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Dossier – Enquête: Pourquoi Conakry broie du noir malgré les milliards injectés dans l’énergie ?

Depuis fin 2017, Conakry a renoué avec les coupures électriques intempestives dans les foyers, alors que la desserte électrique connaissait une nette amélioration auparavant. Conséquence immédiate, des émeutes sont enregistrées dans les quartiers de la banlieue de Conakry d’une part. D’autre part, plusieurs métiers éprouvent d’énormes difficultés pour tourner au quotidien, faute d’électricité.

Une situation impensable pour deux raisons. Et pour cause ? Non seulement, le président Alpha Condé est le président de l’Initiative Africaine pour les Énergies Renouvelables. Mais aussi, son gouvernement a investi des « fonds colossaux » dans le secteur de l’énergie depuis 2010.

En 2014, par exemple, lors de son passage à l’Assemblée nationale, le premier ministre d’alors, Mohamed Saïd Fofana, avait annoncé le coût total du plan de redressement à 1,4 milliards de dollars US, dont 56 millions de dollars en actions d’appui au secteur de redressement de la société EDG.

Curieusement, quatre ans après cette annonce, ces délestages électriques, qu’on croyait révolus pour de bon, ont encore repris de plus belle dans les quartiers. Depuis, les autorités tentent d’en donner des explications mais l’opinion reste médusée. Dans le souci d’aider à la manifestation de la vérité, votre quotidien électronique, Guinéenews©, fidèle à ses investigations, a mené une enquête, qui va au-delà de la communication officielle, pour tenter d’expliquer ce qui pourrait être les dessous de cette crise.

Pour commencer nos investigations, nous avons recensé d’abord tous les arguments brandis par les autorités et les communicants de la guinéenne de l’électricité, des plus légers aux plus sérieux, pour justifier les délestages en cours en Guinée. Ensuite, nous avons passé au peigne fin tous les arguments, l’un après l’autre, pour ne garder finalement que celui qui paraît le plus convaincant, à nos yeux.

Étiage, quand tu nous tiens !

Depuis le début de la crise, le premier argument avancé par les autorités pour justifier ces délestages électriques, c’est l’étiage ou encore le manque d’eau dans les retenues des barrages hydroélectriques.

Un argument soutenu à la fois par le gouvernement et les communicants d’EDG. Le ministre de l’énergie, Cheik Taliby Sylla, l’a dit à la télévision nationale et en conférence de presse. Les patrons d’EDG l’ont répété dans les médias. Papa Koly Kourouma, ancien ministre de l’énergie, l’a réitéré aussi. Comme Bouki, on est tenté de croire que tout ce qui est dit est vrai.

Cependant, à y regarder de très près, cet argument pourrait tenir route pour les profanes, mais en partie pour les spécialistes. La raison ? En cette période d’étiage marquée par la baisse du niveau d’eau, le barrage Kaléta donne 110 mégawatts sur une capacité installée de 240 mégawatts installés, estime le ministre Taliby Sylla. Conséquence, les eaux ne peuvent faire tourner les turbines plus qu’il n’en faut pour produire l’électricité.

C’est en tout cas la grande explication du ministre de l’énergie faite, fin décembre, à la presse. « Aujourd’hui, ces 110 mégawatts tiennent jusqu’à minuit. A 00h, pour accumuler encore de l’eau, on est obligé d’arrêter jusqu’à 6 heures voire 8h du matin pour permettre au barrage Kaléta encore d’accumuler (d’eau) jusqu’à la côte 110 pour reprendre encore le soir », a en substance martelé M. Sylla.

De ce qui précède, l’on comprend aisément que les délestages ne s’expliquent pas par le seul phénomène d’étiage. La raison est simple. Cette année, contrairement aux précédentes où EDG accusait les foudres d’avoir endommagé le réseau électrique ou annonçait des travaux de rénovation, on a trouvé un nouvel alibi : les difficultés d’approvisionnement en mazout pour faire tourner les turbines.

Cet argument, bien que simpliste, balaie la version d’un cadre du ministère de l’énergie, qui estimait que les délestages actuels seraient liés du fait que la société EDG serait en manque de cuve de mazout.

« EDG n’a pas de cuves de stockage de mazout. Autrefois, elle utilisait les cuves de RUSAL. Mais aujourd’hui, RUSAL, étant en phase de redémarrage de ses activités à Fria, a repris ses cuves. Conséquence, EDG n’ayant pas où stocker son mazout, a des soucis chaque fois que sa commande arrive », dit-il.

