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Dossier-Guinée : Epilogue du débat sur l’introduction du N’ko – extrémisme politique et hégémonisme culturel

L’extrémisme politique et l’hégémonisme ethnoculturel qui en découle est à la base la plupart des conflits internes en Afrique.  Que ce soit au Nigéria où les Ibo-Yoruba du Sud ont essayé de contrer la domination Haoussa-Fulani du Nord, en Côte d’Ivoire où le concept de l’ivoirité a mené à la guerre civile, au Mali et au Niger qui ont subi la rébellion touarègue, les conflits naissent des ratés du vivre-ensemble dans un environnement ethnoculturel complexe.  Si les différences culturelles ne sont pas canalisées pour favoriser le vivre-ensemble, bâtir une nation plurielle riche de sa diversité, le ciment de la cohésion nationale pourrait s’effriter.    

Vincent Foucher, chargé de recherche au CMTS-LAM, Sciences PO Bordeaux, dans l’ouvrage récent  « Mémoires Collectives : Une histoire plurielle des violences politiques en Guinée » a écrit : « L’ethnicité n’est pas que mémoire – elle trouve une certaine actualisation dans la distribution des ressources, notamment dans la composition de l’élite gouvernante… [la] présence malinké au niveau stratégique est si nette que la langue malinké serait fréquemment utilisée dans les réunions de haut niveau à la présidence. » Il explique aussi l’effort de certains hommes politiques visant à exploiter les similitudes plus ou moins fortes entre certaines langues guinéennes pour, dit-il, « mettre en avant un Grand Mandé, une alliance entre Malinkés, Djallonkés, Soussous et Forestiers…la quadripartition identitaire a un rôle important dans l’organisation du champ politique guinéen et c’est bien ce découpage de la vie politique guinéenne qu’il faut étudier. »

La nouvelle initiative pour imposer le N’ko comme écriture nationale doit être perçue dans cette optique. Tous les pouvoirs qui se sont succédé en Guinée ont eu des extrémistes qui ont essayé d’instrumentaliser l’Etat pour promouvoir l’hégémoniede leur ethnie.  Par exemple en novembre 2018, Hadja Djénè Saran Camara, députée du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG), en sa qualité de présidente de la commission Défense et Sécurité de l’assemblée nationale, avait  dénoncé la montée en puissance de l’extrémisme politique et appelé au dialogue pour maintenir la paix et l’équilibre du pays.  Mais cet appel au dialogue et au compromis n’est pas la norme. Ils ne sont pas tous extrémistes au RPG, mais tous les extrémistes de la république s’y retrouvent. En témoignent les déclarations de Bantama Sow aux cadres de l’Etat : « Ceux qui ne veulent pas du projet de nouvelle Constitution, ils n’ont qu’à quitter leur poste » et sa déclaration à Mamou le 13 Juin dernier : « Nous détenons le pouvoir, si on veut on impose le 3ème mandat et rien ne va suivre ».  De même, Amadou Damaro Camara, dans son bras de fer avec la justice, a été l’une des raisons qui avait poussé le ministre de la Justice à démissionner et qui avait amené les magistrats guinéens de déclarer leur détermination de « se soustraire à toutes pressions ou manipulations à des fins illicites, en particulier politiques, ethniques ou financières ».

Le riche patrimoine culturel de systèmes d’écritures des langues guinéennes.

La langue Pular utilise depuis des siècles le script arabe (ajami) comme moyen de transcription. Depuis le 19eme siècle, il y a eu des tentatives de créer une écriture mandingue pour mieux transcrire les langues malinkés dont certaines voyelles ne peuvent pas être fidèlement restituées par les alphabets de l’arabe et des langues coloniales. A cet effet, cinq syllabaires Mande ont été élaborés. Le Syllabaire Vai créé par Momolu Duwalu Bukele en 1830 est utilisé par les mandingues en Sierra Leone et au Liberia, était le plus avancé. Son écriture a été standardisée par l’Université du Liberia et est utilisée pour la traduction de textes religieux. Les autres systèmes d’écriture sont : l’écriture Mende Kikakui de Dr. Mohamed Turay pour la langue mendé qui existe depuis 1920 ; l’écriture Kpelle de Chief Gbili qui date de 1935 ; l’écriture Loma de Wido Zobo qui date de 1930, et l’écriture Bamanankan à base latine fut introduite par le colon au Mali vers 1930 pour le bambara. Le N’ko est venu compléter ce riche patrimoine de système d’écritures des langues guinéennes en 1949.

