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Défaillance du système éducatif guinéen, cause, solution : le grand décryptage de l’ex-ministre Téliwel (entretien)

Ce n’est un secret pour personne en affirmant que le système éducatif guinéen est malade. Ces dernière années, l’enseignement a connu d’énormes agitations. L’éducation scolaire est rythmée par des grèves à répétition. Entre paralysie des cours et faible niveau des élèves, d’une part, le manque d’infrastructures et le déficit d’enseignements dans les zones rurales ou encore le faible taux d’admission des candidats aux examens nationaux, d’autre part, le système éducatif guinéen serait-il dans un infernal cycle « d’échec » renouvelé ?  En tout cas, les événements de ces dernières années ont mis à nu la gangrène qui ne cesse de ronger ce système.

La réalité donne le tournis. Et pourtant, l’éducation devrait être au centre des préoccupations car, l’avenir de la Guinée en dépend.  » Un enfant mal instruit est plus loin de la sagesse qu’un enfant qu’on n’a point instruit du tout », disait Jean-Jacques Rousseau. C’est pour dire combien il est important de faire de l’éducation la priorité des priorités pour une Guinée émergente. Et pour ce faire, il faut une ressource humaine bien formée. Une élite très bien instruite. Et cela n’est possible qu’avec un système éducatif solide et une formation de base bien réussie.

L’ancien ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique a accepté volontiers de livrer à votre site électronique Guinéenews son point de vue par rapport à cette situation. (Crédit photos page facebook). Lisez l’entretien !

Guinéenews: vous avez été ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. A ce titre, quel regard portez-vous aujourd’hui sur le système éducatif guinéen ?

Baïlo Téliwel: mon regard n’est pas singulier. Rappelez-vous que l’année dernière, le président de la République avait posé son diagnostic à travers cette formule : « l’école guinéenne est malade ». Et pour apporter des solutions idoines, il avait mis en place une Commission Nationale pour la Réforme de l’Education (CNRE). Cette commission a posé un diagnostic exhaustif et sans concessions, relevant une série impressionnante de faiblesses et de dysfonctionnements qui expliquent la faible efficacité et la faible efficience du système éducatif guinéen. La CNRE a ensuite formulé des recommandations pour l’immédiat, à court, moyen et long termes pour y faire face. Cette commission n’a pas été la seule à aller dans cette direction. Si vous lisez les rapports des différents niveaux de l’administration scolaire, vous y retrouverez peu ou prou le même diagnostic, et les mêmes recommandations. De même que dans les études des partenaires du secteur de l’éducation, notamment de la Banque Mondiale, de l’UNICEF et des ONGs internationales comme Aide et Action et Plan Guinée…

Les faiblesses du système éducatif guinéen sont à divers niveaux et sont déterminées par de nombreux facteurs d’ordre stratégique, institutionnel, fonctionnel et même de vision. Il est impossible d’en faire un décompte ici. Mais je considère qu’au cœur de tous les problèmes, se trouvent deux relations essentielles : la relation du maître et de l’élève dans la classe et, d’autre part, la relation de l’école d’avec son environnement. À mon avis, ce sont les deux portes d’entrée qu’il faut examiner pour poser les problèmes et trouver des solutions.

Guinéenews : depuis quelques années, le taux d’admission aux examens nationaux est en baisse. Comment expliquez-vous cette régression ? A qui faut-il imputer la responsabilité ?

Baïlo Téliwel : l’admission et le taux qui le chiffre sont les résultats d’un système et d’un processus qui est bien antérieur à l’examen. Les facteurs qui les déterminent opèrent durant non seulement l’année scolaire de l’examen, mais même bien avant. Et je le répète, ces facteurs relèvent en dernière instance, de la relation de l’enseignant aux élèves et de l’école à son environnement. Ils concernent les équipements, les infrastructures, la pédagogie, la qualité de l’administration, les activités scolaires et extra scolaires, l’encadrement parental et social, les politiques éducative, sociale et économique, les comportements, notamment des élites etc. Lorsqu’il y a des défaillances, il faut interroger tous ces facteurs et tous les acteurs qui les portent, chacun avec des rôles et des responsabilités différentes mais partagées. Ceci étant, encore une fois, le plus important n’est pas la régression des taux d’admission mais bel et bien la régression de la qualité de l’enseignement. Les deux ne sont pas totalement superposables. Vous pouvez avoir des taux élevés d’admission, qui ne reflètent pas nécessairement une amélioration de la qualité de l’enseignement.

Guinéenews : selon vous que faut-il pour rehausser le niveau du système éducatif ?

BaïloTéliwel: il y a des rapports là-dessus avec de nombreuses recommandations adressées aux différents acteurs. Certaines d’entre-elles sont en cours de mise en œuvre, d’autres, non. Mais ce qui me semble évident, vu l’état dégradé du système qui date de plusieurs décennies, il faudra encore du temps, beaucoup d’efforts et un plus grand sens de responsabilités partagées pour inverser durablement cette tendance. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une concertation sur les responsabilités partagées et d’une plus grande incrustation de l’école dans son milieu pour voir comment chacun peut agir sur les facteurs de qualité.

Guinéenews: cette année, il n’y a quasiment pas eu de  candidat au baccalauréat à Lélouma, votre préfecture d’origine. Qu’est-ce qui explique, selon vous, cette situation ? Comment expliquez-vous cet état de fait ?

