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Des Ballets africains aux écoles de danse américaines: Moustapha José ou l’histoire d’un serviteur émérite de la culture guinéenne (entretien)

«La culture est le miroir à travers lequel nous pouvons comprendre notre passé et construire notre avenir… Quant à l’art de la danse traditionnelle, il est un héritage précieux que nous devons préserver et transmettre aux générations futures. Car enseigner la danse, c’est enseigner la fierté de sa culture et le respect de ses traditions… La danse transcende les frontières et les langues, elle nous unit en tant qu’êtres humains…»

Moustapha Bangoura, alias ‘’José’’, est artiste et membre des Ballets Africains de Guinée depuis 1975. Danseur, chorégraphe, directeur artistique, il est actuellement professeur des danses traditionnelles de Guinée aux États-Unis et en service auprès de la Direction chargée des ensembles nationaux au niveau du département de tutelle. Moustapha ‘’José’’ Bangoura est né le 19 avril 1955 à Conakry. Il est le fils de feu François et d’Hadja Mariama Camara, vivante et âgée de 103 ans. Il est marié à une femme et père de 6 enfants dont 4 filles.

Il a fait ses études primaires au Centre d’Enseignement Révolutionnaire (CER) de Madina Port. Le secondaire, au collège Cours 2 et le lycée, au CER du 1er mars, où il arrêtera ses études à cause des arts. Recruté dans le Ballet fédéral de Conakry 2 dans les années 1973-74 puis dans les Ballets africains en 1975, Moustapha ‘’José’’ va solliciter en 1980 son départ pour s’inscrire à l’Institut Polytechnique Secondaire (IPS) du 2 août. Pour la petite anecdote, dit-il, c’est suite à sa représentation artistique dans le numéro ‘’Moba’’ des Ballets africains, qu’il a été repéré par feu Président Ahmed Sékou Touré. Après l’audience et pour un souhait, il a demandé à ce que lui soit facilité de continuer ses études. Ses souhaits exaucés, il va intégrer l’Institut Polytechnique Secondaire (IPS) du 2 août de Donka. Après 3 ans de formations et sorti majeur de sa promotion dans l’option mécanique générale, il sera diplômé aide-ingénieur. Retenu par les instances supérieures de l’Éducation nationale d’antan, il va enseigner le dessin industriel dans le même Institut Secondaire du 2 août de Donka. En 1984, déjà affecté au ministère des Travaux publics, à la demande des regrettés Hamidou Bangoura, Italo Zambo et Mohamed Kémoko Sano, il sera sollicité par les Ballets Africains pour assister au festival à Moscou et Kiev (Union Soviétique). Il sera officiellement affecté par la suite au ministère de la Jeunesse et de la Culture en 1990 avec la hiérarchie d’Aide-ingénieur.

Très éloquent et patriote, cet artiste a reçu Guinéenews à son domicile situé au quartier Kissosso, dans la commune de Matoto. Découvrons ensemble Moustapha ‘’José’’ Bangoura dans son style très décontractée.

Guinéenews : certes, vous n’êtes pas de la première génération des acteurs des Ballets Africains de Guinée. Et vous avez fait le tour de quelques pays du monde avec ces ballets. Dites-nous comment vous êtes arrivé à la danse et racontez-nous votre parcours ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : Depuis ma tendre enfance, j’avais une passion illimitée pour la danse et les arts en général. Mon petit nom de ‘’José’’ est parti de cette passion que j’avais pour la danse. J’ai dansé et obtenu le trophée du meilleur danseur du quartier de Madina poste, lors des compétitions inter-comités ou PRL (Pouvoir Révolutionnaire Local) au niveau du 5ème arrondissement. Ce qui m’a d’ailleurs boosté pour m’accrocher à l’art et surtout à la danse. Avant cela, à l’école primaire, j’ai dansé au niveau de la troupe de base de Mafanco. C’est au lycée que j’ai été coopté par la troupe fédérale de Conakry 2, qui était en préparation d’un festival. Il fallait que je reste à l’internat pour préparer ce festival, et c’est ce qui a freiné mes études. En 1975, j’ai été recruté au sein des Ballets Africains de Guinée par feu Hamidou Bangoura. En compagnie des Ballets Africains de Guinée, j’ai effectué 3 fois le tour du monde et obtenu de meilleurs sacres.

Guinéenews : pouvez-vous nous énumérer quelques rôles d’acteur principal que vous avez incarné dans ces Ballets africains ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : au sein des Ballets africains, j’ai tenu de nombreux rôles d’acteur principal et de doublon dans plusieurs numéros. J’ai joué le rôle du fiancé de l’orpheline dans ‘’Sakhodougou’’ ou ‘’L’orpheline’’. J’ai aussi joué dans ‘’Wassara’’, le rôle de l’amant de la femme trompée. Plusieurs autres rôles de doublure m’ont été le plus souvent confiés en cas d’absence ou d’indisponibilité des acteurs solistes concernés. J’ai eu à remplacer feu Hamidou Bangoura dans certains rôles notamment ‘’Malissadio’’, ‘’Foret sacrée’’ et autres.