La langue peule appartient au groupe linguistique Niger-Congo qui est la plus grande famille de langues en Afrique (plus de 1600 langues) et dans le monde.  A ce titre, cette langue est enseignée dans les départements de langues africaines des chaires linguistiques des grandes universités du monde (Harvard, Colombia, Sorbonne, Institut Diplomatique de Russie, etc.). La langue touche environ 40 millions de locuteurs repartis dans les pays suivants : le Sénégal, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Bénin, le Burkina Faso, la Gambie, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Sierra Leone, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigéria, le Togo, le Cameroun, le Soudan, le Tchad et la République Centrafricaine. Elle est fortement numérisée : norme Unicode pour la typographie, clavier Windows, moteur de recherche internet avec le navigateur Firefox,  plusieurs librairies électroniques, et outils d’apprentissage en ligne.  En plus de l’adaptation des caractères arabes (ajami) ou caractères latins standardisés, les peuls utilisent l’écriture adlam, créée dans les années 1980.  Comme le N’ko, l’adlam a connu des progrès rapides ces dernières années en Guinée, dans les pays limitrophes, et au Nigeria. Cette écriture a maintenant des supports numériques sur les téléphones androïdes et sur MS Windows.

Concernant la langue Sosso, les recherches menées par le chercheur sociologue, Mohamed Bentoura Bangoura ont mené à la découverte de l’alphabet Sosso connu sous l’écriture Wakara ou Koré Sèbèli.  Bangoura a réussi entre 1979 et 2012 à mettre au point les chiffres et les 29 lettres de l’écriture.  Il a publié en 2017 le livre « Soso Antique Culture and Civilization » qui traite du Wakara. Le Koré Sèbèli tire son origine de l’empire du Ghana, précurseur de l’Empire du Mali. L’empire couvrait presque toute l’Afrique occidentale.  A son effondrement en 1077, l’empire du Ghana cède la place à l’empire Sosso.  Selon Bangoura, l’influence de la langue Soso se reflète même sur l’étymologie du mot Ghana, qui est considé comme une combinaison des mots soussous « Ghan » (brûler) et « Na » (lieu), signifiant « le lieu on l’on fond les métaux », ce qui est vraisemblable, étant donné la réputation de l’empire du Ghana dans la métallurgie de l’or.

Le N’ko a été inventé en 1949 pour mieux transcrire les déclinaisons de la langue malinké.  Selon les spécialistes de N’ko, les règles de transcription des déclinaisons (kammassérés) sont propres à une langue phono-grammaticale, telle que le malinké et ses dialectes.  Le système s’articule autour (i) d’un alphabet appelé l’alphabet N’ko ; (ii) d’une grammaire appelée Kangbè ; (iii) des règles de transcription de la nasalisation.  L’alphabet N’ko s’adresse donc à une communauté linguistique circonscrite à l’espace mandingue. Le nom de l’alphabet, N’Ko, qui signifie « je dis », est un mot couramment utilisé par les étudiants mandingues au début des récitations coraniques et pour les discours formels. Soundiata Keita, l’empereur du Mali, après la victoire de Kirina s’adressait à son armée en ces termes : « Vaillants soldats, tous ceux qui disent “N’ko”, c’est à vous que je m’adresse. »

Malgré l’existence de scripts pour ses différentes langues, la Guinée, à l’instar de la majorité des pays africains, utilise l’alphabet à base latine ou arabe pour la transcription des langues nationales.  Pendant près de 24 ans (8 ans de préparation et 16 ans de mise en œuvre), la Guinée a expérimenté l’adaption du script latin et la standardisation du mode d’écriture des langues nationales majeures. Même si la Révolution Culturelle Socialiste a été un échec sur le plan de l’enseignement et l’alphabétisation de masse, il y a au moins des leçons utiles à tirer de tout le travail de standardisation piloté par les experts de l’UNESCOLe Mali voisin s’appuie sur le même système d’écriture à base latine pour transcrire le bambara.  

Valorisation des langues ou politique chauvine en vue d’assoir l’hégémonisme ethnoculturel ?

Il est évident que le N’ko est une partie intégrante du patrimoine culturel national, mais ne remplit pas le critère d’être l’unique écriture nationale, au-dessus des autres systèmes d’écriture qui existaient bien avant son invention et qui concernent des langues ayant beaucoup plus de locuteurs non seulement dans la capitale, mais aussi à l’intérieur du pays. L’initiative des promoteurs de N’ko ne peut s’expliquer que par la tentation d’hégémonisme au profit de la culture mandingue. Ceci intervient au moment où tous les groupes essayent de fusionner leur culture dans une culture commune guinéenne riche de par sa diversité.

C’est bon de célébrer la gloire passée de son ethnie, mais le monde évolue. La gloire éternelle n’appartient qu’à Dieu.  Tous les empire naissent, grandissent, atteignent l’apogée et entament un déclin inéluctable.  Par exemple, l’empire perse (iranien) date du cinquième siècle avant J.C., et s’étendait des Balkans jusqu’en Inde, en passant par l’Égypte, mais l’Iran d’aujourd’hui est un pays qui se débat pour sortir de la mainmise des sanctions de pays de l’Occident. Alexandre le Grand, vainqueur des Vikings avait fait tomber l’Empire Perse pour fonder l’Empire Grec au quatrième siècle avant J.C. La Grèce d’aujourd’hui est un pays en crise financière à la merci du bon vouloir des banques européennes. Au XIIe siècle, Gengis Khan est parti de la Mongolie pour conquérir un territoire de plus de 30 millions de Km2, s’étendant de la Corée à la Finlande en passant par la Péninsule Arabique.  Aujourd’hui, la Mongolie est un pays pauvre pris en sandwich entre la Chine et la Russie.   Après une histoire glorieuse qui a marqué le monde entier et qui continue d’influencer le monde moderne, l’empire romain n’a que les attractions touristiques des décombres de Rome et les anciennes églises reconverties en mosquées après la chute de Constantinople, aujourd’hui rebaptisé Istanbul.