Baïlo Téliwel : comme je te l’avais dit, je n’aime pas me prononcer sur des situations pour lesquelles je ne dispose pas suffisamment d’informations. J’ai échangé avec des responsables locaux, régionaux et nationaux sur ce point, mais, par honnêteté et rigueur intellectuelles, tant que je ne participerai pas à un échange plus formel et pluri-acteur, je ne saurai proposer une explication satisfaisante. Je compte me rendre à Lélouma courant septembre et alors je pourrai m’entretenir plus en profondeur avec les élèves et les enseignants, mais aussi avec les parents d’élèves. Car, une telle décision est d’abord de la responsabilité des parents. Il faudra également connaître les données dont dispose l’administration scolaire et l’analyse qu’elle fait de la situation. Et puis, il y a les élus, car la mairie a un certain droit de regard sur l’école. Les causes doivent d’abord être trouvées dans le système lui-même tel qu’il fonctionne à Lélouma, puis parmi les facteurs spécifiques à Lélouma – pourquoi Lélouma et non pas Koubia ou Mali par exemple ? Suite à cela, si tout le monde l’accepte, on pourra organiser une rencontre au cours de laquelle on pourra objectivement analyser la situation, en croisant les différents points de vue et surtout répondre à la question « que faire ? », en situant les rôles, les ressources à mobiliser, le suivi etc. Peut-être qu’une bonne partie de ce travail, sinon la totalité, a déjà été effectuée, je ne sais pas, mais je compte apporter ma contribution.

Guinéenews: Lélouma est citée parmi les plus grands foyers de départ des jeunes pour la migration clandestine. Est-ce que cela explique cet « échec » du système éducatif ?

Baïlo Teliwel : à ma connaissance, bien même avant notre accession à l’indépendance, Lélouma a été un grand foyer d’émigration vers les pays voisins, puis plus tard vers d’autres pays africains et d’ailleurs. Alors, comme pour beaucoup d’autres pays, les différentes mesures de fermeture des frontières par les pays de destination, les crises économiques et sociales tant à l’échelle nationale qu’internationale, ont créé et exacerbé des situations et des occasions de migration clandestine vers l’Europe spécialement.

Cependant, le lien entre ce phénomène et ce que tu appelles « l’échec » du système éducatif ne me semble pas direct. Il ne faut pas se cantonner aux facteurs « externes », mais il faut voir d’abord les déterminants internes du système.

Guinéenews : selon vous où se situe le nœud gordien de cette problématique liée à l’éducation à Lélouma?

Baïlo Teliwel : je te renvoie à mes réponses précédentes. Il faut analyser la relation entre les enseignants et les élèves. De là, tu peux toucher le recrutement, la formation, l’expérience des enseignants, la pédagogie qu’ils pratiquent, les ressources dont ils disposent, leurs motivations etc. Et du côté des élèves, les effectifs, leurs motivations et ce qu’ils attendent de l’école, leur environnement intellectuel et social au sein de l’école, dans les familles, dans la communauté etc. Si tu prends tout cela en compte, tu trouveras les maillons te permettant de tirer toute la chaîne.

Guinéenews : et les parents, les élèves, les autorités à tous les niveaux dans cette situation ?

Baïlo Téliwel : pour arriver à une solution efficace et durable, il faudra dépasser les ambitions personnelles, les passions et les rancœurs des uns et des autres, pour mettre en avant d’abord les intérêts des enfants.

Guinéenews : que faut-il aujourd’hui pour redorer le blason du système éducatif guinéen ?

Baïlo Teliwel : j’ai été, je suis et, Inch’Allah, jusqu’à la fin de ma vie terrestre, je resterai un enseignant. Je m’y investis par vocation, avec la tête et le coeur. C’est avec les enfants et les jeunes que je me sens le plus moi-même et, durant toute ma vie professionnelle, j’ai essayé de contribuer à leur formation autant que je le peux. Ministre-parrain de Lélouma, j’avais obtenu du Président Alpha Condé puis de nombreux autres membres du gouvernement et d’amis personnels des appuis conséquents pour la mise en place d’un Centre de Renforcement de Capacités (CERCLE), avec des infrastructures disposant de ressources importantes, notamment informatiques et audiovisuelles et de livres. L’un des objectifs de ce centre était d’appuyer les acteurs du système éducatif en vue d’améliorer la qualité de l’enseignement à Lélouma. Il y a aussi l’Initiative Présidentielle de Connectivité dans les Ecoles dont a bénéficié Lélouma. Ces dispositifs de TIC appliqués à l’enseignement sont un formidable outil pour permettre aux élèves, aux enseignants et à leurs parents d’exploiter d’innombrables ressources pédagogiques, scientifiques, techniques et culturelles disponibles sur le net, et d’opérer ainsi un véritable saut qualitatif dans l’avenir. Aujourd’hui encore, je reste convaincu que c’est l’outil privilégié pour combler le plus rapidement possible notre retard, pour un enseignement de qualité à tous les niveaux et dans toutes les filières, et avec beaucoup moins de frais. Après les difficultés rencontrées à Lélouma, j’ai repris l’expérience du CERCLE, à une échelle beaucoup plus faible, à Popodara, dans notre ferme familiale. Malgré quelques difficultés, le projet démarre assez bien et je suis optimiste pour son avenir.

Guinéenews : votre mot de la fin ?

Baïlo Teliwel : que chacun, quel que soit son statut, son niveau, son obédience politique ou religieuse, réponde honnêtement, en toute responsabilité, à la question « que faire ? », et plus précisément « que vais-je faire pour Lélouma, pour mon pays » et qu’il s’y engage sans faux-fuyants.

 Entretien réalisé par Abdourahame Barry pour Guinéenews©

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