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Crise post-électorale en Guinée : Penser l’avenir à la lumière des faits vécus

Après une crise il y a toujours un moment de relaxations, d’essoufflements, après lequel on redessine la carte de l’avenir si ce n’était pas déjà fait ou alors on met le plan de l’avenir à exécution si l’on avait bien pris soin de l’élaborer à l’avance. Dans le premier cas, on risque de se confronter à des situations imprévues, à des évènements incertains qui pourraient conduire à des choix similaires ou même pires que ceux qui préexistaient à la crise.

C’est par exemple ce qui s’était produit en 1984 après la mort du président Sékou Touré le 26 mars, où la fin du règne du parti-État, improprement nommé Parti démocratique de Guinée (PDG) a été suivi une semaine plus tard par la prise du pouvoir par le « Comité militaire de redressent national – CMRN » dans un contexte de traumatisme et de surprise totale de l’appareil d’État mais aussi de la société dans son ensemble, qui n’ont pas réussi à prévoir à l’avance ce qui devait être fait. Aussitôt après, le CMRN s’engage à créer « les bases d’une véritable démocratie évitant à l’avenir toute dictature personnelle ». Cependant, malgré cette déclaration solennelle, tout le monde sait comment la Guinée a ensuite été gouvernée durant les 24 années suivantes, même si, il faut le signaler, ce régime militaire a le mérite d’être à l’origine de l’ouverture du pays au multipartisme et à une certaine forme de démocratie libérale loin des « repères universels » connus.

C’est aussi un scénario semblable que nous avons connu après le décès du général Lansana Conté en 2008, qui a été l’occasion une fois encore pour un groupe d’officiers militaires sous le drapeau du « Conseil national pour la démocratie et le développement – CNDD » de s’emparer du pouvoir quelques heures seulement après l’annonce de la mort de Conté. Comme le CMRN, le CNDD s’était lui aussi engagé à faciliter la transition en permettant d’organiser rapidement les élections auxquelles, promettait-il, « aucun membre du CNDD ni du gouvernement de transition » ne sera candidat et de céder ainsi le pouvoir à un gouvernement civil par la voie des urnes. Cette déclaration solennelle a été réaffirmée par le chef de la junte lui-même, en la personne du capitaine Moussa Dadis Camara devant le Groupe International de Contact pour la Guinée (GIC-G) lors de sa première réunion tenue le 16 février 2009 à Conakry. À noter que ce groupe a été créé à l’initiative de la Commission de l’Union africaine en vue d’assurer une transition apaisée en Guinée.

Pourtant, au grand désespoir de la population et des parties prenantes, ces promesses ne seront malheureusement pas tenues, car bientôt la veste se retourne et le capitaine Dadis fait savoir son intention de se présenter candidat à l’élection présidentielle de 2010. Le coup de grâce à la transition apaisée en Guinée est finalement donné en présence du GIC-G lors de sa sixième session tenue les 3 et 4 septembre 2009 à Conakry, où le capitaine Dadis prend la parole et exprime clairement son intention en disant : « Je vais me présenter parce que tout le peuple me le demande. Si je ne le fais pas, je risque de perdre la confiance du peuple ». Cette déclaration aura des conséquences historiques pour la Guinée, puisque le 28 septembre de cette année-là, environ 157 guinéens payeront de leur vie pour avoir dit non à la candidature de Dadis, sans compter les nombreux blessés et les viols commis sur les femmes. Il aura fallu attendre un incident inattendu entre le chef de la junte et son aide de camp en la personne d’Aboubacar Sidiki Diakité alias Toumba pour que son désir de réaliser son rêve de devenir « président élu » se dissipe dans la stratosphère.

En définitive, on peut dire qu’aucun des deux premiers chefs d’État guinéens (Sékou Touré et Lansana Conté) n’avait voulu un seul instant céder le pouvoir de son vivant ou prendre simplement sa retraite, encore moins penser à l’après sa mort en s’assurant de laisser derrière lui un pays stable, en paix et en sécurité. Leur manque de clairvoyance et leur insouciance pour l’intérêt de la nation ont conduit à chaque fois le pays dans le chaos en contribuant à y installer un régime qui ne répond pas aux aspirations de la population et qui est aussi autoritaire que les leur. De même, l’insouciance du capitaine Dadis pour l’intérêt collectif et son désir de saisir une opportunité tombée du ciel pour en faire un moyen de légitimation de son goût pour le pouvoir l’ont conduit à exposer la vie d’autrui et sa propre vie au danger. Ces trois exemples montrent que la période de crise doit être un moment opportun à saisir pour penser l’avenir, pour concevoir les meilleures stratégies qui permettront de changer ce qui était considéré comme la cause profonde de la crise afin d’améliorer la vie collective.

