La Guinée est un véritable pays de paradoxe. En effet, comme noté dans le dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI), la production du minerai bat des records, surtout pour ce qui concerne la bauxite, depuis l’émergence de la SMB (société minière de Boké) en 2016. Mais les revenus, selon le FMI, malgré la production exponentielle de la bauxite, à l’opposée, sont en baisse. Ce qui constitue un grand handicap pour l’économie guinéenne. D’ailleurs, il y a quelques semaines, la Guinée devenait officiellement le 2ème producteur mondial de bauxite, dépassant du coup la Chine et se positionnant juste après l’Australie. Ce qui a fait jubiler les autorités. Bien que cette performance ne permet pas la création des chaînes de valeurs, faute de raffineries. Malgré la promesse faite dans ce sens par les autorités, il y a de cela 8 ans.
Ces réformes courageuses mais insuffisantes engagées par le ministère des Mines
Il faut reconnaître que l’équipe d’Abdoulaye Magassouba, ministre des Mines et de la géologie a réalisé de très bonnes réformes pour l’amélioration des choses dans son département. Toutefois, en matière de gouvernance dans le secteur, beaucoup de choses restent à faire. Surtout pour ce qui est du cas des exonérations minières abusives sur le bénéfice industriel et commercial accordées aux compagnies minières.
Pour mieux comprendre ce paradoxe, Guinéenews© s’est rendu au ministère des Mines et de la géologie. Suite à nos échanges avec un haut cadre du département, on note trois clarifications dont « la première vise à rassurer tout en expliquant que les concessions fiscales sont conformes aux discussions avec le FMI. La seconde met en exergue la différence entre les conventions qui existaient avant l’amendement du code minier en 2013 et donne les chiffres exacts sur les recettes minières. Enfin, la troisième porte sur des tableaux fournis en procédant à une analyse précise de la comparaison du premier tableau et relève des éléments factuels sur les informations dans le second tableau. »
S’agissant des concessions fiscales et de la conformité avec le Programme FEC (facilité élargie du crédit) avec le FMI, cet officiel a affirmé que « les exonérations fiscales constituent des dépenses fiscales qui ont été au cœur des échanges avec le FMI. Sur ce, le FMI était d’accord qu’un investisseur minier peut bénéficier des dérogations fiscales lorsque la rentabilité de son projet l’exige. Cependant, ces dérogations sont possibles lorsqu’un investisseur se voit dans l’obligation de réaliser des infrastructures multi-utilisateurs et multi-activités. »
« Il y a une nette différence entre la situation des conventions signées avant le code minier de 2011, de celles des conventions négociées après ce code. A cet effet, le ministère des Mines dément catégoriquement l’exonération de la taxe à l’extraction et celle à l’exportation en faveur de certaines sociétés qui sont en réalité assujetties à une taxe minière. Parce qu’il est évident dès lors que la taxe minière est prévue par la convention liant ces sociétés à l’État, l’absence de la mention taxe à l’extraction et taxe à l’exportation ne saurait être assimilée à une exonération », a-t-il affirmé avant de préciser qu’« après l’adoption du code minier en 2011, un processus de révision a été initié à travers le Comité Technique de Revues des Titres et Conventions Miniers (CTRTCM) mis en place par le président de la République, Alpha Condé. Ainsi, il fallait éviter de créer des incertitudes par la remise en cause des engagements antérieurs de l’État guinéen. La révision des titres miniers par le CTRTCM, a permis à l’État d’aboutir à la résiliation de certaines conventions et au retrait d’autres titres miniers… Le ministère se réjouit des actions engagées pour l’efficacité des dispositifs de mobilisation et la sécurisation des recettes domestiques. Ce qui pourrait augmenter substantiellement les recettes de l’État. »
« Donc, il n’y a aucune exonération ad hoc accordée par le ministère des Mines. Toutes les exonérations sont conventionnelles, c’est à dire prévues par une loi. Elles sont négociées par une équipe interministérielle avec l’appui de cabinets internationaux et sur la base d’un modèle financier qui est challengé avec le modèle FARI développé par le Fonds Monétaire International (FMI). Ensuite, elles sont portées dans les conventions signées conjointement par le ministère des Mines et le ministère du Budget, soumises et discutées en Conseil interministériel, puis en Conseil des ministres. Une fois approuvées par le gouvernement, elles sont soumises au parlement. Une fois au parlement, les projets de conventions sont défendus en inter-commission, c’est-à-dire en présence de toutes les commissions du parlement. Une fois approuvé à ce niveau, le projet est soumis en plénière et soumis au vote du parlement qui l’adopte. Aucune exonération n’est donc directement octroyée par le ministère des Mines qui n’a pas ce pouvoir au regard de la loi. Seule une loi peut accorder une exonération. Car, les taux et les assiettes sont du domaine de la loi. L’investissement minier étant très capitalistique, il appartient à l’État sur la base des modèles économiques et financiers, de faire des arbitrages permettant la réalisation des projets. C’est pourquoi les exonérations portent essentiellement sur l’impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et non sur les taxes minières qui sont les revenus les plus sûrs de l’État », a martelé notre interlocuteur.