Faux, a vigoureusement réagi le ministre de l’énergie en conférence de presse. Pour Cheick Taliby Sylla, EDG ne serait pas confrontée à un manque de cuve de stockage de mazout. « EDG n’a pas ce problème. Ce problème n’a jamais existé depuis la première société… RUSAL a ses cuves. EDG fonctionne avec le mazout à flux tendu puisque, les commandes, c’est au fur et à mesure », coupe-t-il.

Interrogé, l’administrateur général d’EDG, Abdendi Attou, abonde également dans le même sens que le ministre. « Les difficultés des délestages qui se produisent aujourd’hui ne sont pas liées à une capacité de production. Aujourd’hui, nous avons 20 mille tonnes de stock disponible, et qui peut être utilisé par EDG. Ce qui est suffisant pour la gestion du carburant », a-t-il justifié face à la presse.

Les Turbines de Kaléta, de mauvaise qualité ?

Selon une troisième hypothèse, la pénurie d’électricité en ces temps tirerait son origine du fait que les turbines du barrage Kaléta seraient de mauvaise qualité. Une hypothèse rejetée en bloc par Taliby Sylla.

« A Yokohama (Japon), le constructeur de Kaléta (CWE), nous avait proposés des turbines chinoises. Mais nous avons refusé… Nous sommes prêts à mettre à votre disposition toutes les fiches d’expérimentation au laboratoire. Donc, les groupes de Kaléta n’ont aucun problème. Messieurs, s’il vous plaît, retenez une fois pour toutes, que ces groupes n’ont pas été faits à la hâte. Non ! Ils ont reçu toutes les expériences possibles », a encore réagi le chef du ministère de l’énergie.

« Donc, ne vous trompez même pas par rapport à ça, ne vous leurrez pas, n’ayez même pas d’hésitation. Le barrage de Kaléta fonctionne bien et correctement jusqu’ici. Depuis le 28 mai 2015 jusqu’à nos jours, nous n’avons pas connu d’anomalie majeure dans l’exploitation », rassure Taliby Sylla.

Quatrième argument, c’est le refus de payer les factures. Une annonce faite par le ministre de l’énergie. En partie, Taliby Sylla pourrait avoir raison, selon les résultats de nos enquêtes. « Aujourd’hui, sur 100 clients d’EDG, vous trouverez 50 clandestins, qui ne sont même pas enregistrés. Sur ces 50 autres facturés, 45% sont sous facturés. Comment voulez-vous qu’EDG soit financièrement équilibrée », s’est-il interrogé en conférence de presse au mois de décembre dernier.

Ces chiffres sont également corroborés par l’administration d’EDG. « Nous avons entre 65 et 70 mille compteurs facturés en Guinée sur un parc de 268 000 abonnés. L’objectif est d’arriver vers fin 2019 à 94% des clients facturés au compteur. Nous avons commencé le recensement. Nous avons constaté, en moyenne, 3 000 à 4 000 non déclarés sur 7 000 à 8 000 clients déclarés », a-t-il déploré.

Cependant, malgré cette fraude, l’administration d’EDG affiche des chiffres flatteurs. « La vente d’énergie, nous avons enregistré une croissance de 68% de 2015 à 2017. Ce qui passe de 500 à 880 milliards d’énergies vendues. Au niveau du recouvrement des factures, malgré les réticences, nous avons enregistré des améliorations en terme de croissance de recouvrement, allant de 400 milliards en 2015 à 700 milliards GNF aujourd’hui. Une très belle performance de 78% », s’est-il réjoui.

« Ces améliorations ne signifient pas que le secteur est équilibré. Il y a des coûts et des charges. Ces recettes, normalement, doivent faire face aux grosses charges comme l’achat d’énergie et du carburant. Donc, en terme d’encaissement, on a enregistré un taux encourageant et positif, allant d’un taux de recouvrement de 77% en 2015 à 86% en 2017 contre une prévision de 90% en 2018 », dit-il.

C’est quoi alors la cause réelle des coupures actuelles ?

Selon nos enquêtes très poussées, nous citons seulement quatre arguments explicatifs.

Le premier argument, il faut le chercher dans l’explication de l’administrateur général d’EDG. « Les délestages que nous connaissons aujourd’hui sont liés à des difficultés de paiement, que de manque de disponibilité de carburant. Les arriérés de la société Star Oil, font effectivement, à date, environs 300 milliards GNF, qui est un peu la dette des créances enregistrée sur nos comptes, soutient-il.

« Ces 300 milliards sont liés aux factures de 2017, qui ne sont pas encore payées, aujourd’hui, par les autorités, qui font l’objet de discussions actuellement et qui ont obligé notre fournisseur à réduire drastiquement ses livraisons de carburant », a encore martelé l’administrateur général de la société EDG. « Mais j’ai bon espoir que ces difficultés se régleront très rapidement », a-t-il rassuré.

