le FMI avait fait le même constat en dehors des regards des médias, mais le Gouvernement semble avoir ignoré les conseils comme d’habitude, pour faire le battage médiatique sur un supposé satisfecit, tout en ignorant les problèmes liés à la croissance mue presque exclusivement par la bauxite brute.
Les conseils du FMI sur le boom de la bauxite
Les conseils du FMI sur l’avenir de bauxite en Guinée datent du temps de Lansana Conté. Durant les années 2005-2008, l’industrie minière connaissait un super-boom qui avait fait de la Guinée l’objet de la convoitise des plus grandes sociétés minières du monde. La Guinée était donc positionnée pour un décollage économique, avec ses riches gisements de fer et de bauxite. Au moment où le régime Conté s’apprêtait à signer des accords miniers qui allaient lancer le boom du secteur de la bauxite, le FMI avait accouru en Guinée pour prodiguer des conseils au Gouvernement afin de l’aider à tirer meilleur profit de la croissance attendue. Dans ses conseils, sous la forme d’un rapport (Rapport Pays No. 08/20) produit en Janvier 2008, le FMI avait interpellé le régime Conté sur la faible performance du secteur de la bauxite et de l’alumine. Son constat était celui d’une industrie en déclin qui rapportait à la Guinée un bénéfice au-dessous de son potentiel. Le FMI avait fait remarquer que la contribution décroissante du secteur de la bauxite au Trésor était préoccupante. Alors que chaque dollar de recette d’exportation de bauxite rapportait 33 centimes au budget de l’Etat en début 1990, ce chiffre était tombé à 18 centimes en 2002. Le rapport avait constaté que malgré la détention par la Guinée des plus grandes réserves mondiales de bauxite, le pays peinait toujours à transformer localement sa bauxite. Même avec la transformation d’une partie de la bauxite en alumine à Fria, jusqu’à 95% de la bauxite exportée était à l’état brut, donc de faible valeur ajoutée.
Le FMI attribuait la contre-performance du secteur de la bauxite au faible taux de transformation locale et aux déficiences de la fiscalité minière. La transformation locale butait à des contraintes telles que le climat peu favorable des investissements, le manque d’électricité, l’insuffisance des infrastructures, et la faiblesse des ressources humaines. Vu les efforts du régime Conté qui avaient abouti à attirer les investisseurs de grand nom dans la construction de six usines d’alumine et l’extension de l’usine Friguia pour un investissement total de 20 milliards de dollars, le FMI avait estimé que la mise en chantier de ces projets permettrait à la Guinée de multiplier la production de bauxite par 5 (plus de 60 millions de tonnes) et la production d’alumine par 10 (environ 7 million de tonnes). Par conséquent la contribution du secteur de la bauxite aux recettes fiscales et d’exportation allait s’accroître considérablement, tout en offrant au pays une base pour son industrialisation. A la suite de ce constat, le FMI avait alors conseillé au régime Conté de : (i) poursuivre les chantiers de grands projets de bauxite axés sur la transformation locale, facteur clé de l’industrialisation du pays et le relèvement des retombées économiques du secteur ; (ii) revoir la fiscalité minière appliquée aux projets de bauxite en vue de maximiser les revenus pour l’Etat ; et (iii) améliorer la transparence des accords miniers et des revenus issus de la bauxite.
