Sorciers, êtres surnaturels, êtres mystiques, tels sont, entre autres qualificatifs empreints de préjugés dont sont affublés les albinos dans nos sociétés. Tout ceci accompagné de railleries, d’exclusions et de mépris. En Guinée, les albinos sont montrés comme des génies par les uns ou encore porte-bonheur par les autres. Et on n’hésite pas en effet à les sacrifier lors des rituels dans certaines régions d’Afrique. Si les persécutions des albinos ont lieu dans certaines communautés, là où ils ont la chance de survivre, leur insertion socioprofessionnelle pose de problème. (Crédit-photo: RFI)
Les albinos marginalisés en Guinée…
« Être né albinos en Afrique est un véritable drame », disait Salif Kéïta, le nom de ce célèbre chanteur malien. Et cela vrai ! Il ne fait pas bon d’être albinos en Afrique en général et en Guinée en particulier. Non seulement ils souffrent de cette anomalie génétique, ces citoyens au faciès identifiable sont largement victimes d’ostracisme. Ils sont régulièrement victimes de crimes rituels censés apporter de la richesse et la chance à leurs commanditaires. Cibles de croyances archaïques, leur sang, leurs membres ou leurs organes font l’objet d’un macabre trafic. Ils sont victimes d’une marginalisation sociale due en partie à l’ignorance entourant cette maladie. L’albinisme, à première vue, est la marque d’une étrangeté et surtout incompris qui éveille de nombreux préjugés et beaucoup d’émotions.
Rejetés au sein des familles…
La naissance de l’enfant albinos suscite de nombreuses réactions. « La naissance implique à la fois la mère, accusée d’une faute, le père et la famille. Car, par cette présence exceptionnelle, le contrôle social et familial du physique montre une défaillance », soutient un ancien professeur des sciences sociales rencontré lors de notre enquête à Gbessia-Cité de l’Air, dans la commune de Matoto. A écouter ce vieil enseignant, cette naissance comble rarement la famille de joie. Généralement, soit le foyer familial se brise, soit l’enfant albinos est tué ou abandonné par l’un ou les deux parents. Les enfants albinos passent généralement par les orphelinats ou par les enfants de mères célibataires.
Selon lui, la légende veut en effet que l’albinos soit un enfant trouvé ou abandonné, ce qui le désinscrit de toute généalogie. Pour illustrer sa thèse, sur les rapports complexes entre l’enfant albinos et sa famille, il citera l’exemple qui est celui du célèbre artiste Salif Kéita, né en 1949, au Mali où la naissance des albinos était problématique.
Selon le témoignage du vieux professeur des lettres, le bébé sans couleur que fut cet artiste emblématique de tout le continent africain est venu au monde à la fois maudit et bénit. Sa naissance fut d’autant plus scandaleuse qu’il est de la lignée princière des fondateurs de l’Empire du Mali au XIII è siècle. La première manifestation d’ostracisme qu’il connaitra, selon toujours le témoignage, sera celle de son père, qui refusant la fatalité d’un fils albinos, le reniera.
Cet exemple de naissance nous montre la gravité de la discrimination que subissent les albinos au sein de leur famille. Ainsi en Guinée, on rencontre les cas les plus graves où les actes de discrimination concernant les enfants, qui prennent des formes extrêmes de violence allant des agressions physiques à l’infanticide. La plupart de ces enfants albinos sont issus de familles pauvres, habitant dans les quartiers précaires, les zones rurales, dont les parents arrivent difficilement à subvenir à leurs besoins. De ce fait, les enfants se heurtent à toutes formes d’exclusion. Sans encadrement de la part d’institutions et de leurs familles, ils se retrouvent à vivre en marge de leur société. La vie de ces enfants albinos dans ce contexte pourrait être décrite comme un long cycle de discrimination.
C’est en cela que de nombreux enfants albinos en grandissant vont développer un complexe d’infériorité qui va les handicaper plus ou moins profondément dans leur développement psychique et rationnel. L’enfant va développer un manque de reconnaissance de sa personne liée aux sensations négatives que son entourage lui fait percevoir.
