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Dossier – Coupure d’internet : du plomb dans l’aile  du secteur  économique

Les autorités compétentes avaient dû couper internet à partir du  23 octobre dernier, veille de la proclamation  officielle des résultats provisoires de l’élection présidentielle, histoire de prévenir une éventuelle montée de tension dans la cité. Cette coupure d’accès à la bande passante internationale est intervenue dans le pays à la surprise générale des usagers. Bien qu’aucune annonce officielle ne soit faite auparavant, les guinéens ont appris avec surprise que les principaux opérateurs de télécommunications ont reçu l’ordre de couper la connexion sur l’ensemble du territoire guinéen. Du coup, les activités économiques ont pris du plomb dans l’aile.

Conséquences économiques lourdes

Les établissements bancaires, les agences de transfert d’argent, les activités portuaires et aéroportuaires, les entreprises import-export,   perturbés, les entrepreneurs bloqués…Bref !  Une partie importante de l’activité économique était à l’arrêt depuis  le week-end. Évidemment, couper l’Internet dans le pays, surtout dans la capitale où de nombreuses PME se sont développées grâce au numérique, revient à empêcher le développement de cette économie numérique, et plus globalement l’économie nationale.

En effet, les perturbations du réseau sur une longue durée affectent la productivité. Elles augmentent l’incertitude chez les entreprises, et force ces dernières à opter pour des modèles économiques moins optimaux, ou des fournisseurs plus chers qui ne seront pas affectés en cas de perturbation de la connectivité. En un mot, quand l’internet s’arrête, tout est tué dans l’œuf.

« Le trafic ici s’arrête tout simplement. Personne n’entre – ou quand ils entrent, ils ne restent pas longtemps car sans Internet, que vont-ils faire ? S’interroge Alpha Amadou B, gérant dans l’un des plus grands cybers  de la capitale. « Nous avions un contrat de développement de logiciel qui a été annulé parce que nous ne pouvions pas livrer à temps, parce qu’il y avait une déconnexion d’Internet. Nous avons aussi eu des situations où des clients internationaux pensent que nos entreprises les ignorent, mais nous ne pouvons rien faire. « 

Dame Bountouraby Kéita, est enseignante dans une école primaire de la place. Elle a appris la veille que le virement était fait. Pointée au guichet depuis huit heures trente, elle n’a pu obtenir son salaire pour faute d’interruption d’internet. Elle s’est  alors rendue dans un cybercafé pour tirer son bulletin de salaire. Là aussi non plus, elle n’a pu le faire. Pas de réseau. « Depuis huit heures trente, je suis entre la banque et le cyber. Mais jusqu’ici (11 heures, ndlr) rien. On me fait entendre que le réseau  internet est interrompu. J’attends pour voir si ça peut revenir d’un moment à l’autre », dira-t-elle d’un ton désespéré.

 Derrière les guichets, l’ombre d’aucun agent. Ils sont tous dans la salle de réunion.  Ils attendent, plutôt que de servir les clients.

 « Sans connexion internet, les gens ne peuvent  rien. Ils peuvent attendre. Peut-être que la connexion reviendra. Nous allons les servir dès que tout rentre dans l’ordre », rassure Mouctar T. Diallo, un travailleur de la banque.

Les transitaires ne sont pas en reste. Regroupés devant une banque de la place, ils n’ont pu faire les transactions pour faute de connexion. Ainsi, plusieurs opérations ont été bloquées au port autonome de Conakry durant des jours. Et les transitaires, les consignataires, les manutentionnaires étaient  tous désemparés et ne savaient pas à quel saint se vouer. Rencontrés lundi dernier, plusieurs d’entre eux n’ont pu contenir leur colère. « Ce n’est pas possible ! On ne peut pas effectuer des opérations ! J’ai des containers au port. Comment faire pour les enlever ? Je ne comprends pas pourquoi les gens ont coupé internet. On ne peut évoluer sans internet. Ça ne peut pas continuer ainsi. Si rien n’est fait d’ici là ce sera la catastrophe », tranche Issiagah Camara, transitaire au port de Conakry.

Au niveau des opérateurs de téléphonies mobiles, les responsables et même les agents interrogés sur l’impact de cette rupture de réseaux sociaux, n’ont daigné répondre à notre préoccupation. On nous a plutôt renvoyés vers le ministère des Télécommunications et de l’Economie Numérique. Malheureusement dans ce département, personne pour nous expliquer les raisons de l’arrêt brusque de l’internet dans le pays.

L’interruption d’Internet a eu des conséquences directes sur les entreprises. Et il ne s’agissait pas seulement de Conakry, et l’impact n’était pas seulement économique. Selon notre enquête, l’arrêt de l’internet a affecté  plusieurs personnes, et ce de diverses manières.

 Les réseaux sociaux dans le climat électoral

La Guinée n’échappe pas au phénomène d’influences basées sur des fausses informations ou des publicités politiques mensongères qui se déchaînent sur les plateformes web. Le réseau social Facebook, les groupes WhatsApp ou l’application Instagram en sont les principales victimes depuis le début de la campagne présidentielle.

