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Dossier : des investisseurs chinois floués après avoir investi plus de 26 millions de dollars dans la bauxite guinéenne ?

Le 7 janvier dernier, Guinéenews© révélait une affaire judiciaire opposant des partenaires d’affaires autour de l’exploitation et la commercialisation d’une partie de la bauxite guinéenne, extraite notamment dans la préfecture bauxitique de Boffa. Huit Chinois et un Français, voilà les acteurs du conflit judiciaire. Les uns (cinq des huit Chinois) accusent les autres (les trois Chinois et le Français) d’ « escroquerie », d’ « abus de biens sociaux » de « faux en écriture privé » et d’ « abus de confiance » Mais derrière ces huit acteurs étrangers, se cachent de hauts cadres guinéens dont un ancien ministre des Mines.

En effet, les huit Chinois dont trois résident à Conakry sont les actionnaires de la société minière SD Mining, elle-même actionnaire à 42% de la junior sino-guinéenne AGB2A (Alliance Guinéenne de Bauxite, d’Alumine et d’Aluminium) détenue à 58% par des Guinéens de l’entreprise GIC (Guinea International Corporation).

Pourquoi les cinq Chinois en veulent-ils à leurs trois compatriotes et au Français Claude Lorcy, directeur général adjoint d’AGB2A ?

Tout est parti de la signature le 24 avril 2019 d’un accord de partenariat entre AGB2A et SD Mining (l’accord est signé par Claude Lorcy, administrateur général d’AGB2A et le directeur général de SD Mining, Zhang). En signant cet accord sur les modalités de coopération et d’investissement, les parties ont pris le soin de mentionner qu’il (l’accord) a la même valeur juridique que leur pacte d’actionnaires. Il ressort de cet accord consulté par Guinéenews© que SD Mining doit contribuer au capital d’AGB2A à hauteur de 10 millions de dollars américains, montant qui aurait intégralement été viré dans le compte de celle-ci par les cinq Chinois à partir de la Chine. SD Mining devrait aussi payer pour les amodiations entre la société AGB2A et les partenaires de celle-ci, à savoir l’indienne Axis Minerals et la guinéenne GBT (Guinean Brean Touch).

Ces dernières, quoique détentrices de permis d’exploitation, n’ont ni d’infrastructures (routes et port) ni de moyens pour l’extraction et la commercialisation de la bauxite. Une aubaine pour AGB2A, qui, désormais forte de la contribution financière de SD Mining, confie l’exploitation de la bauxite d’Axis et de GBT à la société Tianfu Mining.

En tout cas, si on se fie au document, SD Mining aura investi 26,5 millions de dollars américains dans le cadre de cet accord. Il (l’accord) indique qu’«une fois payées toutes les charges d’exploitation, frais de transport, engagements des amodiations et les taxes à l’Etat, priorité est donnée au remboursement des sommes investies par SD Mining pour leur partie remboursable soit un montant estimé à 26.5 millions de dollars…»

L’accord stipule aussi que « les bauxites exploitées seront vendues à SD Mining jusqu’à l’amortissement de son capital investi, et que la production serait prioritairement destinée à couvrir les Offtakes négociés par la même SD Mining. »Le hic c’est que ces points de l’accord et tant d’autres, n’ont jamais été respectés par le Français Claude Lorcy d’AGB2A qui a réussi à manipuler les 3 Chinois en les incorporant dans sa structure mettant les cinq autres en minorité pour les réduire au silence. C’est du moins l’accusation des cinq actionnaires de SD Mining qui se sentent également trahis par leurs trois compatriotes résidant à Conakry.

