« Nous ne disposons pas de données statistiques fines, mais il serait intéressant de savoir combien de fois, les occurrences « constitution », « alternance », « opposition », « président Alpha Condé », « mandat 2020 » ou « FNDC » sont reprises par jour dans les contenus sur la toile. Le second point, c’est ce qu’il convient de nommer « l’intellectualisation du débat » qui se manifeste par la contribution au sujet de praticiens de droit et d’universitaires. Au-delà des prises de position des uns et des autres, ces joutes heuristiques ont le mérite d’éclairer plusieurs pans de la question. Partant, les protagonistes des deux camps mobilisent systématiquement dans les échanges, notamment sur la toile, des arguments mis dans le débat par les professionnels du droit. »
Kabinet Fofana, est jeune guinéen qui commente l’actualité guinéenne et africaine. Politologue, il est président de l’Association Guinéenne de Sciences Politiques qui mène des enquêtes d’opinion auprès des populations. D’ailleurs, il a accepté d’être l’un des chroniqueurs politiques de votre quotidien électronique Guinéenews©.
Dans l’interview qui suit, il a bien voulu aborder sa contribution dans le débat relatif à la Constitution qui défraye la chronique dans la cité. Lisez !
Guinéenews© : Vous êtes analyste politique et commentateur de l’actualité guinéenne et africaine dans la presse internationale, alors que vous inspire le débat sur la constitution en Guinée ?
Kabinet Fofana : Merci de l’opportunité que vous m’offrez pour m’exprimer sur l’actualité relative à la constitution. Il faut dire que depuis l’entame de cette année, le débat sur la constitution s’impose comme le principal sujet dans l’espace politico-médiatique guinéen. Il oppose les tenants d’une nouvelle constitution et les défenseurs de la constitution de mai 2010. Si pour les premiers, l’adoption d’une nouvelle constitution permet de corriger les quelques scories de la constitution actuelle dont le principal grief qui est son mode d’adoption (NDLR : adoptée sans référendum) ; pour les autres, réunis au sein du Front National de la Défense de la Constitution (FNDC), il n’est aucunement opportun d’adopter une nouvelle constitution au seul dessein selon eux que cette démarche est anticonstitutionnelle et qui n’aurait qu’une seule visée politicienne : offrir un nouveau mandat au président sortant Alpha Condé.
La prépondérance du sujet dans l’espace public se traduit aussi bien dans les débats sur les réseaux sociaux que dans les discours politiques. Je ne rappellerai pas dans cette entrevue le dissensus que cela pose au sein de la classe politique. En revanche, je m’attacherais à observer et à analyser certains aspects dudit débat, notamment la mise à contribution des réseaux sociaux dans la mobilisation. A ce niveau, évoquons deux points principaux : Le premier tient à la prédominance du sujet sur les moteurs de recherche. Nous ne disposons pas de données statistiques fines, mais il serait intéressant de savoir combien de fois, les occurrences « constitution », « alternance », « opposition », « président Alpha Condé », « mandat 2020 » ou « FNDC » sont reprises par jour dans les contenus sur la toile. Le second point, c’est ce qu’il convient de nommer « l’intellectualisation du débat » qui se manifeste par la contribution au sujet de praticiens de droit et d’universitaires. Au-delà des prises de position des uns et des autres, ces joutes heuristiques ont le mérite d’éclairer plusieurs pans de la question. Partant, les protagonistes des deux camps mobilisent systématiquement dans les échanges, notamment sur la toile, des arguments mis dans le débat par les professionnels du droit.
Guinéenews© : A votre avis, qu’est-ce qui explique la prépondérance du sujet de la constitution dans l’espace public ?
Kabinet Fofana : D’une manière générale, quand une actualité est portée par les acteurs politiques donc dans les discours politiques, celle-ci est abondamment commentée par la presse et largementreprise sur la toile. Le phénomène de viralisation aidant, une actualité suffisamment commentée sur la toile peut aussi se retrouver à la une chez les journalistes. Ceci répond à une double logique liée d’une part, à la hiérarchisation des informations dans les médias qui sont plus friands de sujets à sensation comme ceux liés à la politique politicienne et de l’autre, à l’intérêt des internautes guinéens pour la politique – les forums qui s’y intéressent sont les plus suivis.