Cependant, un expert familier du secteur minier doute que le FMI ait donné une quelconque quittance de ce genre à la Guinée. « Ça m’étonnerait que le FMI soit d’accord au vu des positions prises ailleurs. Le dernier staff report a clairement indiqué que l’augmentation de la production minière ne s’est pas encore traduite au niveau des recettes fiscales », a-t-il précisé.
La faiblesse des réformes minières…
Selon un autre haut cadre guinéen qui a strictement requis l’anonymat, « cette performance hautement honorable est à mettre au crédit de la vision du chef de l’État qui a très tôt compris la nécessité de voter une loi sur le patrimoine minier en 2010 en insistant sur l’approche commerciale du secteur minier. »
Nous avons assisté en 2019 à la mise en production du premier projet minier à capitaux 100% privés à savoir la mise en production de la mine de Bel Air Mining du groupe britannique Alufer.
Le code minier est une véritable bible du secteur minier. Il définit les règles du jeu et est censé être maîtrisé aussi bien par les investisseurs que les cadres qui interviennent dans le secteur minier guinéen.
Or, selon ce haut cadre, on a constaté depuis 2016, un abus de la part des investisseurs miniers qui, comprenant la faiblesse technique et la passivité de certains agents guinéens en face d’eux, exigeaient systématiquement et brutalement des exemptions de toutes sortes avant de jeter leurs capitaux dans les mines de Guinée.
« Face à un jeune ministre des Mines engagé et une équipe de cadres préoccupés par le gain quotidien sans expérience avérée de négociations devant une armée de banquiers et de grands cabinets d’avocats payés à prix d’or par les investisseurs, les conventions minières ont prospéré en Guinée », a-t-il remarqué.
D’ailleurs, dans une lettre No.0193 en date du 10 juillet 2020 relative au recadrage et d’orientation budgétaire de la loi de finances initiale de budget 2021, le Premier ministre a clairement instruit « l’annulation de toutes les exonérations exceptionnelles accordées de façon discrétionnaire sans base légale avec prise d’effet à compter du 1er avril 2021 ». Cette mesure concerne beaucoup de compagnies minières qui profitent beaucoup de ces exonérations exceptionnelles. Mais leur donne ces exonérations qui n’ont aucune base juridique au détriment des recettes publiques. That’s a big question ?
Quid du conseil juridique qui accompagne la Guinée dans les négociations !
En 2019, selon des sources concordantes, grâce aux bonnes performances du ministère des Mines et de la géologie, la Guinée a signé pour 7 milliards de dollars américains de contrats miniers qui se traduisent actuellement en projet concrets (SMB projet Boké, Chalco projet Boffa, etc.)
Selon nos informations, pendant les négociations des conventions minières, le ministère s’est fait assister par un cabinet juridique international couplé à un conseil local composé de jeunes avocats très talentueux et prometteurs qui se contente de 30% de la facturation. Faute de moyens, le ministère demande souvent et systématiquement aux sociétés minières de payer les factures d’assistance juridique. Ce qui constitue une pratique irresponsable et extrêmement préjudiciable pour l’indépendance de la partie guinéenne, sans compter la très mauvaise perception économique et le risque de réputation. Ce premier constat de mauvaises pratiques, est d’autant plus étonnant que le ministère dispose de fonds colossaux au FIM (fonds d’investissement minier) dont le rôle est de supporter la promotion minière ce qui est le cas. Guineenews© a aussi été informé que ces mêmes sociétés offrent des billets « business class » à de larges délégations guinéennes sous la houlette du CTRCTM.
Le second constat est que 100% du contenu local de l’assistance juridique est entre les mains d’un seul cabinet. Pourtant, d’autres cabinets guinéens tout aussi valables ne sont même pas invités à la table du festin financier. En effet, entre 2017 et 2020, les sociétés minières ont dû être facturées au moins 5 millions de dollars en honoraires et autres voyages exotiques, factures imposées par le comité de négociation, selon des sources proches du ministère des Mines. 30% de cette manne reviendrait donc au cabinet juridique local, soit plus de 15 milliards de nos francs. Malheureusement, tous les grands dossiers ont été traités par un seul cabinet. Ce qui peut laisser penser à un système de rétrocommission dont les bénéficiaires pourraient être des membres influents de ce comité.
