Par Youssouf Sylla, analyste.
La Guinée, la Côte d’Ivoire et le Mali, tous pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la Cedeao, traversent des crises politiques majeures qui affectent la sécurité, la paix et la démocratie en leur sein, et plus généralement dans la sous région.
Auparavant des colonies françaises, chacun parmi ces pays sollicite, à travers les forces en opposition en son sein, soit directement, soit indirectement, une prise de position de la diplomatie française dans ses affaires internes. Chaque partie prenante de la crise souhaite que la France conforte sa position. La junte militaire au Mali entend faire légitimer son coup de force par Paris, tandis qu’en Guinée et en Côte d’Ivoire, les présidents Alpha Condé et Alassane Ouattara, qui se sont donné, à travers la modification de leurs constitutions respectives, la possibilité de briguer un troisième mandat, espèrent compter sur la sourde oreille de la France, considérée, comme une approbation tacite de leurs démarches.
En ce qui concerne, les opposants à ces deux présidents, ils espèrent à leur tour, que la France, pays des droits de l’homme, qualifie de deni de démocratie et de justice, les traitements dont ils font l’objet.
Cette sollicitation pressante de la France par l’un ou l’autre acteur des crises politiques internes en cours, est le signe clinique de la survivance dans les pays en cause, malgré leur indépendance, de la mentalité de colonisé.
Malgré cette sollicitation, la France, dans un contexte d’absence de prise de position claire de la Cedeao et de l’Union africaine sur l’épineuse question du troisième mandat, mise sur une ligne diplomatique neutre. Elle ne veut fâcher personne et surtout, prend garde de ne pas apparaître comme un pays donneur de leçon, prompte à interférer dans les affaires intérieures des États. Il y a clairement là des signes manifestes de lassitude face aux pays qui font tout pour ne pas pacifier le climat politique en leur sein.
Ainsi, la France utilise un langage diplomatique, duquel il est difficile de dégager sa position exacte dans les crises politiques qui secouent les pays en cause. En effet, la diplomatie française d’une part, exhorte les pouvoirs publics en place à respecter les droits humains, ce qui est une manière pour elle de se montrer solidaire des plaintes des opposants. D’autre part, elle invite les pouvoirs publics, à organiser des élections inclusives et transparentes, donnant ainsi à ces pouvoirs le gage d’une future collaboration, s’ils s’en sortent indemnes du bras de fer qui les opposent à leurs adversaires. C’est aussi pour la France une manière de se montrer respectueuse de la souveraineté nationale des États africains.
Toute cette démarche trouve son ancrage dans le discours d’Emmanuel Macron prononcé le 28 novembre 2017 à l’Université de Ouagadougou. Il a dit ceci à propos des conflits politiques en Afrique : « Je suis d’une génération où on ne vient pas dire à l’Afrique ce qu’elle doit faire, quelles sont les règles de l’Etat de droit mais où partout on encouragera celles et ceux qui en Afrique veulent prendre leurs responsabilités, veulent faire souffler le vent de la liberté et de l’émancipation comme vous l’avez fait ici ». Plus loin, il poursuit « Le président de la République française n’a pas à expliquer dans un pays africain comment on organise la Constitution, comment on organise des élections ou la vie libre de l’opposition. Je n’attends d’ailleurs pas cela d’un président africain pour ce qui concerne l’Europe ».
On est loin, du discours prononcé par François Mitterrand lors du sommet Franco-Africain de la Baule de 1990, où pour la première fois dans la coopération franco africaine, l’aide publique était liée à la démocratisation des Etats africains. En substance, Mitterrand disait ceci : « La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté ; Il y aura une aide normale de la France à l’égard des pays africains, mais il est évident que cette aide sera plus tiède envers ceux qui se comporteraient de façon autoritaire, et plus enthousiaste envers ceux qui franchiront, avec courage, ce pas vers la démocratisation… ».
A cause des orientations diplomatiques du président E. Macron, la France, ne veut plus apparaître desormais comme le gendarme dans le territoire de ses anciennes colonies, car cette posture est économiquement intenable, compte tenu de son coût financier. Mais aussi sur le plan politique, il est imprudent pour la France de s’engager à fond dans les affaires de ces pays, compte tenu de la versatilité de leurs opinions publiques sur la question. La France semble être aussi face à un dilemme: qui soutenir, lorsque dans certains cas, les opposants démocrates d’hier, deviennent des « autoritaires » une fois au pouvoir.
De plus, comprenant l’intransigeance des pouvoirs publics de ne pas faire demi-tour dans leurs projets de promouvoir un troisième mandat, un engagement français aux côtés des oppositions, risque probablement à ses yeux, de rajouter à la crise et de compliquer son dénouement.
Ainsi, selon les conclusions qu’on peut tirer du discours du president Emmanuel Macron à Ougadougou, le respect de la démocratie et des droits de l’homme en Afrique de l’Ouest ne figurent pas dans l’agenda diplomatique français, comme étant des priorités.
Ce qui semble préoccuper la France par dessus tout, c’est la stabilité de la sous-région et la poursuite de bons rapports de coopération économique, peu importe la nature des régimes en place.
Tout ceci révèle ou plutôt confirme le statut d’Etat défaillant des pays africains en crise. Ces pays affichent au monde leurs incapacités notoires de vivre dans un État de droit, respectueux des droits humains et offrant la possibilité d’une alternance au sommet de l’Etat. Ils ne font que confirmer de cette manière, la triste image véhiculée par les médias occidentaux sur l’Afrique : un continent ravagé par les guerres, la dictature et la violation des droits de l’homme.