« Mon père m’a toujours rejetée parce que je suis albinos. Un jour, il a dit à mes frères que je représentais le diable, que je n’étais pas une fille. Il avait refusé de m’envoyer à l’école, mais mon oncle maternel était tout de même allé m’inscrire dans une école publique où j’ai étudié jusqu’en troisième année de l’élémentaire. Les enseignants et les élèves se moquaient de moi parce que je ne voyais pas au tableau. Je n’ai pu supporter toutes les injures et les moqueries. C’est ainsi que j’ai abandonné l’école… C’était à l’école primaire publique de Bonfi, dans la commune de Matam. Je me suis alors retrouvée à la rue sans défense. J’avais essayé de vendre quelques articles au marché, mais personne n’a voulu acheter ce que je vendais. Alors me revoilà encore sur le chemin de la mendicité. J’ai été abusée par un homme. Aujourd’hui j’ai un enfant de 15 mois. Je suis désespérée et perdue », lâche désespérément la petite Mafoudia B. à notre micro.
L’une des difficultés les plus importantes que nous remarquons à travers ce témoignage, est que les enfants sont encore plus confrontés à des comportements de stigmatisation avec un fort impact émotionnel, d’autant plus quand ils sont rejetés par leurs propres familles. Le risque d’abandon devient très élevé pour eux.
Déjà à l’école et au service
La discrimination face aux études, pour ceux qui ont la chance d’aller à l’école, est l’une des discriminations les plus importantes auxquelles doivent faire face les albinos, et ce, notamment dès le bas âge. Les camarades de classe sont la première source de moquerie et de dérision.
« Le blanc des nègres », « sorciers ou fantômes », sont quelques-uns des noms désobligeants que les enfants utilisent à l’école. Dans les cas les plus graves, ils sont physiquement victimes par leurs camarades de classe. Souvent des objets sont jetés contre eux, ils sont frappés à plusieurs occasions ou des gens crachent sur eux.
« Quand j’étais à l’école, le maître m’a placée au fond de la salle et il me déconsidérée tandis que les élèves se moquaient de moi. Même sur le chemin de l’école, j’étais sifflée », raconte mademoiselle B. Lamarana, rencontrée au marché de Tayouah, dans la commune de Ratoma.
Cette jeune fille, à l’écouter, a souffert des moqueries dans la rue. Ce qu’elle a fini par comprendre que ces railleries étaient des marques de différenciation. Avant de faire un pas vers l’entrée principale, Lamarana savait qu’elle fera l’objet de moqueries et de méchanceté de la part de ses camarades. Aussi, du fait de sa déficience visuelle, elle a du mal à voir le tableau et est donc contrainte d’abandonner l’école pour aller effectuer des travaux sommaires et enfin prendre la rue pour mendier.
C’est vrai. Il se trouve avec le faible niveau voire une absence d’instruction, conjuguée à un manque généralisé d’information sur leur santé, ce qui les conduit à occuper des emplois en plein air (augmentant ainsi les risques de cancer de la peau) ou voire même à ne pas à trouver d’emploi.
C’est un parent en larmes qui évoque la situation scolaire de sa progéniture. Après avoir inscrit son enfant albinos dans une école primaire dans le quartier Enta-Nord, dans la commune de Matoto, N’Faly Kéïta a des raisons d’en vouloir au monde. Pour faciliter l’apprentissage de son fils, ce parent doit recourir à la « négociation » pour qu’il occupe une place de choix dans la classe. « Ce n’est pas bien d’en parler. Mais, pour être sûr qu’il peut plus ou moins prendre ses cours, il faut que je glisse quelque chose à son institutrice pour qu’il soit aux premières places ». Une faveur provisoire. Car, les termes de la négociation peuvent être revus dès l’arrivée d’une proposition. Le constat avec les petits camarades est révélateur de la situation de stigmatisation ainsi que la considération que porte la société aux albinos. « Je commence à m’habituer. C’était plus difficile lorsque mon fils était plus jeune ».
Quartier Matoto, la plus grande commune de Conakry. Au domicile des Konaté, tout y est pour que le confort de l’habitation prête à une certaine quiétude. Pourtant, le cœur n’est pas à la joie dans ce foyer, Maïmouna, maîtresse des céans, ne le cache. La dame entre deux âges ne manque pas d’évoquer un stress. Cette mère de famille vit le martyre depuis sa première couche. Pour la plupart, ses enfants sont astreints à l’immigration forcée. A en croire cette dame, « quand je montre leurs photos à mes amis, ils ont des attitudes qui me frustrent ». Une situation que cette mère de famille vit même dans sa propre famille. Pour l’essentiel, ses parents considèrent ses enfants albinos comme l’origine d’une race « souillée ». Une perception qui se traduit dans le regard de ses frères, sœurs et parents plus ou moins éloignés de la famille.