En conformité avec les recommandations du FMI, les projets de bauxite du régime Conté furent conçus en vue de développer la filière bauxite en une industrie intégrée de bauxite-alumine-aluminium, assortis d’investissements massifs dans l’industrialisation du pays. Plusieurs méga-projets de bauxite étaient en phase de préparation avec des investisseurs déterminés, notamment BHP-Billiton (Australie), Rio Tinto-Alcan (Canada), Alcoa (Etats-Unis), Rusal (Russie), IMIDRO (Iran), Vale (Brésil). Le rythme de développement de ces projets va se ralentir et même tomber au point mort en 2007-2010 suite à l’atmosphère chaotique de fin de règne du régime Conté, la parenthèse Dadis, et la transition Konaté. Mais dès le retour de l’ordre constitutionnel avec l’avènement du régime d’Alpha Condé en 2011, les mêmes investisseurs sont revenus à la charge avec beaucoup d’espoir. Malheureusement, le manque de cohérence et de compétence du régime Condé a fini par les décourager. Le Code Minier, élaboré à huit-clos, sans consultation sérieuse avec les investisseurs et l’atmosphère de mauvaise gouvernance inquiétante signalée par le deal Paladino, amènent les gros investisseurs à mettre la croix sur le pays.
En désespoir de cause, le gouvernement avait dû se tourner vers des investisseurs moins regardants pour négocier des accords qui faisaient fi des recommandations du FMI sur la transformation locale de la bauxite. Pour ne pas tenir rigueur aux investisseurs qui s’intéressaient seulement à vendre la bauxite brute, le Gouvernement a accepté de reporter aux calendes grecques les bénéfices infrastructurels et industriels de la transformation locale (construction d’usines de transformation et d’infrastructures durables comme les ports, chemins de fers, cité minières, centrales électriques). Pour faire simple, le régime Condé a opté de remettre pour plus tard les plans du régime Conté, conformes aux recommandations du FMI et de sursoir aux investissements dans la construction d’usines, et d’infrastructures sociales, de transport et d’énergie.
Dix ans plus tard, dans son rapport de la première revue du FEC (facilité élargie de crédit) en Juin 2018, le FMI avait fait preuve d’indulgence sur le non-respect de son conseil de 2008 sur la bauxite. L’institution financière venue au chevet de la Guinée salue la croissance économique résultant du boom de la bauxite brute, mais déplore la faiblesse d’un régime fiscal qui minimise l’incidence de l’augmentation de la production minière sur les recettes de l’Etat. En effet, les augmentations de production entre 2015 et 2017 se sont traduites par de faibles rentrées fiscales (les recettes du gouvernement oscillaient entre 2,2 et 2,4% du PIB malgré l’augmentation des tonnages produits). Le FMI note aussi que le gouvernement guinéen avait offert plusieurs exemptions par rapport au régime fiscal du Code Minier de 2013. La durée de ces exemptions variait de 5 à 25 ans selon les sociétés pour l’impôt sur le bénéfice, 10 à 30 ans pour la taxe d’extraction, 10 à 30 ans pour la taxe à l’exportation. Dans le cadre du FEC, le FMI avait fortement recommandé au Gouvernement d’appliquer les provisions du Code Minier pour permettre au pays de tirer des revenus fiscaux conséquents de la bauxite. Il reste à voir si ce conseil sera suivi. L’indulgence peut encourager un mauvais élève comme la Guinée à persévérer pour s’améliorer, mais en fin compte c’est la rigueur et la fermeté qui le feront relever le défi du développement.
Industrialisation du pays : les négociations au rabais
Le boom de la bauxite découle de la décision du gouvernement de répondre à la demande croissante de la Chine pour ce minerai après que l’Indonésie, la Malaisie et l’Australie ont décidé de réduire leur fourniture de produit brut. Le Gouvernement était donc en position de négociation très forte, puisque la demande de la Chine dépassait de loin l’offre de bauxite brute. L’occasion était donc belle de concrétiser le rêve des régimes successifs de commencer à doter la Guinée d’une industrie intégrée de bauxite-alumine-aluminium et par voie de conséquence amorcer l’industrialisation du pays.
Comme les investisseurs sérieux traditionnels hésitaient à investir dans des projets « greenfield » (nouveaux projets) à cause du mauvais climat de gouvernance du pays, le gouvernement s’est tourné vers des réseaux d’investisseurs moins regardants. Durant les négociations, les intérêts à court terme de la classe au pouvoir ont pris le dessus sur les intérêts à long terme du pays. Pour faire simple, le régime Condé a opté de remettre dans les tiroirs les plans du régime Conté qui exigeaient des investisseurs la transformation locale de la bauxite en alumine et la construction d’infrastructures sociales, de transport et d’énergie. Ensuite, comme la cerise sur le gâteau, le régime a offert des incitations financières sous forme d’exonérations fiscales généreuses. Les principaux cas sont examinés ci-dessous.