Le ministère des Mines a balayé ces allégations tout en précisant ceci : « il y a de cela quelques années, toutes les missions d’assistance juridique au profit du ministère des Mines étaient assurées exclusivement par des cabinets dits internationaux. Sur notre insistance et sur la base de la politique du contenu local prônée par le chef de l’État, nous avons exigé desdits cabinets d’inclure dans leur offre de service des cabinets locaux. En fait, nous incluons systématiquement dans les TDR (termes de référence) pour le recrutement des firmes internationales, le recours à un cabinet conseil local. Ce qui permet un transfert de compétences. Nous y avons même fixé un seuil de participation des cabinets locaux. C’est dire que ce sont plutôt les cabinets internationaux qui sont tenus d’inclure un cabinet local. Et, aussi, le recrutement tient compte des critères de compétence et d’absence de conflits d’intérêts, il n’est pas facile de trouver plusieurs cabinets locaux pouvant répondre à ces exigences, en la matière. C’est certainement pour cela que les cabinets internationaux retiennent systématiquement Sylla & Partners dans leur offre. Ce n’est donc pas le ministère qui a eu la préférence de Sylla & Partners mais plutôt les cabinets internationaux qui, à notre avis, savent mieux juger de la qualité et de la compétence des cabinets locaux. Il faut dire qu’il n’y a pas beaucoup de cabinets locaux dont les associés sont inscrits dans les barreaux de New-York, Paris ou ailleurs. Ce sont des cabinets compétents ayant une expertise spécialisée, en droit minier, droit fiscal et des infrastructures qui sont souvent utilisés par les cabinets d’avocats internationaux. Il faut aussi insister sur le facteur non négligeable relatif à la question de conflits d’intérêts. Car, la plupart des autres cabinets locaux conseillent les investisseurs. Ce qui les met de facto en situation de conflit d’intérêts pour conseiller l’État. Cela est une pratique mondiale des règles de fonctionnement des cabinets internationaux.
En fait, c’est aussi un effort et une véritable contrainte de la part des cabinets de choisir un camp, soit ils conseillent l’État, soit ils conseillent le secteur privé. C’est un choix stratégique de chaque cabinet d’opter pour l’accompagnement du secteur public ou du secteur privé.
Je dois reconnaître que les cabinets internationaux, recrutés eux-mêmes sur une procédure d’appel d’offres sont satisfaits de leur collaboration avec Sylla & Partners dont les compétences et la qualité du service fourni sont une fierté pour la Guinée. Ce cabinet est souvent cité ainsi que d’autres cabinets guinéens dans le classement des meilleurs cabinets d’avocat en Afrique.
Parmi les cabinets internationaux généralement utilisés actuellement, il y a des cabinets américains, des cabinets canadiens et des cabinets anglais. Ce sont des firmes internationales connues dans le monde entier. Chaque cabinet international est à un point fort : infrastructures, énergie, mines, financement de projet, de restructuration de dettes, etc.…
Notre souhait est bien sûr de voir d’autres cabinets emboîter le pas à Sylla & Partners pour que dans un futur pas trop lointain, nous puissions compter exclusivement sur des compétences locales en matière de conseil juridique. »
Poursuivant, ce haut cadre du cabinet ministériel a ajouté : « il n’est pas exact de dire que ce sont toujours les investisseurs qui prennent en charge les frais de voyage des membres des délégations guinéennes au cours des missions à l’étranger. Cela arrive quelquefois mais, c’est plutôt l’exception. La règle demeure la prise en charge par le FIM à chaque fois que c’est possible. Il faut aussi faire attention car, la mission du FMI n’est pas de prendre en charge les frais de mission. Les missions de négociations sont prises en charge par le budget du ministère sauf à quelques rares exceptions notamment en cas d’urgence que les sociétés se proposent une prise en charge des billets d’avion et frais d’hôtel mais jamais de perdiem qui sont pris en charge par le budget du ministère. La participation aux événements internationaux (Indaba, PDAC etc.) passe aussi par le FIM. La participation aux événements de promotion du secteur minier sont pris en charge par le CPDM. »
L’élan à prendre en matière de minimisation des allègements fiscaux
Si l’enjeu pour les investisseurs est de profiter d’un maximum d’exemptions fiscales, celui pour la Guinée doit être de contrer ces offensives de ces investisseurs en exigeant et en analysant systématiquement les modèles financiers de ces demandeurs. Malheureusement, beaucoup de conventions minières ont été attribuées sans analyse appropriée et sans modèles financiers fiables et bancables… sans justifications.