M’Mahawa est vendeuse à la sauvette. Ses relations avec sa clientèle ne s’inscrivent pas sur un ciel azuré. La jeune fille, la vingtaine abordée, doit faire face aux regards des « autres ». « Il m’arrive régulièrement de ne pas vendre une marchandise parce qu’un client, après m’avoir regardé, refuse de payer ce que je lui propose ». Ce n’est pas toujours le cas. Partagée entre sa satisfaction de commerçante et la blessure qu’elle traine depuis sa naissance, la jeune fille en activité dans un quartier commercial affirme : « il m’arrive d’écouler quelques marchandises parce que certains clients manifestent une certaine pitié à mon endroit.» Un sentiment dont n’a pas bénéficié Fanta Condé, violée par un taximan.
Aujourd’hui âgée de 31ans, cette diplômée d’ENSAC n’a pas oublié cette soirée de juin 2015 où elle a été violée par un conducteur de taxi. Le conducteur pris pour la course par la jeune dame décide de finir son trajet dans un lieu désert du quartier. Violée par le conducteur, Fanta, laisse entendre que « le chauffeur m’a expliqué qu’il devrait avoir une relation sexuelle avec moi parce que cela devrait lui apporter des chances dans ses affaires ». Les propos relayés par de nombreuses autres sources laissent dire que des marabouts, des adeptes de sectes pernicieuses et autres praticiens de rites à consonance ésotérique, considèrent les albinos comme dépositaires de quelques pouvoirs occultes. Des pouvoirs dont l’essentiel se concentrerait dans les substances sexuelles, les ongles, les poils et les cheveux des albinos.
Se marier avec un(e)albinos ?
Le même problème de discrimination se retrouve au sein des familles, notamment dans les mariages d’une personne mélanoderme et d’une personne vivant avec l’albinisme. En effet, son acceptation et son intégration sont généralement difficiles. Surtout lorsqu’on sait que le mariage relève du choix contrairement à la naissance qui est une implosion biologique.
La famille est toujours contre, chaque fois qu’un albinos se marie, la famille s’oppose totalement, qu’il soit homme ou famille, quand quelqu’un épouse une femme albinos ou un homme albinos, c’est un tollé dans la famille, c’est l’opposition systématique de tout le monde. Tous les gens qui se sont mariés avec des albinos, ont vécu des moments durs… C’est le cas de dame Foulématou Camara qui vit aujourd’hui avec son conjoint albinos à Kolaboui, dans la préfecture de Boké. Les parents de cette dernière étaient opposés à leur liaison au départ avec toutes sortes de préjugés. « Plusieurs membres de ma faille ne comprenaient pas mon choix. Ils s’interrogeaient : « mais tu ne vas pas épouser ce monstre ! Epouse quelqu’un de normal ! » Aller avec cet homme, c’est comme épouser un handicapé, un aveugle… ça ne va pas non ? Il y a des gens normaux pourquoi tu prends celui-là ? »
Comme on vient de dire, dans le cadre du mariage, il s’agit ici pour la famille du non albinos de conserver l’intégrité de la famille en empêchant l’intrusion d’un être différent. Les thèmes de la honte, de l’altérité sont d’ailleurs plus soulevés que ceux des croyances et témoignent d’un sentiment de vouloir épargner la famille d’une présence non voulue.
A quoi sert le combat de la Fondation pour le Secours et l’Intégration Sociale des Albinos (FONDASI) ?
Elles sont nombreuses les ONG et associations qui évoluent sur le terrain pour la lutte contre la stigmatisation des albinos. Plusieurs rencontres, les séminaires, les forums, les ateliers, les campagnes de sensibilisation, les marches pacifiques et des requêtes déposées auprès des autorités et du pays, y compris les institutions internationales, constituent l’essentiel du combat des défenseurs des personnes vivant avec l’albinisme. Mais hélas ! La situation demeure et les albinos continuent de souffrir dans leur chair, selon les dires de certains responsables d’ONG et d’associations rencontrés lors de nos investigations.