Dans la foulée, le ministre Taliby Sylla va loin que son prédécesseur. « EDG, des dizaines d’années, n’avait pas de comptabilité en réalité. Les comptes de résultats de la société ne sont ni audités, ni certifiés. Il a fallu l’arrivée de Veolia pour établir ses comptes, pour la première fois en 2015. Il y a des dettes antérieures, qui ne sont pas contractées à partir de 2015 », a renchéri Taliby Sylla.

Pour corroborer les dires du ministre de l’énergie, Taliby Sylla, son homologue de l’Économie et des finances Maladho Kaba a estimé dans un rapport financier de novembre 2017, qu’EDG a des gros soucis de trésorerie dus à un endettement abyssal, qui s’élève à plus de 39 millions d’euros. Incroyable !

Mais cet argument, bien que réaliste, ne convainc pas certains cadres de l’opposition, qui y voient deux zones d’ombre. « La première, les sous-traitants ont attendu le pouvoir au tournant. Comme les élections sont arrivées, ils ont refusé de fournir le carburant pour accentuer la pression sur l’Etat afin que celui-ci paie ses dettes au risque d’être confronté aux émeutes ou de perdre les élections locales« .

La deuxième raison, poursuit-il, avec tous les ministres et les directeurs généraux, qui sont déployés dans tout le pays, est-ce que les caisses n’ont vidées pour financer la campagne électorale du parti au pouvoir ? », s’est demandé un député de l’opposition.

Vrai ou faux, la question reste posée.

Deuxième argument expliquant toujours ces délestages en cours, les autorités ont fait une surestimation exagérée sur la capacité de Kaléta. A commencer par le ministre de l’énergie, Taliby Sylla.

En 2014, lors de son passage devant les députés de l’Assemblée Nationale, Taliby Sylla, fraîchement nommé, avait demandé aux populations de prendre leur mal en patience, car avec le lancement du barrage Kaléta, le bout du tunnel serait arrivé, ajoutant que Kaléta, résoudra le problème récurrent d’électricité à Conakry. « Je ne peux pas m’arrêter devant les députés pour promettre des bla-bla-bla. Je tiendrai ces promesses », avait-il martelé, l’air rassuré, devant les députés.

Au mois de mars 2017 également, lors de la conférence internationale sur l’émergence en Afrique à Abidjan, le président Alpha Condé avait emboîté le pas, en lançant des piques aux voisins du Mali.

« Un jour, il y a eu une coupure de courant à Bamako. Les Maliens sont sortis avec des pancartes : Bamako n’est pas Conakry. Mais aujourd’hui, les populations de Conakry aussi, peuvent sortir avec des pancartes pour dire : Conakry, n’est pas Bamako », avait-il lancé à l’auditoire, en riant aux éclats.

Pourtant, c’était ignorer la prophétie de Papa Koly Kourouma faite en janvier 2014 sur les GG. « Le barrage Kaléta n’est pas la solution dans le court terme pour en finir avec les délestages chroniques que connaît la Guinée depuis des années. Il ne faut pas se leurrer, la capacité installée à Kaléta sera de 240 Mégawatts. Il fonctionne au fil de l’eau. Ce barrage n’a pas de retenue suffisante pour fonctionner pendant l’étiage. Conséquence, la puissance de 240 Mégawatts va chuter jusqu’à 45 Mégawatts, ce qui va entraîner à nouveau des délestages », disait-il.

Troisième argument, c’est la mauvaise gouvernance

Dans un rapport financier du ministère de l’Économie de novembre 2017, EDG devait aux fournisseurs plus de 424 milliards GNF en 2015 contre 1995 milliards en 2016, soit une hausse de 370%.

Or, dans toute entreprise sérieuse du monde, quand l’endettement atteint des chiffres faramineux pareils, la première mesure à prendre, c’est la réduction de l’effectif et de la masse salariale. Mais comme on le voit, au sein d’EDG, on a préféré plutôt augmenter la charge salariale de la boîte. C’est comme un père de famille endetté jusqu’au cou, qui continue à faire des enfants, à s’endetter pour s’acheter les plus habits et à manger les plats les plus copieux.

Selon le rapport financier du ministre de l’économie, les achats d’EDG sont passés de 493 milliards en 2015 à 1 849 milliards GNF en 2016, soit 275% de hausse. De même, les dettes sociales se sont accrues de 42,43% passant de 11 milliards GNF en 2015 à plus de 27 milliards en 2016 contre 110 milliards GNF en 2015 à plus de 119 milliards en 2017 pour les charges du personnel.