Selon nos informations, en mai 2020, une première vente de bauxite a rapporté cinq millions deux cent mille dollars américains (5.200.000 USD) à AGB2A. La société procédera à une deuxième vente courant 2020 et une troisième exportation devrait avoir lieu courant ce mois de janvier 2021. Selon les cinq Chinois – à leur tête madame Wang Qing de la société minière Beijing Bao Jin Hui CO.LT – les sommes rapportées par les premières exportations n’ont jamais servi, « comme convenu » au remboursement des investissements de SD Mining. Questionné sur les 5.200.000 USD, Claude Lorcy dira : « toutes ces ventes entrent dans les revenus normaux de la société qui couvre ses charges normalement en tenant compte des engagements qui ont été pris. Les actionnaires majoritaires de SD Mining, qui résident en Guinée, sont parfaitement informés de la gestion au quotidien de la société à laquelle ils participent…» 

Convaincus d’avoir été floués, les cinq Chinois ont d’abord saisi l’ambassade de Guinée en Chine afin d’intervenir en leur faveur. Parallèlement, sur avis d’un expert juridique qui s’est appuyé sur le droit OHADA, les cinq Chinois de SD Mining ont débarqué à Conakry en décembre 2020 en vue de saisir la justice. Devant le tribunal de première instance de Kaloum, ils porteront plainte contre Lorcy Claude, Dengcai Chen, Zun Zhang et Kelin Zhang pour « escroquerie », « abus de confiance », « faux en écriture privée » et « abus de biens sociaux ». Lundi 04 janvier 2021, le doyen des juges d’instruction du tribunal de première instance de Kaloum, Sékouba Condé, a ordonné la saisie conservatoire de la cargaison du navire Prosper Sunwaito sis au quai du port de Boffa et de toutes autres quantités de bauxites provenant de l’exploitation des mines des sociétés Axis et GBT, exploitées par AGB2A (Alliance Guinéenne de Bauxite d’Alumine et d’Aluminium).

Au cours d’un point de presse animé vendredi 08 janvier à Conakry, Claude Lorcy assure que ce sont les avocats d’AGB2A qui ont oeuvré pour amener le juge à prendre une ordonnance de mainlevée de saisie conservatoire le 07 janvier 2021, revenant ainsi sur sa décision prises trois jours plus tôt.  « Je n’ai reçu l’ordre de qui que ce soit, je suis magistrat, je ne relève que du Conseil supérieur de la magistrature. J’ai effectivement reçu une telle procédure, j’ai convoqué les gens qui ne sont pas venus. L’avocat des plaignants m’a dit qu’ils (Ndlr : Lorcy Claude, Dengcai Chen, Zun Zhang et Kelin Zhang) sont en train d’exploiter illégalement ce qui appartient aux associés. J’ai donc pris cette mesure provisoire pour provoquer la réaction des gens que j’ai convoqués.  Quand j’ai pris l’ordonnance, ils ont réagi à travers leurs avocats. L’avocat m’a dit que ses clients allaient venir, mais il fallait que je lève d’abord la mesure provisoire. En réalité, c’est une mesure provisoire qu’on peut lever à tout moment, ce n’est pas une mesure définitive », dira le juge d’instruction à Guinéenews©.

Comment SD Mining s’est fait avoir par AGB2A via un stratagème digne des Îles Caïmans ?

Ce type de montage juridique avec des sociétés écran et autres est une pratique digne des paradis fiscaux et est très fréquente dans le milieu des affaires où l’on ne respecte pas les règles de jeu. Juridiquement et sur la base des documents que nous avons consultés et fait examiner par des juristes, le contrat signé entre SD Mining et AGB2A est nul et de nul effet.

1- Légalement, le contrat que AGB2A a signé avec SD Mining le 24 avril 2019 pour 26,5 millions $ dont 10 millions sa participation (42%) et 16,5 millions $ comme avance fonds qui doit être remboursée par la bauxite jusqu’à l’amortissement est contestable. Car au moment de la signature, AGB2A n’existait pas juridiquement. C’est pourquoi peut être Contemporaty se retrouve toujours sur leur site Internet en lieu et place SD Mining qui a apporté l’ensemble des capitaux d’opération de la sino-guinéenne.

Voir signature, modalités et montant.

2- Le 12 juin 2019, GIC a modifié son statut en donnant 2 actions à Global Solutions SARL qui a cessé ses activités au profit de AGB2A. Étant donné que cette dernière n’existait pas au moment de la signature entre elle et SD Mining, la légalité du contrat signé entre les deux parties qui précède la création de GIC et de AGB2A juridiquement est contestable au regard de la loi.

