Le jeune cadre Alassane Ly a perdu l’âme ce mardi au CHU de Donka où il avait été admis quelques heures plutôt dans la salle de réanimation du centre de traitement de Covid19. Selon des sources familiales, il aurait perdu la vie lorsqu’on lui a débranché l’appareil respirateur. Une information qui a suscité une vive indignation sur la toile. Ce mercredi après-midi, Guinéenews a joint son épouse, inconsolable du côté d’Atlanta aux États-Unis où elle réside avec leurs deux filles, âgées respectivement de 13 et 7 ans. En attendant, la version officielle des autorités sanitaires, nous vous proposons le témoignage de Mme Ly Tahibou Diallo.
Sa dernière rencontre avec sa famille
« Mon mari a donné sa vie pour ce pays, j’ai tout fait pour le retenir ici, mais à chaque fois il me répond, tout le monde ne doit pas fuir le pays. On doit développer notre pays. On sort pour étudier et aller servir notre pays, il faut que ce pays bouge, et pour ça, il faut qu’on ramène notre connaissance et expertise obtenues à l’étranger, chez nous. Je suis conscient qu’une seule personne ne peut pas tout faire, mais si un essaye, il y aura certainement d’autres qui vont suivre. Et voilà, il est rentré.
Il a quitté ici (États-Unis, NDLR) le 09 février et il devrait revenir en avril. Il avait promis à sa dernière fille de revenir et de rester. Depuis qu’il a commencé à voyager, c’est la première fois qu’on a pleuré après l’avoir accompagné à l’aéroport. Il nous a taquinées, en disant mais pourquoi vous pleurez vous les vilaines filles, mais ne pleurez pas, c’est promis je reviens bientôt. Et effectivement, il devait rentrer en avril. Quand ils ont fermé les frontières aériennes, il a dit à sa fille, Binta ce n’est pas de ma faute hein, sinon je serais rentré. Après sa fille lui a répondu, je te crois et j’ai confiance en ce que tu dis. A bientôt. Je ne savais pas qu’il avait une vie aussi courte. (Pleur). »
Sur les circonstances de sa mort…
« On lui a proposé de faire un projet pour la riposte contre le Covid-19, il a terminé le plan que moi-même j’ai lu, mais il n’a jamais pu le présenter parce qu’il est tombé malade entre temps (…) Et par la suite, il est parti dans une clinique à Sangoya, là-bas on lui a dit qu’il a un excès de paludisme. Mais quand même ils lui ont dit de faire l’examen de Covid-19. Ce qui fut fait jeudi dernier, et on lui a dit qu’il va obtenir les résultats samedi. Ils ont continué entre temps de soigner le paludisme et le vomissement. Jusqu’à l’heure où je vous parle, on n’a pas obtenu de résultats de mon mari. Et comme son état s’aggravait, on a décidé de l’amener encore à l’hôpital.
Ils ont commencé par une clinique à l’aéroport, ces derniers leur ont conseillé d’aller à Sino Guinéen, quand il est arrivé, ils ont refusé de l’admettre pour des soins et comme j’étais en ligne avec mon petit frère tout ce temps, je l’ai entendu crier, faites quelque chose, mon frère a besoin d’une assistance respiratoire. Ils ont dit non, amener le à Donka. Entre temps, un ami de mon mari a appelé mon frère, il lui a dit d’accepter de l’amener à Donka. Après j’ai dit Thierno (son petit frère, NDLR), n’amène pas mon mari à Donka, parce que lui-même ne voulait pas y aller. Comme j’insistais pour qu’il soit soigné là-bas, l’ami de mon mari m’a appelé directement pour me dire de le laisser aller à Donka, qu’on va bien s’occuper de lui à la réanimation. Arrivés à Donka, ils ont été admis dans le service de réanimation. Après les premiers soins, on l’a mis sous oxygène et 30 minutes après, il a repris conscience. Mon petit frère a approché le téléphone, on a échangé. Il a mis la vidéo et je lui ai dit chéri tiens bon, je ne te laisserais pas partir, il m’a dit d’accord mais je ne veux pas que mes filles me voient dans ces conditions, je lui ai dit de ne pas s’en faire que je suis seule dans notre chambre. Il a commencé à sourire et à me taquiner comme il le fait toujours d’ailleurs, j’ai eu de l’espoir.
Quand mon frère a voulu quitter, mon mari a dit, non Thierno ne part pas, ne me laisse pas ici. Ça je l’ai entendu de mes propres oreilles, il dit si tu me laisses ici, ils vont me tuer. Mais les médecins même ont demandé à ce que mon petit frère rentre, parce qu’il n’y a pas où s’asseoir à plus forte raison, où se coucher. Mais mon mari a insisté, vient on va se partager mon petit lit-là, mais ne me laisse pas seul. Mais il a fini par quitter.
A son retour, les médecins ont refusé à ce qu’il ait accès de nouveau dans la salle. Un ami à mon mari qui est médecin à Dakar a appelé les médecins de Conakry qui lui ont certifié que mon mari allait très bien, qu’il répondait correctement aux soins, que rien ne peut lui arriver sous le respirateur. Mon frère attendait toujours dehors, mais à notre grande surprise, un autre de ses amis résidant au Maroc a appelé une de ses connaissances à Donka pour vérifier son état de santé. Ce dernier vient pour vérifier au service de réanimation, on l’informe qu’un monsieur nommé Alhassane Ly, venant des États-Unis est mort mais qu’ils n’ont aucun contact de la famille, alors que mon mari était avec son téléphone et mon petit frère était arrêté juste devant la porte comme on lui a refusé l’accès.
Après mon frère m’a appelé pour me dire qu’il est décédé et qu’il a appris qu’on lui a retiré le respirateur juste après son départ. Quand on m’a raconté ça, j’étais dépassée. »
Résignée, Mme Ly Tahibou confie l’affaire à Dieu
« En tant que croyante, je laisse à Dieu et le prie pour qu’il accorde le paradis à mon mari. C’était quelqu’un de bien, d’honnête, il était à la fois mon ami, mon frère en plus d’être mon mari et le père de mes enfants. Il m’a connu pendant que j’avais 14 ans, je ne pensais pas qu’on allait s’arrêter là. Beaucoup m’appellent pour me demander de porter plainte mais je ne le ferais pas parce que c’est ainsi que Dieu a voulu que mon mari parte. Si c’est vrai qu’on lui a retiré le respirateur, je préfère laisser l’auteur avec Dieu, parce que tout ce qu’il a vu et entendu depuis le décès de mon mari l’amènera à sauver d’autres vies, à ne plus commettre le même crime. Qu’il sache seulement qu’il a tué un cadre guinéen valable, un cadre de l’Afrique, que cela soit une leçon pour tout le monde.
Je prie Dieu qu’il change le cœur de certains de nos médecins, en leur faisant comprendre que toutes les âmes se valent. C’est dommage que dans mon pays, le favoritisme soit pratiqué même dans les hôpitaux. Je suis désolée pour mon pays et je demande à tous mes concitoyens de prier pour mon mari, parce que c’est un homme bien et je profite pour remercier tout le monde, particulièrement ses anciens amis du Maroc. »