Plus particulièrement, la question des mandats politiques reste très commenté dans l’espace public (cela n’est pas spécifique à la Guinée). La raison étant qu’à mesure que nous nous acheminions vers la fin du deuxième et dernier mandat du président de la République, la question prendra de la place dans le débat politique. De plus, l’implication des acteurs de la société civile et de citoyens engagés, se prévalant d’une autre forme de légitimité, sur la question amplifie le phénomène et participe du nouveau dimensionnement du sujet en ce sens que la revendication va au-delà de la classe politique. D’ailleurs, la question de la légitimité et de l’adhésion de la majorité du « peuple » guinéen à cette problématique constitutionnelle reste sans réponse pour l’heure.
Guinéenews© : Justement, récemment chez nos confrères de Radio Espace, vous parliez de l’absence de baromètre de mesure de l’opinion dans le débat sur la constitution. De quoi est-il question ?
Kabinet Fofana : Effectivement, nous avons évoqué l’absence de mesure de l’opinion en Guinée. De manière plus générale, au-delà de la question sur la constitution, notre pays souffre de l’absence d’instances permettant de comprendre le pouls et les perceptions de l’opinion sur différents sujets. On peut affirmer ici que notre pays ne connaît pas encore la culture des sondages bien que des choses bougent timidement depuis quelques années. Par exemple, l’Association Guinéenne de Sciences Politiques, dont je suis le président, mène avec un certain succès des enquêtes auprès des populations. Le public guinéen n’est pas réfractaire aux sondages sauf qu’il est très peu sollicité malheureusement. Je rappelle qu’une enquête d’opinion permettrait par exemple d’appréhender l’imprégnation du débat de la constitution par la population, puisque rien ne prouve de nos jours que le plus grand nombre de nos compatriotes soit autant préoccupé par la constitution que par des sujets du quotidien comme le pouvoir d’achat, l’insécurité ou même les pluies diluviennes que Conakry enregistre depuis le début du mois d’août.
La démarche présente aussi l’avantage d’avoir les perceptions des populations et surtout d’éviter la manipulation de l’avis du peuple par un quelconque camp dans le débat encours. J’aime à prendre l’exemple du mouvement des Gilets Jaunes en France qui, malgré le nombre relatif de personnes mobilisées, a impacté et fait bouger le gouvernement du Président Macron et d’Edouard Philippe, grâce au soutien de l’opinion. Vous comprenez donc toute la pertinence et la place de la mesure de l’opinion publique dans le débat public.
Guinéenews© : Alors, une telle étude doit être menée par les partis politiques ou le gouvernement ?
Kabinet Fofana : Disons que n’importe quelle organisation peut commanditer une étude d’opinion. Qu’il s’agisse du gouvernement, des partis politiques pour par exemple savoir des intentions de vote des citoyens. Même les médias peuvent aussi commander des études pour une meilleure compréhension d’une actualité politique.
Cependant, une étude sur les perceptions des populations de la question de la constitution en raison de son caractère clivant aurait plus de crédibilité si elle est plutôt réalisée par une organisation indépendante.
Guinéenews© : Le think tank l’Association Guinéenne de Sciences Politiques dont vous dirigez compte-t-il porter une telle initiative ?
Kabinet Fofana : Justement, nous sommes en discussion avec des organisations auprès desquelles nous avons sollicité des financements pour la réalisation d’une étude nationale d’envergure sur les perceptions des populations sur le projet d’établissement de la nouvelle constitution.
Nous nous sommes depuis 2010 inscrits dans la logique de produire des études d’opinions. La dernière en date a été une étude sur les attentes et les priorités locales en vue des élections municipales, étude financée par l’Union Européenne.L’ensemble de nos productions sont accessibles à tous parce que pour nous, il faut non seulement renforcer les données sociologiques et politiques en Guinée mais arriver à l’institution « d’instances de crédibilité » dans notre pays. Et c’est à cette entreprise que nous nous sommes attelés il y a de cela plusieurs années. Nous restons ouverts à toute collaboration allant dans ce sens.
Propos recueillis par Sekou Sanoh.