Cas de la Guinea Alumina Corporation (GAC)
En octobre 2004, le régime Conté avait signé avec Global Alumina Products Corporation (GAPCO), qui deviendra plus tard Global Alumina Corporation (GAC) et enfin Guinea Alumina Corporation (GAC), un Accord Définitif pour le développement et la construction d’une raffinerie d’alumine de 2,8 millions de tonnes par an en Guinée, avec un coût de construction estimé à 3 milliards de dollars US. A l’issue de la signature, le PDG de GAPCO, Bruce Wrobel, affirmait à la presse : « Nous sommes en train de progresser vers la pose de la première pierre de l’usine de raffinerie, qui aura lieu d’ici à la première moitié de l’an 2005, tout en supportant les infrastructures existantes ». Plus tard, le projet a été conçu pour une capacité de 3,3 millions de tonnes d’alumine avec une composante infrastructure (une centrale de 300 MW, l’extension du réseau ferroviaire, et la construction d’un nouveau quai minier à Kamsar ainsi que des infrastructures sociales).
Bien que les négociations de la construction de la raffinerie étaient avancées, les réseaux émiratis d’Alpha Condé pèsent de tout leur poids pour persuader le Gouvernement de laisser GAC construire l’usine d’alumine dans leur pays, reléguant ainsi la Guinée au rôle subalterne de fournisseur de bauxite brute. Le projet est ainsi transformé en un simple projet d’extraction et de vente de la bauxite brute de 12 millions de tonnes par an pour un investissement de 900 millions de dollars (1,4 milliards selon GAC). Ironie du sort, la société qui s’appelle désormais Guinea Alumina Corporation qui a été formée exclusivement pour la transformer la bauxite guinéenne en alumine, ne produira pas d’alumine en Guinée, du moins dans un avenir proche. La société vient de boucler avec fanfare le financement de 750 millions de dollars avec les bailleurs de fonds (les mêmes qui s’étaient engagés à financer le projet d’alumine de Global Alumina Corporation sous le régime Conté). En termes d’infrastructures, la société va se limiter à investir dans l’extraction de la bauxite ainsi qu’à la mise en place d’infrastructures minimales de transport connexe, dont l’amélioration du réseau ferroviaire multi-utilisateurs construit du temps de Sékou Touré, et la construction d’installations portuaires (quai minier). L’usine d’alumine est reportée à 2022 sans engagement ferme de la part du partenaire.
Cas de Rusal
Sous le régime Conté, en juin 2002, la Compagnie des Bauxites et d’Alumine de Dian-Dian (COBAD) avait été créée pour développer les bauxites de Dian-Dian et avait commencé la mobilisation de fonds. Rusal avait envisagé de lever 300 millions de dollars sur le marché boursier avec des obligations Eurobond. La première phase du projet comportait la construction d’une mine de bauxite de 6,6 millions de tonnes de capacité, une raffinerie d’alumine de 1,2 millions de tonnes de capacité, une centrale électrique de 200 MW, et une ligne de chemin de fer de 117 kilomètres. Après cette phase, la production de bauxite allait être relevée à 12 millions de tonnes durant la deuxième phase. La troisième phase privilégie une étude de faisabilité en vue de l’implantation d’une fonderie d’aluminium d’une capacité de 240,000 tonnes par an. Rusal avait aussi eu un accord avec le régime Conté sur le projet d’expansion de Friguia pour porter la production d’alumine à 1,2 millions de tonnes pour un investissement de 400 millions de dollars, avec expansion de la capacité de la centrale de 33 MW. La structure du projet fut confirmée par Rusal après la ratification de la Convention par l’Assemblée Nationale en 2001. Le plan Conté prévoyait aussi que les barrages Kaléta et Souapiti soient couplés avec une fonderie d’aluminium pour produire 700 MW d’électricité et 240,000 tonnes d’aluminium.
