Arrivé au pouvoir par un coup d’État militaire le 5 septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya a prononcé ce 31 décembre son premier Discours de l’an à l’adresse des Guinéens. Il s’agit, dans l’ensemble, d’un discours qui suscite beaucoup d’espoir en ce sens qu’il identifie très clairement les maux qui gangrènent la société guinéenne et les nombreux défis à surmonter pour les résorber.
Pour ce faire, le colonel Doumbouya a réitéré aux Guinéens des engagements très forts en martelant notamment « qu’il n’a d’autre ambition que la mission de rassemblement de la Guinée […] Que chacune de ses actions n’est guidée et ne sera guidée que pour la protection, la défense et l’unité de la patrie […] »
Pour que ces engagements puissent être tenus cependant, le Président de la Transition a mis l’accent sur la réconciliation nationale et la confiance dans les institutions. Deux exigences incontournables, selon lui, pour l’édification de la nation. Ainsi, a-t-il promis : « Chacun sera désormais responsable de ses actes. Il lui sera demandé de rendre des comptes […] et la justice sera pour tous, y compris pour les gouvernants. »
Voilà autant de messages d’espoir que le Chef de la junte au pouvoir a adressés aux Guinéens en les suppliant, non sans émotion, de lui faire confiance. Voici ce qu’il leur dit : « Faites-moi confiance. Je suis là pour servir, pour vous servir. Et le moment venu, le pouvoir, je vous le remettrai, à vous, peuple de Guinée. »
Toutefois, derrière ces messages d’espoir et ces promesses séduisantes du Président de la Transition, il y a d’autres passages de son Discours qui méritent qu’on y prête un peu plus d’attention afin de mieux saisir, non sans une dose d’ingéniosité, leur véritable signification ou tout au moins la plus vraisemblable. En effet, lorsque le colonel affirme : « Nous saluons l’adhésion populaire que la prise du pouvoir a suscitée. C’est le symbole de notre légitimité. », il exprime ainsi implicitement que la prise du pouvoir par la force armée peut prétendre à la légitimité du fait qu’elle a été accueillie par le peuple dans un enthousiasme populaire.
Cette question nous amène en effet à nous confronter quelque peu avec le concept de la légitimité de l’exercice du pouvoir. Le Petit Larousse définit la légitimité comme la qualité de ce qui est fondé en droit, en justice, ou en équité. Autrement dit, la légitimité repose sur une autorité qui est fondée sur des bases juridiques ou sur des bases éthiques ou morales, et permet de recevoir le consentement des membres d’un groupe.
Dans le cas de la prise du pouvoir par la junte, la légitimité se fonde non seulement sur les aspects éthiques et moraux du régime qui a été défait, mais aussi sur les mêmes aspects du régime militaire qui a libéré le peuple de l’injustice et de l’arbitraire. Comme le rappelle d’ailleurs le Discours du colonel en ces termes :« L’état de fragilité de notre pays a été notre unique motivation : une société gangrenée par le communautarisme et le tribalisme, parfois même la haine, une cohésion nationale inexistante, une confiscation par quelques-uns des richesses de notre pays, une pauvreté galopante et une corruption endémique.la Guinée et les Guinéens étaient touchées dans leur âme. La fierté d’être Guinéen profondément ébranlée. »
Telles sont les bases éthiques et morales de la légitimité de la junte à exercer un pouvoir conquis par la force, sous réserve bien sûr, qu’elle ne tombe pas elle-même dans les mêmes déboires.
Un autre passage de ce Discours de l’an qui attire l’attention est celui où le colonel affirme : « Nous devons instaurer la culture de la probité et quelle que soit l’austérité qui en découlera […] Nous n’allons pas décréter le changement, mais nous le construirons ensemble brique par brique. Pour cela, il faut un peu de temps. »
Par ces propos, il faut entendre deux choses, à notre avis : La première est que la junte envisage de mener une Transition beaucoup plus longue qu’on ne l’imagine, puisque pour amener les Guinéens à apprivoiser la culture de la probité et créer une rupture avec les mauvaises pratiques d’antan, cela demandera incontestablement beaucoup de temps. Le changement ne saurait être décrété comme l’affirme le colonel Doumbouya. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il ne s’est pas autorisé lui-même à fixer la durée requise pour réaliser ce changement.
La deuxième signification de ces paroles est que nous sommes partis, si les engagements du colonel tiennent, pour des lendemains très difficiles sous le régime de la Transition. Les Guinéens doivent en être conscients et s’y préparer en conséquence. D’autant plus que depuis le 5 septembre dernier, la contre-valeur des devises, notamment le dollar, est en train de chuter régulièrement sans pour autant que les prix des marchandises sur le marché guinéen ne baissent.
Certes, il y a encore des commerçants qui ont un stock acquis pendant l’inflation, mais depuis lors il y a eu un restockage obligatoire de certains produits de consommation essentiels. Dès lors, cette baisse du taux de change du dollar américain en franc guinéen voudrait que le coût de revient des produits diminue, car la production mondiale chez les fournisseurs n’est pas indexée franc guinéen mais plutôt au dollar. Pour faire en sorte que l’évolution des prix des marchandises suive le cours du dollar, il faudra alors importer beaucoup. Ce qui pourrait aussi faire mal à la production locale.
Enfin, un dernier passage du Discours de l’an du président de la Transition qui sonne comme un glas à notre oreille est le suivant : « En attendant, la Guinée ne déraillera pas, parce que je ne faillirai pas. Elle ne vacillera pas, parce que je ne tremblerai pas. Ma détermination pour ce pays est sans limite […] C’est le sens du sacrifice que mes compagnons et moi avons modestement consenti le 5 septembre dernier. S’il fallait le refaire, c’est avec la même détermination que nous repartirions. »
Par cette déclaration, le Président de la Transition envoie un message fort à quiconque voudrait jouer avec le pouvoir qu’il a conquis par la force en compagnie de ses frères d’armes. Il exprime ici que rien ne lui fera peur et qu’il gardera le contrôle du pays quoi qu’il en coûte. Le colonel martèle qu’aucun obstacle ne peut le freiner dans sa détermination pour la Guinée et que lui et ses frères d’armes seraient toujours prêts, autant de fois qu’il sera nécessaire, de recourir à la force pour s’emparer du pouvoir, s’ils estiment que c’est l’unique voix qu’il faut emprunter pour protéger la Guinée contre les maux qui gangrènent sa société, tels qu’ils sont rappelés dans l’introduction de son Discours.
Ces derniers propos du colonel Doumbouya résonnent comme un avertissement à l’endroit des partis politiques de l’opposition et des acteurs politiques en général, que leur désir de conquérir le pouvoir par les urnes, n’est pas une garantie suffisante pour le conserver une fois qu’ils l’auront obtenu. La pérennité de leur pouvoir dépendra de leur volonté inébranlable à construire une Guinée où tous les fils et filles peuvent vivre dans la paix, la cohésion nationale et avec l’espoir d’y avoir un avenir meilleur.