En Afrique, l’Empire du Ghana date de l’an 300 de notre ère et s’étendait du Niger à l’Océan atlantique et du Sahara jusqu’au Mali. L’empire était célèbre pour sa prospérité grâce au commerce de l’or.  Il atteignit son apogée vers le Ve et VIe siècles. Entre 1076 et 1087, l’empire subit de plein fouet les attaques des Almoravides qui réussissent éventuellement à le faire tomber.  L’empire Sosso, qui était un vassal de l’Empire du Ghana profite de la défaite de l’Empereur Tinkamanin pour contrôler ce qui reste de l’empire.  A son tour, l’empire Sosso sous l’égide de Soumangourou Kanté sera vaincu en 1235 par Soundjata Keita qui créa l’empire du Mali. L’empire connut son apogée sous le règne de Kankou Moussa (1307-13220). A la mort de celui-ci, l’empire entame un déclin lent et continu. En 1400, les Mossis du Yatenga occupent les provinces de l’Est. En 1443, les Touaregs s’emparent de Tombouctou et de Djenné, alors que les Songhaïs annexent en 1465 les provinces de la région du Niger et dominent les provinces du Nord au XVIe siècle. L’Empire du Mali s’incline devant la prédominance de l’empire Songhaï. Ce dernier empire sera aussi vaincu quand des soldats marocains sous le commandement du Pacha Djouder, attaquent les Songhaï à Tomdibi en 1591. L’Askia Ishak est tué dans l’attaque et les villes de Gao et de Tombouctou tombent sous le contrôle du Pacha.

L’Empire du Mali avait connu un passé glorieux, atteignant son apogée sous le règne de l’Empereur Kankou Moussa. L’empire s’étendait de la côte atlantique jusqu’au centre du désert du Sahara.  Une bonne partie de l’Empire couvrait le Mali actuel et la Guinée. Les fouilles archéologiques estiment que le village de Niani en Guinée abritait la capitale de l’empire. La mort de Kankou Moussa marque le début du déclin de l’empire. Ses successeurs n’arrivent pas à contenir les attaques de Touaregs, des Peuls, et des Songhaïs. En 1464, l’empire du Mali doit s’incliner devant l’empire Songhaï de Sunni Ali Aber. En 1493, Askia Mohammed Touré devient empereur du Songhaï et étend son influence, mais à son tour l’empire entame son déclin à partir de 1591, quand les envahisseurs venant du Maroc assiègent les villes de Tombouctou and Gao. Quant à ce qui reste de l’empire du Mali, le déclin se poursuivra jusqu’en 1610, année de la mort de son dernier empereur, Mansa Mahmud Keita IV. Le Manden va alors se disloquer en de petits Etats qui vont se livrer à des guerres intestines.

Aux XVIIIème et XIXème siècles, il ne reste de l’ancien empire mandingue que l’empire Bambara de Ségou (1712–1896) au Mali (qui fut supplanté par l’empire Toucouleur d’El Hadj Omar Tall), et l’empire éphémère du Wassoulou en Guinée (1878-1898) qui fut vaincu par l’envahisseur colonial. Après la conquête coloniale, les empires et royaumes ont été morcelés et redistribués dans de nouvelles entités politiques dont les contours furent décidés lors de la conférence de Berlin de novembre 1884 à février 1885. Les empires qui étaient homogènes du point de vue ethnolinguistique se sont retrouvés dans des territoiresmulti-ethniques dans lesquels aucun groupe ethnique ne détient la majorité absolue.  Par conséquent, l’espace linguistique mandingue a été fusionné avec l’espace non-mandingue dans de nouveaux Etas. Aujourd’hui, au lieu d’une entité homogène mandingue (le Grand Mande), l’espace mandingue a pris la forme d’un fer à cheval s’étendant de la Gambie, à travers le sud-est du Sénégal, tournant dans la région nord et sud de la Guinée et du Mali, à travers le nord de la Sierra Leone, pour descendre dans le nord-ouest de la Côte d’Ivoire.  

Il est nécessaire donc composer avec les autres ethnies dans le nouvel espace multi-ethnique. Cependant, certains politiciens rêvent toujours de recréer le Grand Mande et de vivre la gloire de l’épopée mandingue du moyen-âge.A cet effet, ils instrumentalisent les institutions démocratiques pour faire avancer leurs visées hégémoniques.

Dans nos prochaines éditions, nous allons examiner des exemples spécifiques et tirer les leçons qui s’imposent !

A suivre…

L’équipe de rédaction de Guinéenews©

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