Sous le régime Condé, les barrages Kaléta et Souapiti ont été découplés de toute production d’aluminium. Kaléta a été un échec et Souapiti n’inspire pas confiance. Le projet intégré d’aluminium de Dian-Dian prend une direction différente et se focalise sur l’extraction et la vente de la bauxite brute (3 à 6 millions de tonnes) et son transport par camion. En lieu et place d’infrastructures ou d’usines, Rusal a été autorisé de se limiter à extraire la bauxite brute et la transporter par route sur 36 Km par camion bennes vers le chemin de fer de la CBG ; entreposer la bauxite près de la voie ferrée aux environs de Sangarédi ; utiliser le chemin de fer d’ANAIM pour transporter la bauxite sur 104 km vers Kamsar ; construire une voie ferrée de 6.7 km vers la zone de transbordement de Taressa ; utiliser de barges pour transporter la bauxite sur 40 km en haute mer ; charger la bauxite en haute mer avec des grues flottantes.
L’expansion annoncée de l’usine Friguia n’aura pas lieu, au contraire le gouvernement a accepté la proposition de Rusal de retaper la vieille usine pour la remettre en production après un arrêt de quelques années. Rusal a construit la mine de bauxite de 3 millions de tonnes. En guise d’infrastructures, Rusal a réalisé une route minière de 33 kilomètres pour transporter le minerai par camion, une jetée du quai et le remblayage de la cité du port. Rusal compte sur l’utilisation des infrastructures de 1970 dans le cadre d’un contrat de mutualisation des infrastructures avec l’Etat, la CBG (compagnie des bauxites de Guinée) GAC, et l’ANAIM (agence nationale des infrastructures minières). Comme dans le cas d’autres sociétés minières, les raccourcis accordés à Rusal permettent à la société d’inaugurer la mine et d’exporter la première tonne de bauxite en juin 2018, ce qui est un temps record.
Cas de la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG)
Sous le régime Conté, le projet d’usine d’alumine de Kamsar avec Alcan/Alcoa/Rio Tinto était conçu pour une capacité de 1,5 millions de tonnes d’alumine pour un investissement de 1 milliard de dollars (usine d’alumine, interconnexion ferroviaire, et centrale de 165 MW).
Sous le régime Condé, ce projet est devenu le projet d’expansion de production de bauxite brute pour rehausser la capacité de la CBG à 18,5 millions de tonnes (Phase I) jusqu’à 28,5 millions de tonnes. Ici aussi, le grand projet intégré se transforme en un projet d’expansion de production de bauxite, sans impact infrastructurel.
Développement local : le paradoxe de croissance appauvrissante
A cause de l’affairisme et l’opportunisme politique qui dominent les décisions au sommet de l’Etat, la croissance à base de bauxite n’a pas été enrichissante pour la Guinée. Les projets ont été négociés au rabais et vidés de leur contenu de développement (infrastructures, industries connexes, liens en amont et en aval avec le reste de l’économie). Au milieu d’un boom sans précédent de production de bauxite, le pays se distingue d’abord par le désespoir de sa jeunesse désœuvrée (la Guinée est classée comme le premier pourvoyeur de migrants vers l’Europe en janvier 2019 devant les pays en guerre tels que la Syrie et l’Afghanistan), la paupérisation de la population, et la vétusté des infrastructures. Malgré la perception de « manne minière nationale » créée par le boom de la bauxite, les recettes minières sont trop maigres pour permettre au gouvernement de résoudre les problèmes majeurs de développement du pays.