En conférence de presse, Taliby Sylla a effleuré une partie du problème d’EDG. « Comment EDG pourra faire face à toutes ces charges si toutefois, les consommateurs ne paient pas leur facture. L’Énergie est piratée de tous les côtés. Alors ça ne peut pas marcher. A cause du tarif pratiqué aujourd’hui en Guinée, on achète aux producteurs indépendants en moyenne à 2000 GNF pour vendre à 800 GNF. Un commerçant peut-il évoluer comme ça au marché Madina ? Jamais », a-t-il fustigé.

Interrogé, l’administrateur général d’EDG donne une idée des charges de sa société. « En terme de charge, EDG, si vous prenez globalement, les charges qu’elle doit payer, 90%, c’est la grosse charge qui est liée au carburant et à l’achat d’énergie. Il reste 10% pour la maintenance du réseau, l’exploitation et la masse salariale », déclare-t-il.

La dette colossale envers les sous-traitants ?

En conseil des ministres, Taliby Sylla a indiqué qu’en décembre 2017, la production thermique représentera 50% de la production totale. Or, cette part passera à environ 60% de janvier à juin 2018.

Selon lui, la consommation de combustible HFO est estimée pour 2018 à 1.061 milliards GNF contre 491 milliards GNF en 2017, soit une hausse de 570 milliards GNF. Poursuivant, il a interpellé le gouvernement sur le fait que « les créances impayées de fourniture d’HFO à EDG-IPP et capitales régionales avoisinent les 300 milliards GNF. En conséquence, la société STAR OIL, fournisseur principal de carburant a réduit drastiquement ses approvisionnements aux différentes centrales thermiques. Ce qui se traduit par les délestages, allant jusqu’à 100 MW de puissances délestées.

Pourtant, dans un document intitulé « paiement partiel des arriérés dus par EDG au titre de la subvention pour l’approvisionnement du mazout et la maintenance des centrales thermiques d’EDG », dont votre quotidien Guinéenews a obtenu une copie, l’État Guinéen a, par exemple, payé ces montants : STAR OIL (65 milliards GNF, ensuite 749 millions GNF, puis 46 milliards GNF)

Contre près de 99 milliards GNF à Holden Guinée, puis plus d’un milliards GNF et 100 milliards GNF).

Alors que la Guinéenne de l’énergie aurait perçu trois tranches : plus de 77 millions GNF dans un premier temps, près de 12 milliards dans un deuxième temps et dans un troisième temps 1 282 879 dollars. Toujours dans ce document, au titre du paiement de la consommation de l’administration, l’État guinéen a aussi payé à EDG 180 milliards en 2017, soit 15 milliards GNF par mois.

Interrogé, le ministre de l’énergie, Cheick Taliby Sylla, ne nie pas ces chiffres de Guinéenews©, mais botte en touche. « Ce sont des gens qui volent ces informations. Ils le font à la va-vite, à la hâte. Mais ils n’ont pas la possibilité de toucher réellement le vrai résultat », a-t-il annoncé à Guinéenews©.

Mais selon une autre source, il y a une autre nébuleuse qui a fait perdre à l’État plus de 131 millions de dollars américains avec Asperbras, une compagnie brésilienne qui aurait été introduite en Guinée par le fils du président Mohamed Alpha Condé. « 130 millions de dollars investis, zéro mégawatt », s’était emporté le ministre de l’énergie, Cheick Taliby Sylla, lors sa conférence- bilan 2017.

Selon nos informations, ces « partenaires », ont fait venir des générateurs qui étaient incompatibles avec le réseau électrique guinéen. Et ont disparu dans la nature avec les millions de dollars de la Guinée, lesquels, en réalité, auraient été récupérés par des gens proches du pouvoir et déposés dans des comptes. Cette affaire a été dénoncée par le chef de file de l’opposition, Cellou Dalein Diallo.

Mais selon une dernière version, la crise électrique actuelle s’explique enfin en raison du nombre important d’intermédiaires qui opèrent dans le secteur, parfois dans des conditions jugées plus ou moins opaques. Le hic est que chaque sous-traitant vend chèrement l’électricité à EDG, qui la revend moins.

De tout ce qui précède, on comprendra aisément dès lors, pourquoi malgré les efforts du gouvernement, les Guinéens seront toujours plongés dans les ténèbres. Ces dernières semaines, il y a quand même eu une relative amélioration de la desserte électrique dans les quartiers. Est-ce en raison de la campagne électorale ou l’Etat a-t-il pris de véritables dispositions idoines ?

 

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