Après « Veuvage féminin et sacrifice d’animaux chez les Peuls du Fouta Djallon », « Pulaaku, le code d’honneur des Peuls » et « La condition peule hier et aujourd’hui : étude comparative de communautés Guinée et Tchad », Yassine Kervella-Mansaré atterrit à nouveau dans le paysage littéraire.
Dans sa gibecière, un nouvel ouvrage qu’elle a intitulé « Paroles d’immigrés, d’acteurs impliqués et de responsables politiques », avec le témoignage de Cellou Dalein Diallo.
Un livre témoignage de 224 pages inspiré d’enquêtes ethnographiques réalisées entre 2019 et 2022 auprès d’adultes et adolescents africains immigrés en France et en Irlande, certains ayant emprunté des chemins clandestins alors que d’autres ont suivi des voies légales.
Dans une interview exclusive accordée à Guinéenews, cette jeune docteure en anthropologie, qualifiée sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître de conférences et chercheure associée au Centre de recherche bretonne et celtique et au Laboratoire d’études et de recherche en sociologie, décline sa motivation à aborder cette problématique d’immigration.
Aussi, la chargée de cours à l’université de Bretagne occidentale, Yassine Kervella-Mansaré présente le contenu du livre, non sans évoquer sa démarche auprès des jeunes et d’autres acteurs impliqués dans le phénomène en vue d’avoir leurs avis sur la situation. Notamment la figure de proue de l’opposition guinéenne, Cellou Dalein Diallo. Lisez !
Guineenews.org : Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre sur l’immigration ?
Yassine Kervella-Mansaré : En 2017, j’ai été sollicitée par des psychologues mais aussi des psychiatres pour les accompagner dans la prise en charge des immigrés, certains étant mineurs à l’époque. Étant anthropologue africaniste, ça consistait à expliquer leurs cultures d’origine à ces praticiens. C’est ce qu’on appelle de l’ethnopsychanalyse. Au fur et à mesure des consultations qu’on avait, j’entendais la souffrance de ces jeunes-là. Du coup, l’idée a commencé à émerger concernant un texte sur l’immigration.
Au départ, j’avais plutôt envie de faire un article de dix pages. Mais au fur et à mesure des entretiens, mes matériaux augmentaient. Ce n’était plus tenable de faire un petit article. Donc, l’idée du livre a commencé à venir. J’ai approché Sterren Kermarrec, une de mes collègues qui a apporté son témoignage d’ailleurs dans le livre. Elle a trouvé que c’était une bonne idée. Elle m’a présenté à des jeunes immigrés. Puis, les choses se sont dessinées petit à petit. J’ai également eu l’occasion de me rendre à plusieurs reprises en Irlande où j’ai été voir des structures qui accueillent les jeunes immigrés, et avec lesquels j’ai pu aussi m’entretenir. Leurs témoignages figurent également dans ce livre.
Guineenews.org : Dites-nous quel est le contenu de votre ouvrage
Une introduction d’une dizaine de pages explique un peu le statut de l’étranger en mobilité. Comme vous le savez, depuis toujours, l’homme n’a jamais cessé de bouger, que ce soit pour des raisons liées à la recherche de la nourriture, aux conquêtes territoriales, aux fuites devant un ennemi (dans le cadre d’une guerre par exemple) ou d’autres choses comme la précarité, le chômage. On peut trouver plein d’exemples qui expliquent cela. Parce qu’il ne connaît pas souvent les normes et les codes du pays d’accueil. Souvent, c’est ce qui provoque des conflits, parce que les autochtones du pays d’accueil ne connaissent pas non plus la culture de l’étranger. Donc, ça provoque des conflits sur ce plan-là.
Le plus important dans le livre est la partie des témoignages. J’ai tellement entendu ces jeunes raconter leurs souffrances. Malgré la distanciation que mon métier me permet d’avoir, j’avais beaucoup d’émotions quand ils évoquaient leurs parcours extrêmement difficiles. Il n’y a pas que des jeunes Guinéens dans ce livre. Il y a aussi des témoignages de jeunes Maliens, Sénégalais, Léonais. Tous ont des points communs. Ils quittent leurs pays à cause de la précarité, du chômage, du sentiment de n’avoir pas d’avenir. Parce que les membres des différents gouvernements ne se soucient pas d’eux. Cela est souvent revenu dans les témoignages.