Voir la date de modification du statut de GIC

3- Le 19 mars 2019, International Logistique Services SARL a créé elle aussi GIC. Elle a donné de 1 à 19 actions et de 19 à 20 actions) à GIC. Ceci dénote également que la légalité du contrat signée entre AGB2A et SD Mining est contestable puisque légalement, au moment de la signature ni GIC, ni AGB2A n’existaient. C’est là certainement que les 5 Chinois se fait avoir.

Voir document 1 et document 2 

Par contre, logiquement, ce qui milite en faveur de SD Mining, c’est que tous les capitaux apportés par les Chinois ont été virés dans le compte de AGB2A ce qui est incontestable.

« Vendre la bauxite au mieux offrant »  

Alors que l’accord laisse croire que tout a été financé par SD Mining, Claude Lorcy, lui, ne voit que le statut d’actionnaires minoritaires de cette société. D’ailleurs, dans sa requête aux fins de rétractation de l’ordonnance de saisie conservatoire, Me Seriba Mory Kanté, l’avocat d’AGB2A a indiqué que sa cliente n’est nullement concernée par la procédure pendante devant le tribunal de première instance de Kaloum.

Claude Lorcy accuse surtout Wang Qing de vouloir l’exclusivité sur la bauxite d’AGB2A pour sa société BAO Metals, et il estime que c’est ce qui motive la plainte des cinq actionnaires « minoritaires » de SD Mining. « Nous sommes libres de vendre notre bauxite aux mieux offrants […]. Cette société a effectivement acheté notre première cargaison et cette vente s’est très mal passée. Notre bauxite est restée quatre mois en Chine sans trouver d’acquéreurs et nous avons dû supporter des conséquences financières lourdes de l’incapacité de ce trader », a dit Claude Lorcy qui croît aussi qu’il paye pour « le farouche nationalisme » d’AB2A. Il dit prioriser les intérêts de la Guinée dans ce projet minier, alors que ceux qu’il appelle les actionnaires « minoritaires » voudraient que la commercialisation passe par eux. « Ils savent que c’est AGB2A qui établit les contacts pour traiter directement avec des sociétés d’alumine en Chine…Ils ne le supportent pas, eux les actionnaires minoritaires. Leur souhait c’était que la commercialisation passe par eux avec la perte de revenus et d’indépendance que cela créerait pour AGB2A », s’est défendu Claude Lorcy.

Pourtant, l’accord signé entre les deux parties stipule clairement que « les bauxites exploitées seront vendues à SD Mining et le prix de référence d’enlèvement de bauxite au quai sera de 20$/tonne pendant toute la durée de remboursement des sommes engagées par SD Mining….»

Plus loin, dans le même accord, on peut lire : « les prix de vente de la bauxite une fois les sommes avancées par SD Mining remboursées, seront conformes aux prix négociés dans les accords d’Offtake par SD Mining et/ou GIC régulés par le prix du marché. »


Et, à date, de sources proches du dossier, SD Mining n’a jamais reçu de bauxite venant de son partenaire AGB2A.

Guinéenews© a voulu étayer ces deux points et tant d’autres avec Claude Lorcy. Mais, notre échange via WhatsApp s’est malheureusement limité à cette réponse : « il s’agit d’un dossier qui sera traité par la justice. Les actionnaires majoritaires de SD Mining sont aussi choqués que nous par le comportement destructeur de leurs actionnaires minoritaires. Alors, attendons l’évolution normale de cette affaire. Nous avons déjà répondu sur les faits d’urgence, le reste est l’affaire de la justice qui dira qui a raison et qui a tort…»

Nous avons également voulu discuter de ces points avec un avocat du cabinet SCPA Les Rivières du Sud, qui défend les intérêts des cinq Chinois dans ce dossier. Mais celui-ci ne nous a pas laissés le temps de lui poser nos questions. « Mon dossier est en justice. Je n’ai donc pas à parler de ce dossier avec qui ce soit si ce n’est pas à la justice », nous dira-t-il au bout du fil.