Guinéenews : quelles étaient les particularités des Ballets africains à votre belle époque ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : si je comprends bien la question, les Ballets africains, c’est l’une des plus grandes attaches mondiales des arts et de la culture. Pour preuve et pour booster les Ballets Africains de Guinée, il y a eu cette fusion entre nous et les Ballets Djoliba. Sur 35 meilleurs acteurs guinéens retenus, j’en faisais partie. C’est une particularité non négligeable. Autres faits, c’est notre visite en Angola en 1975, avec le feu Président Ahmed Sékou Touré, qui avait toujours fait de sa culture sa fierté. Il y a eu plus de 25 morts ce jour à cause des Ballets africains. Imaginez-vous, un peuple en guerre pendant plus de 50 ans dans des trous, et qui entend le son des tam-tams, malgré ces cas de mort, le spectacle a continué. Des spectateurs avec des fusils en main et autres armes de guerre, ont suivi ces Ballets Africains de Guinée en compagnie de Miriam Makéba. Ce sont encore des particularités pas des moindres à mon avis des Ballets africains de Guinée. Les temps se suivent et ne se ressemblent guère.

Guinéenews : les Ballets Africains étaient-ils une famille ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : Oui, très unis nous l’avons toujours été à l’interne. Sur le plan international, l’amitié et la fraternité nous ont toujours dominés. Le festival de 1978 par exemple, dans ce navire de plus de 2.000 artistes, dans lequel il y avait eu plein de festivaliers jusqu’à destination, il est osé de relater cette autre particularité et cette vie en famille, pour la singularité des Ballets Africains de Guinée et autres artistes guinéens, qui étaient de la partie.

Guinéenews : beaucoup d’entre vous se sont, depuis, exilés vers d’autres horizons et le nombre est important. Qu’est-ce qui vous a personnellement poussé vers cette aventure ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : en 1994, j’étais dans les Ballets quand nous avions reçu des Noirs américains, venus prendre des cours de danses. J’ai été choisi parmi 3 autres pour dispenser ces cours. À leur retour aux USA, j’ai été sollicité officiellement par ce groupe, afin de me rendre au pays de l’oncle SAM, pour assurer leurs formations. Je suis parti donc honorer ce 1er contrat de 6 mois. Et ce contrat fut à chaque fois renouvelé entre 2 et 4 ans. Pendant 21 ans, j’ai pu honorer cet engagement et à chaque année, je revenais au pays. C’est sous contrat dûment ficelé, que je suis allé aux USA. J’ai enseigné dans les universités et j’ai dispensé assez de cours pour plusieurs groupes. Si c’est une aventure, je m’en réjouis aujourd’hui.

Guinéenews : décrivez-nous vos différentes activités, plutôt comment vous menez votre à l’extérieur du pays ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : j’enseignais dans les écoles et universités en qualité de professeur de danses traditionnelles de Guinée. Ma profession d’enseignant chargé des cours de dessins industriels, a beaucoup contribué à mon perfectionnement, face aux élèves. J’assurais aussi la chorégraphie pour de nombreux groupes.

Guinéenews : quelles autres expériences avez-vous acquises pendant vos différentes tournées à l’extérieur après les Ballets Africains de Guinée ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : je dirais que c’était du donné et du reçu. J’ai beaucoup appris au fil du temps. La liaison entre la danse et la musique fut une enrichissante expérience pour moi. Il y a des phrases dans la danse (binaire, traineur) qu’il faut connaître, pour définir jusqu’où doit s’arrêter un pas de danse. À l’école, ces pas de danses se comptent et j’ai appris comment déchiffrer ces pas de danse. Il y a de nombreuses expériences que j’ai acquises dans ce domaine.

Guinéenews : peut-on connaître les raisons de votre retour au pays depuis quelques temps ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : je suis un patriote, j’aime mon pays, et c’est pourquoi je revenais chaque année. Pour preuve, je détiens toujours le passeport guinéen, et pour avoir celui américain, il faut résider en permanence pendant 5 ans. Comme vous venez de le constater, ma mère, qui est devant vous, a 103 ans, et j’ai de la famille. C’est l’une des raisons. J’ai compris aussi que j’étais en train d’exporter la Guinée, mon pays, à travers ces différents cours dispensés à l’extérieur. C’est une belle chose, et je constate qu’ici en Guinée, plusieurs ignorent notre identité culturelle, pendant qu’à l’extérieur, nos élèves savent mieux l’origine de nos danses. Le ‘’manè’’, ‘’Yoki’’, ‘’mamaya’’, ‘’doundoumba’’ et autres rythmes, que je connais et sais danser, sont méconnus par les pratiquants dans ce pays. Je joue de tous les instruments, et je me suis posé la question de savoir pourquoi ne pas rentrer chez moi, dans mon pays, pour léguer mes connaissances. C’est un devoir, je dois à ce peuple-là, et j’ai une monnaie à rendre au peuple guinéen.