Une autre partie concerne les acteurs qui évoluent dans les structures d’accueil. C’est le cas par exemple de la France où il y a le témoignage de la psychologue dont j’ai parlé tout à l’heure. Mais aussi, il y a d’autres structures auxquelles j’ai fait appel, comme l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) où j’ai eu l’intervention de deux acteurs. L’un s’appelle Thierno Sow, un consultant qui a vécu aux États-Unis et qui a apporté son témoignage à la fois du terrain américain, mais aussi du terrain guinéen. L’autre, c’est Joël Loua. Il est actuellement le Chargé de projet à l’OIM. Vous voyez, ce sont des personnes impliquées dans ce cadre-là. Donc, il était important d’avoir leurs points de vue. C’est aussi le cas de M. Mamadou Aliou Barry qui est chercheur géopoliticien, mais aussi écrivain. Et son point de vue était important, parce qu’il maîtrise bien le sujet de l’immigration. Il y a aussi un journaliste, M. Sidy Diallo, qui a également apporté son témoignage parce qu’il anime une radio à Mamou, cette ville qui est déjà touchée, comme tout le Fouta Djallon en général, par un taux élevé de départ des jeunes à la recherche de ce fameux Eldorado qui n’existe pas. C’est pour cette raison que ce journaliste a mis en place une radio qu’on appelle Radio Safari, qui consiste à sensibiliser les jeunes afin de faire en sorte qu’ils restent au pays et qu’ils trouvent d’autres solutions que celle qui consiste à partir en aventure au péril de leurs vies. Et quant à ma conclusion, elle est plutôt récapitulative. Je propose une sorte de synthèse de divers témoignages.
Guineenews.org : Vous avez sollicité beaucoup de responsables politiques guinéens, notamment M. Cellou Dalein Diallo. Comment s’est déroulé l’entretien avec lui ?
De façon naturelle. Comme avec les autres intervenants dans le livre, il a répondu à mes questions. On a fait cet entretien par Zoom, parce que c’était en période du COVID-19. Il fallait s’adapter au contexte sanitaire. Il a répondu avec grand intérêt à mes questions. Il a donné son point de vue. Il a donné des pistes pour améliorer cette migration, pour permettre aux jeunes de trouver un emploi stable en Guinée. Une fois qu’on a effectué ce premier entretien, je l’ai sollicité une deuxième fois, parce que j’avais besoin encore des réponses à certaines questions. Le contexte avait changé entre-temps. Ce n’était plus Alpha Condé qui était président. Il y a eu le coup d’État. Donc, il fallait aussi améliorer l’entretien en actualisant les choses. Voilà un peu comment l’entretien s’est déroulé. J’ai ensuite fait part de mes résultats à mes jeunes informateurs. J’ai eu beaucoup de retours positifs. Ils ont eu le sentiment d’avoir été écoutés, car je ne suis que leur porte-parole. C’était quand-même fort. Et je tenais à préciser cela, parce que ce sont leurs mots que j’essaie de mettre en avant dans cet ouvrage.
Guineenews.org : Vous êtes anthropologue africaniste, spécialiste du monde peul. Vous n’en êtes pas à votre premier ouvrage. Quelle est votre méthode de travail ? Avez-vous un projet militant ?
C’est une bonne question, parce qu’elle me permet à chaque fois de clarifier les choses. J’ai fait le choix de faire l’anthropologie du proche, parce que je suis Guinéenne, je suis Peule du Fouta Djallon. Du coup, j’ai choisi de travailler sur la population peule. Mais dans cet ouvrage sur l’immigration, j’élargis un peu mes champs de recherche. Je pense avoir le recul nécessaire pour le faire. Il convenait en effet de montrer des points communs entre mes différents interlocuteurs et, surtout, de montrer en quoi leurs problèmes risquaient d’être mal compris par les accueillants si ceux-ci ne faisaient pas l’effort de comprendre leurs cultures d’origine. D’ailleurs, la réciproque est vraie.
Pour ce qui concerne le militantisme, même en France on me demande où je me situe. Lors des conférences, je dis souvent que je ne suis pas dans le militantisme du monde peul. Je ne porte aucun jugement de valeur sur ceux et celles qui revendiquent ce militantisme-là. J’essaie seulement de dissocier les choses. Le militantisme est une affaire d’opinion et donc d’engagement subjectif. Tandis que l’anthropologie propose des explications qui tendent à l’objectivité.
Disons, pour faire simple, que je suis une ethnographe de terrain. En tant que telle, je ne parle ni de moi, ni de ma famille, ni de mes amis, ni de mon éducation. J’essaie de collecter un maximum de matériaux, comme on le dit dans notre jargon, pour pouvoir faire une analyse des usages et des mœurs sur les Peuls ou sur d’autres populations. Avant tout, je m’efforce de restituer de la façon la plus cohérente possible les matériaux collectés. La méthode ethnographique exige ce préalable. Ensuite, la conceptualisation doit répondre aux critères en usage dans le métier, sans parti-pris, donc sans militantisme, ce qui aurait pour conséquence de fausser les conclusions.