En 2018, alors que le FMI se félicitait de la croissance du secteur minier, dominé par la bauxite, les failles du paradoxe minier guinéen devenaient évidentes. Avec une croissance de 52,3%, le secteur de la bauxite portait le taux de croissance du PIB à 6%. Mais cette croissance n’accompagne pas les autres secteurs de l’économie. Par exemple, en 2016, quand le secteur minier progresse de 46,1%, l’économie non-minière n’avait enregistré que 6,9% de croissance. En 2017, quand la croissance du secteur minier avait accéléré de 46,1% à 52,3%, la croissance de l’économie non-minière avait ralenti de 6,9% à 4,1%. Parallèlement, le PIB par tête avait théoriquement progressé de 7,8% en 2016 et 5,5% en 2017, mais le Guinéen moyen n’a pas vu la couleur de l’argent de cette augmentation de richesse. En effet, l’augmentation du PIB par tête (jusqu’à 843 dollars en 2017, un nouveau record) ne représentait que le gain des acteurs impliqués dans le secteur minier (les producteurs et vendeurs de bauxite, les sous-traitants des transports, les quelques travailleurs du secteur). Puisque les projets de bauxite n’impliquent pas de création de grandes infrastructures, d’emploi significatifs, et d’entreprises locales capables de fournir des biens et donner des prestations de services, la croissance qui en résulte a une très faible incidence sur le bien-être du guinéen.
Le cas des paysans de Boké qui se sont plaint récemment pour avoir été dépossédés des terres arables au profit des concessions minières prouve la croissance appauvrissante des Guinéens. En effet, les recettes minières ne représentent que 20% des recettes du budget de l’Etat. Leur poids dans l’économie est dérisoire (entre 2,1% et 2,9% du PIB) comparé aux secteurs d’activité hors-mines. Il y a donc un dualisme économique. D’un côté, l’économie minière qui fonctionne comme dans une enclave au profit d’une élite, et de l’autre l’économie non-minière qui concerne la majorité des Guinéens.
Si on isole l’apport du secteur minier, le PIB par tête se situe à 442 dollars et n’a pas du tout évolué, selon les chiffres du FMI. Ce qui indique que la croissance du secteur de la bauxite n’a pas eu d’incidence positive sur les autres secteurs d’activités. Parfois, l’incidence de la croissance bauxitique est même négative. Par exemple, au moment de la plus forte augmentation du PIB en 2017, le PIB par tête hors du secteur minier avait chuté de 443 dollars à 442 dollars, confirmant ainsi la thèse de la « croissance appauvrissante » attribuée au boom de la bauxite. D’ailleurs, le taux de pauvreté qui se situait à 55% continue de grimper. Au début du boom de la bauxite en 2014, le taux se situait à 58%. En 2015, le nombre de Guinéens frappés par la pauvreté était estimé à 6 millions soit une augmentation nette de 1,5 millions par rapport au chiffre de 2002 sous le régime Conté. A l’appauvrissement des communautés minières, il faut ajouter l’impact environnemental négatif (pollution de l’air, des eaux, et dégradation des terres) sur de vastes superficies. Tout ceci pour une piètre recette budgétaire de 2393,3 milliards GNF, alors que les taxes sur les autres secteurs d’activités hors-mines rapportent cinq fois plus à l’Etat (soit plus de de 10 000 milliards GNF). Est-ce que le jeu en vaut la chandelle pour la bauxite ?