« Trop de bruits pour rien. Les albinos continuent de subir. Ils sont toujours stigmatisés et marginalisés dans notre pays. Regardez vous-même dans la rue ! On rencontre plus d’enfants albinos réduits à la mendicité que les autres. On trouve qu’ils ne sont utiles que pour les sacrifices s’ils ne sont pas eux objets de sacrifices. Nous avons tapé à toutes les portes. Des ministères aux institutions, toujours des promesses. Aucune action réelle sur le terrain. On organise des cérémonies sporadiques pour soutirer de l’argent aux institutions et après rien. Moi qui vous parle, je suis victime de la stigmatisation. J’ai une formation ! Une excellente formation… Et j’avais raison d’être angoissé au début de mes études. Mon espoir d’intégrer la Fonction Publique ou d’être recruté par une structure privée s’est amenuisé et je n’en crois plus. Partout où j’ai déposé mes dossiers, il n’y a jamais eu de réponse favorable à ma demande… Nous les albinos, nous sommes victimes de la marginalisation… Même au sein de notre famille, à l’école, vous n’êtes pas compris. Dans un lieu public, on vous interpelle et on vous demande de laisser passer les autres comme si nous n’étions pas des hommes », raconte un membre de l’association des Albinos de Guinée, qui nous a suppliés de ne pas le citer pour cause de ses dossiers déposés dans une entreprise de la place.
Cependant, d’autres ne manquent pas de signaler l’évolution de la situation sur le terrain. C’est le cas de cette responsable d’une ONG qui évolue en Guinée depuis deux décennies. Pour cette responsable et haut cadre au ministère du Budget, les choses ont sensiblement évolué ces derniers temps : « aujourd’hui, en regardant derrière, c’est un sentiment de fierté qui m’anime eu égard la remarquable évolution des conditions de vie des personnes vivant avec albinisme. Mes collaborateurs et moi, notre combat, fort de sa stratégie est en train de payer pour le grand bonheur de cette frange ultra-minoritaire de la population. Par les incessants lobbyings aussi au plan social qu’à l’international, nous avons arraché la plus grande considération mondiale jamais témoignée aux personnes vivant avec l’albinisme : une journée internationale de sensibilisation à l’albinisme. Dans la foulée, nous avons aussi obtenu la nomination d’un expert indépendant des Nations Unies pour les personnes vivant avec l’albinisme. Sans compter toutes les autres résolutions aussi bien onusiennes qui émanant du ST Vatican, visant à protéger les droits des albinos ». C’est grâce au combat de plaidoyers et la volonté politique, explique cette dame qui ajoute : « ça n’a pas été facile avec le regard de la communauté mais avec des personnes aux différents postes, il y a eu un changement dans la perception des albinos ».
Il faut par ailleurs rappeler que lors de la conférence de presse organisée par la FONDASI (Fondation pour le Secours et l’Intégration Sociale des Albinos), Dr Morlaye Camara, son président a soutenu qu’il y a quelques avancées malgré le retard accusé dans le cadre de la promotion, protection et intégration de cette couche. Il a cité par exemple l’avant-projet de loi approuvée par l’équipe gouvernementale, sous la bienveillance du Président de la République. « Pour cet acte, nous sommes ici pour exprimer nos reconnaissances et nos vifs remerciements à toute cette équipe, aux personnes, aux institutions nationales et internationales qui ont apporté leurs contributions de près ou de loin… Nous formulons ce plaidoyer à l’attention de tous ceux qui ont participé à ces travaux d’avant-projet de la loi, de bien vouloir poursuivre leur action afin de voir ce travail sur les tables de légifération et de promulgation dans les meilleurs délais comme l’a sollicité le Président de la République», a plaidé le premier responsable de FONDASI.
Du côté du ministère des Affaires Sociales, tous nos interlocuteurs sont unanimes qu’il y a eu des avancées ces dernières années. Comme quoi, face au vide constaté dans la protection des albinos en Guinée, plusieurs propositions sont sur la table des décideurs en vue d’adopter une loi pour la protection des personnes souffrant de l’albinisme. Ce document, aux dires de notre interlocuteur rencontré dans les locaux du ministère des Affaires Sociales, propose des droits à la santé, l’éducation, l’emploi et attire l’attention des autorités guinéennes sur le trafic d’organes et crimes rituels dont sont victimes les albinos.
Dossier réalisé par Louis Célestin