Il n’y a pas de spécificité guinéenne dans la pratique de l’influence électorale par les réseaux sociaux. « Les méthodes employées sont globalement partout les mêmes en Afrique de l’Ouest. On trouve souvent des fausses pages Facebook, affiliées à des organisations qui ne mentionnent pas qu’elles sont affiliées et qui vont faire proliférer des informations dans le but d’influencer les décisions « , explique un internaute, avant de préciser que « cette fabrique incessante d’informations fantaisistes, fausses, orientées, circule très vite sur les plateformes et fait le « buzz » ».

Les manipulations politiques par les réseaux sociaux sont un problème massif sur le continent africain, ce spécialiste : « Il y a l’influence numérique extérieure et l’influence intérieure. Dans ce second cas, ce sont majoritairement des dirigeants qui souhaitent se maintenir au pouvoir mais aussi leurs adversaires qui souhaitent les faire partir, qui sont à la manœuvre »
La démocratie guinéenne semble fortement mise à mal par le détournement des plateformes d’échanges en ligne à des fins partisanes… La victime centrale de ces procédés d’influence c’est  la vérité. Et quand la vérité n’existe plus, c’est en général la liberté et l’autonomie des citoyens à se déterminer en toute indépendance qui sont mises à mal

Il faut ainsi retenir qu’avec l’avènement des réseaux sociaux et du web participatif, les usages et les comportements sociétaux ont été chamboulés. Ces changements ont affecté la population mais également les institutions représentatives et bien entendu les représentants de l’État que sont les politiques.

Le politique est aujourd’hui en pleine mutation. Si auparavant l’homme politique était inaccessible, réfugié dans ses instances, il est désormais devenu « le voisin d’à-côté ». Twitter, Facebook et Instagram pour certains, sont devenus des moyens de communication de proximité auprès de la population. Si cette proximité libère la parole, elle pose également le problème de la « politique émotion ». Cette politique de réaction « à chaud » imposée par les réseaux sociaux entraîne un manque de recul des pouvoirs publics. Dans ce schéma, les médias traditionnels sont également impactés par ces bouleversements, obligés d’être toujours plus réactifs. Ils ne sont plus la seule source d’informations de masse.

Les réseaux sociaux font partie d’une tendance qui impacte fortement l’opinion publique et qui transforme toutes informations, rumeurs en une solide information, cristallise toutes les peurs pour en faire des réalités et ne tolère pas l’approximation. La place des politiques est compliquée dans cet écosystème. Toujours plus sollicités, obligés de s’exprimer, il leur est difficile de prendre du recul pour raisonner plutôt que toucher.

Mariage forcé et utile entre médias traditionnels et réseaux sociaux

Auparavant considérés comme le quatrième pouvoir, les médias traditionnels sont aujourd’hui dépassés par les réseaux sociaux. Alors que l’on attendrait de ces médias une objectivité sans faille, eux aussi ont basculé dans une politique de faits divers destinée à augmenter l’audience : en dix ans, l’Institut national de l’audiovisuel a noté une augmentation de 73 % des faits divers dans les journaux télévisés. L’information n’est plus sélectionnée en fonction de son degré d’importance réel, mais en fonction de son pouvoir de captation des émotions.
Si aujourd’hui les médias traditionnels cèdent aux sirènes des faits divers, c’est qu’ils ont perdu leur place de porte-parole. Dans le milieu politique, de plus en plus de candidats décident de faire leurs annonces via leurs propres réseaux sociaux. Cela permet de mesurer l’impact des mesures annoncées et, éventuellement, de les ajuster. De plus, cela facilite le dialogue avec les futurs électeurs. Ils retrouvent ainsi une liberté de parole que les médias traditionnels leur avaient enlevée. L’espace public auparavant dominé par les médias traditionnels se délocalise au profit des réseaux sociaux.

Obligés de se réinventer pour ne pas perdre leur place, les médias se tournent vers une nouvelle information : une information réactive, basée sur l’émotion censée faire réagir. On cherche à provoquer une réaction émotionnelle: choquer, émouvoir, provoquer l’adhésion. Mais aujourd’hui c’est la dictature de l’émotion qui règne dans les médias traditionnels. Ils sont désormais le relais des réseaux sociaux et non plus l’inverse. Les réseaux sociaux sont même devenus une source d’information pour les médias, ils sont considérés comme des lanceurs d’alerte et permettent aux médias d’obtenir une actualité toujours plus réactive. Une réactivité qui empêche, bien souvent, de vérifier les sources d’information et la véracité des propos. De la même manière que les politiques, les médias cèdent à l’instantanéité des réseaux et leur puissance de propagation. Il en résulte un manque cruel de recul sur les informations données, les actualités sont données brutes à la population sans analyse pertinente.

Les réseaux sociaux ont bouleversé les usages et les tendances. Ces évolutions ont obligé les pouvoirs publics et médias à s’adapter, bien souvent au détriment de leurs rôles initiaux.
Aujourd’hui la politique émotion est devenue monnaie courante et s’impose comme unique manière de communiquer. Mais ces évolutions à double tranchant ont également permis d’instruire plus facilement les populations leur permettant ainsi de prendre le recul nécessaire pour analyser et objecter à l’encontre des médias et politiques. Si la politique émotion occupe aujourd’hui tout l’espace public, l’évolution des pratiques entraînera peut-être une modification de l’état d’esprit.

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