A titre d’exemple, des sociétés minières ont obtenu de larges exemptions fiscales (pas d’impôts sur les sociétés) sur plusieurs années. Alors que ces sociétés génèrent d’importants bénéfices en seulement quelques années voire quelques mois après la mise en production, soit bien en deçà de la période moratoire fiscale !
Comment explique-t-on ces anomalies ? Il est difficile de blâmer ces investisseurs qui ont joué leur rôle de maximisation de valeurs ajoutées pour leurs actionnaires respectifs.
Aujourd’hui, la plupart des sociétés minières en Guinée produisant de la bauxite génèrent des bénéfices dès la 2ème année au regard des besoins croissants du marché. Les sociétés aurifères quant à elles, récupèrent leurs investissements initiaux ou capex dès quelques mois de production… alors qu’elles continuent de profiter d’exemptions pour de longues années.
La multiplicité des conventions minières est aussi révélatrice du niveau d’opacité des cadres du secteur minier, selon nos infos. En outre, la plupart des cadres ont largement bénéficié de voyages en classe affaires, soit en Chine, soit à Dubaï, soit à Paris avec perdiem. Dans ces conditions, comment défendre les intérêts de la Guinée lorsque vous bénéficiez de telles largesses des investisseurs ?
« Sur le fond de cette question qui mérite une réflexion approfondie, il y a lieu de noter que les frais de mission des négociateurs de la société qui porte le projet sont généralement pris en charge par le projet et sont inclus dans les coûts historiques. Et comme le précise si bien le code minier, ils font partie des frais de premier établissement. Pour un projet initié par une société, dont l’issue n’est pas garantie, faire prendre en charge les frais de mission dans le maigre budget de l’État, sans être sûr que le projet aboutirait peut-être sujet à questionnement. Il va certainement falloir revoir cela, à savoir mettre en place une procédure par laquelle les frais de mission rendus nécessaires par le projet porté par une société, soient pris en charge non pas par l’État mais par cette société dans le cadre du projet. Cela n’aura rien de choquant.
Par ailleurs, tous les contrats de conseils font l’objet d’une procédure transparente entre les cabinets, le ministère et les investisseurs. Car, la plupart des sociétés sont cotées sur des places financières internationales et donc soumises à des règles strictes de conformité. Pour évaluer la qualité des prestations des conseils, vous n’avez qu’à consulter les conventions négociées depuis 2010 qui sont toutes publiées. Enfin, le secteur minier guinéen est conforme à ITIE (initiative pour la transparence des industries extractives) depuis 2014 et à ce titre tous les flux financiers entre l’État et les sociétés minières font l’objet d’audit par des cabinets internationaux financés par la Banque Mondiale et/la BAD (banque africaine de développement). »
Une exemption fiscale pour l’investisseur peut être monnayée par les cadres guinéens qui négocient sans filets d’éthique et de contrôle de l’autorité donnant lieu à ce qui peut être perçue comme de la corruption active présumée, fustigent nos sources d’informations.
De sources proches du comité de négociations, certaines conventions minières ont été négociées par de simples conseillers au lieu du ministre ou de ses équipes juridiques en violation de toutes les matrices de délégation d’autorités, déplore-t-on.
Dans le souci de transparence avec le public, le comité de négociation de toutes les conventions minières entre 2016-2020 doit rendre des comptes de ce qui a conduit à ce paradoxe de la Guinée, recommandent des observateurs. A savoir, une performance minière décolorée de celle des recettes fiscales. La bauxite guinéenne est tellement attractive qu’aucune convention minière avec des exemptions fiscales n’est désormais justifiable. Il va falloir refuser de renouveler systématiquement pour les sociétés l’ayant bénéficié depuis longtemps et limiter le temps pour celles qui en auront besoin conformément au code minier.
Par ailleurs, toujours selon nos sources, il y a actuellement 10 demandes de permis pour 1 seul disponible…
La plupart des conventions d’infrastructures ont été négociées sur une base de BOT (build operate and transfer) sur des périodes de transfert de 30 ans… Quel État sérieux accepterait de récupérer un chemin de fer après 30 ans avec un niveau de vétusté élevé ?
Dans la littérature des praticiens du secteur minier, l’infrastructure devient rentable après 10 ans d’exploitation. Alors, pourquoi accorder 20 années supplémentaires de bénéfices lorsque l’État n’est pas actionnaire de ces infrastructures ? That’s another question. Car aucun bénéfice n’est généré pour l’État en pareille circonstance.