L’ère Alpha Condé et perspectives d’avenir

Après une transition militaire tumultueuse conduite par le Général Sékouba Konaté, les guinéens parviennent néanmoins à élire leur président en la personne d’Alpha Condé suite à un scrutin très disputé dont le premier tour se tient le 27 juin 2010 et le second le 7 novembre suivant. Ainsi, l’homme qui est considéré par beaucoup comme l’opposant le plus coriace aux régimes guinéens précédents finit par occuper la fonction qu’il avait tant chérie et pour laquelle il avait tant lutté. C’était un rêve accompli pour l’homme mais aussi un espoir nourri par des millions de guinéens de tourner enfin le dos à leur passé dramatique et de rentrer dans une ère nouvelle de leur histoire, celle de la liberté, du droit et de la justice. Cependant, contre toute attente, après avoir exercé deux mandats constitutionnels qui lui étaient dévolus, le président Alpha a, à son tour, souhaité en faire plus. S’en suivront alors contestations, répressions, morts d’hommes et abus de tous genres. Le peuple aura tout fait, cela n’aura fait qu’endurcir le président dans sa détermination d’aller jusqu’au bout de sa volonté.

À ce jour, cette détermination est à son comble. Le pays est doté maintenant d’une nouvelle Loi fondamentale, bon gré mal gré l’élection présidentielle a eu lieu et Alpha Condé est provisoirement déclaré vainqueur par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dès le premier tour du scrutin du 18 octobre dernier. Depuis bientôt une semaine, le principal adversaire politique du président est retenu prisonnier chez lui, privé de son droit et liberté d’aller et de venir. Pendant ce temps, le pays est plongé dans le chaos. Des manifestations de rue violemment réprimées par les forces de police et les gendarmes se poursuivent. L’administration publique est en ralentissement. Le réseau Internet est coupé. Même la CENI qui a organisé et arbitré le processus électoral est en décomposition. Samedi dernier, deux de ses commissaires (Marie Hélène Sylla et Diogo Baldé) se sont retirés des travaux de totalisation des résultats du vote, ils dénoncent « de graves anomalies constatées dans la procédure de totalisation des résultats ». De plus, les commissaires de la CENI dénoncent dans une déclaration conjointe signée par le Vice-président Mamadou Bano Sow, des « anomalies importantes dans les opérations de centralisation des résultats »qui mettent gravement en cause la crédibilité du scrutin.

Bref, l’après 18 octobre reste encore pour les guinéens un moment de terreur et d’insécurité. Face à ce constat, quelles dispositions le président en exercice devrait-il prendre maintenant afin d’éviter au pays les mêmes scénarios que nous avons décrits plus haut concernant l’après Sékou Touré et l’après Lansana Conté ?

En vérité, dans un souci de préservation de la paix, de la stabilité et de la sécurité collective et au vu des incohérences rappelées plus haut dans le processus électoral passé, le président de la république rendrait un immense service à son pays et à sa population en acceptant de suivre les recommandations formulées dans la déclaration des commissaires de la CENI qui invitent à reprendre le scrutin. Ensuite, considérant le fait que la CEDEAO et l’Union africaine sont deux entités dont la présence en tant qu’observateurs et médiateurs du processus électoral en Guinée est largement critiquée par l’ensemble des partis d’opposition et la société civile, il sera fortement bénéfique aux différents camps litigieux que l’organisation et l’arbitrage du scrutin soient confiés désormais à une instance extracontinentale totalement neutre, suffisamment transparente et crédible et dotée de moyens puissants de coercition afin d’être capable non seulement d’assurer la sécurité, la transparence et la crédibilité du vote mais aussi de faire accepter ses résultats à toutes les parties.

Ce faisant, le chaos qui anime actuellement l’espace publique en Guinée se dissiperait, le calme reviendrait plus vite et le pays connaîtrait l’alternance démocratique dans la paix et la joie. Nul sera alors blessé ni tué ni injustement retenu prisonnier. Ce sera la paix totale, ce sera le temps du rassemblement, ce sera un nouveau départ pour la Guinée de demain.

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