Guinéenews : du coup, quels sont vos projets entamés depuis votre retour au pays ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : Depuis mon arrivée, j’ai tout d’abord rencontré les différents cadres en charge de la culture, auxquels j’ai exposé mon projet. Ils ont été très réceptifs et c’est pourquoi, aujourd’hui, je travaille au niveau de la Direction qui s’occupe des ensembles nationaux. Sur la table, j’ai demandé à ce qu’on instaure l’enseignement de la danse dans les écoles et chercher à restructurer les ensembles nationaux. Nous avons eu la chance d’avoir ce don car notre pays est immensément riche.

Guinéenews : plusieurs tournées dont trois fois le tour du monde, que retenez-vous en termes de meilleurs et mauvais souvenirs ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : le meilleur souvenir reste le fait d’avoir pu constituer à Paris, un groupe mixte composé de Guinéens, de Congolais, d’Ivoiriens, de Burkinabés, et de Sénégalais. Ce groupe fut dénommé ‘’WON TA NARA’’, et a dansé au son des rythmes guinéens sous ma direction artistique. Ma fierté fut, comme si je revoyais un autre feu Kéita Fodéba, qui a pu réunir plein d’Africains autour des Ballets africains. C’est un bon souvenir.

J’en ai plein de mauvais souvenirs, et le plus qui m’a marqué, c’est celui vécu au Mexique au temps de l’Ebola en Guinée. J’avais pris l’initiative de délocaliser le stage, à la demande d’une de mes élèves mexicaines dans son pays d’origine. Malheureusement, ce projet m’a été détourné par mon élève et en bon Guinéen, je me suis dit que cette pratique est inconcevable et on respecte le maître en somme le droit d’ainesse. C’est un mauvais souvenir.

Guinéenews : plusieurs disparitions d’artistes émérites au sein des Ballets africains de Guinée. Récemment, ce fut le rappel à Dieu du regretté Hamidou Bangoura. Quel avenir projetez-vous pour ces Ballets africains ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : avant tout, laissez-moi rendre hommage à Hamidou Bangoura et à tous ces autres émérites artistes qui m’ont guidé sur ce chemin. Sur le parcours, j’ai eu 5 grands maîtres et c’est l’occasion pour moi de les citer, de les remercier, et de prier Dieu pour le repos éternel de leurs âmes au paradis. Il y a Sékouba ‘’Wastério’’ Camara, Hamidou Bangoura, Frankis Magloire Camara, Italo Zambo, Mohamed Kémoko Sanoh. Chacun d’eux a fait de moi, dans leurs différents styles, ce que je suis aujourd’hui. Ce sont mes idoles et mes maîtres.

Pour l’avenir des Ballets africains, je suis optimiste. Il faut associer la rigueur à la discipline. Il faut renouveler encore les Ballets africains en procédant à un nouvel recrutement. Il ne faut pas plaisanter avec notre patrimoine et s’il faut sauvegarder encore notre culture à travers le monde, notre honneur à travers des tournées, je suis convaincu qu’il faut rajeunir l’effectif sans pour autant négliger la présence de cette vieille génération qui reste, et à leur vivant, la pierre angulaire. Ce niveau de recrutement doit s’embellir et ne confier cette tâche qu’aux personnes compétentes.

Guinéenews : pour la créativité, est-ce que les Ballets africains pourraient tenir encore les productions, après ces multitudes décès ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : il y a encore une ou des possibilités de créer. Car, les sujets sont abondants. Les précédents numéros ‘’Malisadio’’, ‘’Foret sacrée’’, ‘’Soundiata’’ et autres ont été tirés de simples inspirations. Il y en a plein de sujets à développer dans ce terroir guinéen et la liste est interminable. Il s’agit d’avoir de bons encadreurs et avec la volonté, on peut y parvenir. Je suis rassuré et reste très ferme là-dessus.

Guinéenews : votre regard sur l’art guinéen ?

Moustapha ‘’José’’ Bangoura : dans l’ensemble, je dirais que c’est positif. Il faudrait que l’on donne le pouvoir à ceux qui savent et connaissent le faire. Le favoritisme doit quitter nos esprits pour laisser place à la compétence. Je veux rendre la monnaie à la Guinée et à mon pays de voir ce que je peux.

 

Entretien réalisé par LY Abdoul pour Guinéenews

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