Sur AGB2A…

La suite du dossier, c’est ce 18 janvier 2021. Sauf report, Claude Lorcy, Dengcai Chen, Zun Zhang et Kelin Zhang devraient se rendre au cabinet du doyen des juges d’instruction du tribunal de première instance de Kaloum. En attendant l’issue de leur audition, Guinéenews© a cherché à en savoir un peu plus sur AGB2A. Et votre quotidien est tombé sur l’acte notarié No.formalité/RCCM/GN-TCC. 2019.01.297 qui laisse comprendre que l’Alliance Guinéenne de Bauxite, d’Alumine et d’Aluminium a connu une modification le 12 juin 2019. Selon cet acte, la société Guinea International Corporation (GIC) a cédé deux (2) actions – dont les valeurs n’ont pas été indiquées –  à la société Sigma Business Solutions SARL qui, à son tour, a supprimé ses activités au profit d’AGB2A. Comme conséquence, AGB2A devient une société anonyme avec conseil d’administration. Celui-ci, selon l’acte notarié, est présidé par la Guinéenne Mado Thiam, ancienne directrice générale du trésor public guinéen maintenant à la retraite qui jouit d’une très bonne réputation à cause de sa bonne gestion quand elle était aux affaires.

« Cela veut surtout dire que toute décision qui doit être prise au compte d’AGB2A doit être approuvée par l’ensemble des actionnaires pour avoir une valeur juridique…Il en est de même pour SD Mining qui est une société de droit guinéen et soumise au droit OHADA », nous a expliqué un juriste d’affaires.  Selon toujours l’acte, la Chinoise Jun Shang – qui serait envoyée en Guinée  par SD Mining – est devenue la directrice générale d’AGB2A, alors que le Français Claude Jean-Marie Lorcy s’est retrouvé directeur général adjoint. Vue des cinq actionnaires de SD-Mining, madame Jun Shang est le « cerveau présumé » de « l’arnaque » dont ils auraient été victimes. Celle-ci aurait été acceptée d’être cooptée par Claude Lorcy pour les flouer. Nous n’avons malheureusement pas reçu à la joindre pour avoir sa version des faits.

Mais les choses n’apparaissent pas aussi clairement autour d’AGB2A. Puisque sur son site Internet, il est écrit que la société est détenue à 58% par GIC et à 42% par «  Contemporary (Chine) ». Le nom de SD Mining n’y figure donc pas à la différence de GIC (Guinea International Corporation), une SARL pluripersonnelle créée le 19 mars 2019 et ayant pour objet, entre autres : le « commerce, l’importation, l’exportation, l’achat, la vente, l’échange, la consignation, l’emmagasinage, le transit et le transport de tous produits, marchandises, denrées et objets de toutes natures et de toutes provenances ». GIC est, elle-même détenue par la société Internationale Logistique  Services SARL, créée la même date que GIC (à concurrence de 19 parts sociales numérotées de 1 à 19), et par un certain Aboubacar Sidiki Camara, (à concurrence de 1 part sociale numérotée de 19 à 20) ? Ce qui est sûr, il y a beaucoup de hauts cadres guinéens dont des anciens ministres qui ont des intérêts cachés dans GIC avec des noms d’emprunt à juger par leur agitation autour de ce dossier à Conakry.

Un dossier suivi de près par Pékin 

La Chine – premier pays consommateur mondial de bauxite -, est devenue depuis 2010 un partenaire incontournable de la Guinée, qui héberge le tiers de la réserve planétaire de bauxite. En témoigne l’Accord cadre de financement de 20 milliards de dollars américains en Guinée. Selon les données officielles, les investissements chinois dans la bauxite ont largement contribué à l’exportation de 22,6 millions de tonnes au second trimestre 2020… En bon investisseur, la Chine veille sur ces investissements. Ainsi, de sources diplomatiques, l’ambassade de la Chine en Guinée suivrait de près ce dossier dans lequel ses ressortissants se plaignent d’être floués après avoir investi plus de 26 millions de dollars américains. De son côté, la Guinée aurait cherché à montrer sa bonne volonté dans ce dossier. Ainsi, apprend-on, une fois saisie, l’ambassade de la Guinée en Chine a fait accompagner les 5 Chinois à Conakry par un de ses diplomates. Mais, frappés par des obligations de réserve, ni les diplomates chinois en poste à Conakry, ni le messager de l’ambassade de la Guinée en Chine n’ont voulu se prêter à nos questions.

A suivre…

Une enquête réalisée par Youssouf Boundou Sylla et Tokpanan Doré pour Guinéenews©.

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