La vente de la bauxite donne l’impression que la richesse se crée en Guinée (la croissance du PIB augmente), mais comme le gâteau à partager est petit par rapport aux besoins, la croissance ne se ressent pas dans le panier de la ménagère. Au lieu de réorienter la politique vers la promotion de transformation locale, l’approche du gouvernement est de pomper la production de bauxite et de promettre au FMI et autres bailleurs de fonds que les revenus seront redistribués aux Guinéens à travers un transfert de 15% des recettes minières aux 342 communes du pays. A cet effet, et dans le but de rehausser la contribution du secteur minier au niveau local, en plus du contenu local dans les zones minières, le gouvernement guinéen a créé un Fonds de Développement Économique Local (FODEL) sur la base des 15% de recettes minières, et un fonds de plus 2000 milliards de francs guinéens. Ces fonds seront centralisés et gérés par l’Agence nationale de financement des collectivités (ANAFIC). D’ailleurs, l’ANAFIC a commencé à distribuer un milliard de francs guinéens aux collectivités dans le cadre du développement des infrastructures dans toutes les préfectures de la Guinée. Le hic est la possibilité d’instrumentalisation politique de l’allocation des fonds. Toutefois, on nous rassure que dans le cas de l’ANAFIC, le conseil d’administration a été créé et meublé ; pour faciliter les décaissements et financer les projets tels que définis, le circuit ordinaire généralement, très lourd, a été esquivé. On utilise la procédure de décaissement rapide des fonds de la BCRG aux collectivités. C’est pourquoi, plus de 7 ministres ont rallié la Haute Guinée le week-end dernier, pour aller lancer les premiers travaux conformément aux recommandations du dernier conseil des ministres. Mais en cette période de promotion du troisième mandat, l’instrumentalisation politique pourrait prendre le dessus lors du lancement des activités.
Dans sa lettre d’intention du 6 décembre 2018, le gouvernement guinéen s’était engagé auprès du FMI à renforcer les programmes de filets de sécurité sociale pour réduire la pauvreté et favoriser l’inclusion. En parallèle, le Gouvernement prévoyait de faire progresser les réformes structurelles clés soutenant la croissance pour renforcer la gouvernance et favoriser le développement du secteur privé. Le FODEL répond à ces impératifs, mais souffre malheureusement de déficiences.
Le premier problème du FODEL est que le développement local à lui seul ne peut insuffler le développement d’un pays. Il vient plutôt en complément des actions du gouvernement tendant à gérer les recettes minières et les investir dans l’avenir du pays pour le bénéfice de tous. C’est le cas du Botswana pour le diamant et du Chili pour le cuivre. Ces pays ont investi leurs recettes minières dans les infrastructures, l’éducation, la santé, et ont mis en place un fonds souverain massif pour faire fructifier les recettes des mines au bénéfice de la population présente et des générations futures. Le schéma du FODEL et la centralisation de la gestion des fonds miniers alloués au développement local pourrait être un retour au modèle paternaliste du Parti-Etat et de l’Etat-Providence. Dans la culture politique du pays et l’approche de campagne électorale éternelle du Gouvernement comme mode de gestion, le régime Condé pourrait être tenté d’instrumentaliser l’allocation des fonds du FODEL à des fins purement électoralistes. Un exemple vient d’être donné par le Colonel Moussa Condé, préfet de la zone minière de Siguiri, qui pour inviter la population à venir accueillir Alpha Condé à l’occasion d’une tournée électoraliste, déclare dans une radio locale : “Nous appelons tout le monde à se rendre au stade pour montrer au président Alpha Condé que Siguiri l’aime. Alpha Condé est notre Dieu, il est comme Dieu. Quand tu reconnais les bienfaits de Dieu, il est content, il fait plus. Le président est comme ça, si vous sortez pour reconnaître ses bienfaits, il en fera plus.”
Le deuxième problème du FODEL est celui de la transparence et la traçabilité des décisions. Les sociétés minières qui font directement face aux communautés minières, utilisent les fonds de développement local comme un outil de gestion de risques. C’est la gestion locale de ces fonds qui pourrait assurer que l’impact des contributions des sociétés minières est direct et visible. Elles préfèrent donc le mode de gestion local multi-partite. Ce qu’il faut donc, c’est d’améliorer la gouvernance locale plutôt que de transférer le problème au pouvoir central où les mêmes problèmes de gouvernance existent, en plus de la possibilité d’instrumentalisation politique de la gestion des fonds du FODEL.
A suivre…
L’équipe de rédaction de Guinéenews©