Comme promis, nous livrons à nos lecteurs le reste de notre analyse des arguments juridiques avances pour justifier le tripatouillage constitutionnel.
Lire : Dossier – Guinée – Affaire troisième mandat : l’élite guinéenne à la croisée des chemins
5. Dès lors, si le chef d’un régime militaire d’exception (la constitution de 1990 était suspendue) a pu faire adopter pour les Guinéens la constitution de 2010, le président de la République institué par cette constitution peut bien, en vertu de l’article 51 de ladite constitution, jouir et exercer la même prérogative constitutionnelle. Et le peuple, sur la base des articles 2 alinéa 1er et 21 alinéa 1er de la Constitution, exercerait, dans ce cas, dans un suffrage direct ouvert, son droit sacré de doter ou non l’Etat d’un nouveau statut constitutionnel.
Cette assertion constitue une incitation démagogique à la violation de la Constitution. L’article 51 ne donne aucune prérogative de révision constitutionnelle au président de la république. Les adeptes du tripatouillage se rendent effectivement complices d’un cambriolage en proposant aux cambrioleurs des combines pour faire sauter les verrous constitutionnels. Ils violent ainsi l’Article 22 (chaque citoyen a le devoir de se conformer à la Constitution, aux lois et aux règlements), tout en ignorant les dispositions des articles 27 (expressément contre le troisième mandat), 35 (l’obligation du président de la République de « respecter et de faire respecter scrupuleusement les dispositions de la Constitution »), et 154 (les verrous constitutionnels sur le nombre et la durée des mandats du président de la République).
Il faut d’abord préciser que la Constitution de 2010 ne fut pas imposée par un « régime d’exception ». En fait, la Guinée avait failli brûler quand Dadis Camara avait déclaré, sous un régime militaire d’exception, qu’il comptait ôter sa tenue militaire pour briguer la magistrature suprême dans le cadre d’un nouvel ordre constitutionnel. Le peuple et la communauté internationale lui avaient barré le chemin, malgré les agissements du mouvement « Dadis doit rester ». Quand Dadis fut mis à la touche, Sékouba Konaté avait préparé, avec l’adhésion et le consentement de toutes les parties prenantes, une Constitution consensuelle de sortie de crise après avoir pris l’engagement qu’il ne sera pas candidat. C’est le minimum que les Guinéens attendent du président Alpha Condé. S‘il veut changer la Constitution, qu’il respecte comme le général Konaté l’avait fait, l’obligation de ne pas prétendre à être un candidat dans une élection présidentielle.
Le danger des arguments juridiques des adeptes du tripatouillage est de considérer l’article 51 comme un passe-partout extra-constitutionnel permettant au président de la République de se soustraire aux contraintes du Titre XVIIL de la Constitution de 2010 en matière de révision constitutionnelle. L’utilisation anti-constitutionnelle de l’article 51 est une arnaque juridique désespérée poussée par des juristes à la solde en manque d’arguments. Voici quelques points qui remettent en question la constitutionalité du recours à l’article 51 pour les révisions constituttionnelles:
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- Test 1: si l’article 51 était prévu pour la révision constitutionnelle, il serait explicitement mentionné que c’est une procédure dérogatoire de révision, ce qui n’est le cas.
- Test 2: Un autre test de constitutionalite du recours à l’article 51 est par rapport à l’article 153. En effet, la plupart des constitutions interdisent toute procédure de révision constitutionnelle en cas d’atteinte à l’intégrité territoriale, comme l’avait rappelé la Cour Constitutionnelle de Côte d’Ivoire à Laurent Gbagbo lors de la guerre civile, en invoquant l’article 27 de la Constitution qui interdisait d’engager une révision constitutionnelle alors que la sécurité intérieure et l’intégrité du pays sont menacés. En Guinée, l’article équivalent est l’article 153 qui stipule : « Aucune procédure de révision ne peut être entreprise en cas d’occupation d’une partie ou de la totalité du territoire national, en cas d’état d’urgence ou d’état de siège. » Si l’article 51 donnait effectivement une prérogative constitutionnelle, l’article 153 allait y référer, ce qui n’est pas le cas.
- Test 3: Comme dans la Constitution française en son article 89, la Constitution de 2010 comporte en son article 154 une limite matérielle qui interdit de revenir sur les clauses d’éternité, notamment la forme républicaine de gouvernement ainsi que le nombre et la durée des mandats présidentiels. Si l’article 154 ne fait pas référence à l’article 51, c’est que l’article 51 n’était prévu pour la révision constitutionnelle, et de ce fait ne saurait être une porte de derrière pour contourner cette exigence.
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