A peine installée, la nouvelle Assemblée nationale, vivement contestée par l’opposition qui ne la reconnaît pas, vient de donner au président de la République, l’immense pouvoir de légiférer par voie d’ordonnances dans certaines matières relevant du domaine de la loi.
Ceci, en vertu de la nouvelle Constitution, aussi contestée par l’opposition avec la même vigueur que l’Assemblée nationale, mais promulguée par le président de la République.
Ce nouveau pouvoir vient s’ajouter à d’importants entre autres pouvoirs réglementaires qu’il tient du régime présidentiel guinéen. C’est l’un des plus forts du monde, en termes de pouvoirs pour l’exécutif, sans oublier les récentes révisions des lois sur la cour constitutionnelle et la Haute autorité de la communication (HAC), qui donnent au président de la République le pouvoir de nommer le président de cette cour, et à la HAC les moyens supplémentaires pour contrôler les médias audiovisuels.
Le pouvoir exécutif sort ainsi plus que jamais renforcé des récentes réformes constitutionnelles du pays et prend nettement l’avantage sur les autres pouvoirs législatifs et judiciaires.
Plus clairement, en dehors des lois sur l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, sur les finances de l’État et sur le statut des personnes, le président Condé dispose désormais du pouvoir de légiférer, à compter du 5 juillet 2020, sur tous les autres domaines qui relèvent de la compétence du parlement. Et ceci pendant les trois prochains mois qui correspondent aux vacances parlementaires.
Après trois mois, les ordonnances signées par le président de la République doivent être ratifiées par les députés pour garder définitivement une valeur législative. La procédure est connue en France pour accélérer les réformes. Mais en Guinée, c’est la première fois qu’en période de normalité institutionnelle, qu’un tel pouvoir soit donné à un président. En 24 ans de règne, et malgré les attaques rebelles contre la Guinée en 2000, Lansana Conté n’a pas obtenu un tel privilège alors que le parlement lui était acquis.
Il est certes arrivé, en absence d’une Assemblée nationale, moment de prise de pouvoir par l’armée le 3 avril 1984 avec le général Lansana Conté et le 23 décembre 2008 par le capitaine Moussa Dadis Camara, que ces deux chefs de l’exécutif légifèrent par voie d’ordonnances. Mais, le pays était en période d’exception, d’anormalité institutionnelle, il n’y avait pas d’Assemblée nationale même si le conseil national de la transition avait été créé pour jouer le rôle de parlement.
Dans le contexte actuel de normalité institutionnelle, déjà que le président de la République dispose d’importants pouvoirs au regard de la nouvelle Constitution, la question se pose de savoir, de quels autres pouvoirs a-t-il encore besoin et pour quelles fins ?
Il faut donc s’attendre à une avalanche d’ordonnances gouvernementales avant la fin de cette année et qui interviendra, sans débats parlementaires. Cet extraordinaire renforcement du pouvoir exécutif intervient dans un double contexte de crise politique liée à la possible présentation du président Condé pour briguer un troisième mandat de 6 ans, et sanitaire, elle, liée au coronavirus, obligeant les populations au respect de l’état d’urgence décrété par le gouvernement.
A l’approche de la fin du deuxième mandat présidentiel et avec la multiplication des faits accomplis du président de la République, on se demande comment l’opposition politique, pourra empêcher le parti au pouvoir d’atteindre ses objectifs, lorsqu’on sait que la communauté internationale est plus que jamais divisée sur l’appréciation de l’évolution politique de la Guinée ? La Chine, la Russie, l’Algérie et l’Égypte étant favorables au pouvoir en place, et les USA, la France, et l’Union européenne étant plus sensibles aux revendications de l’opposition politique.
Un schéma aussi confus, mettant en jeu les intérêts des uns et des autres, ne fait qu’augmenter dans les prochains mois, les risques de confrontation entre les populations qui sont en désaccord complet sur le mode de gouvernance de leurs pays : la Guinée.
En somme, donner de nouveaux pouvoirs législatifs à un président déjà très fort surtout qui ressort du domaine de compétence du parlement, c’est non seulement affaiblir les institutions qui sont moins efficaces et budgétivores mais aussi c’est tuer la jeune démocratie guinéenne qui a du mal à s’ancrer en République de Guinée. D’où la première vraie boutade de la nouvelle assemblée, décriée et rejetée par l’opposition guinéenne.