On se rappelle que les 6 et 23 juillet dernier, le ministre de l’Agriculture et de l’Elevage, Mamoudou Nagnalen Barry avait, dans les décisions No D/2022/0082/MAGEL/CAB et No0069/MAGEL/CAB, suspendu les présidents des chambres (nationale, régionale et préfectorale) d’agriculture. Surpris, le président de la Chambre Nationale d’Agriculture, Mamadou Bobo Diallo et ses avocats, saisissent la Chambre Administrative de la Cour Suprême pour solliciter le sursis à l’exécution de ces décisions jugées injustes.
Appelée le 17 novembre et renvoyée le 1er décembre passé, l’affaire vient d’être débattue et mise en délibéré pour décision rendue le même jour. Après avoir bien sûr, entendu les deux parties. Ainsi,« la Cour, statuant publiquement, contradictoirement en matière administrative, déclare la requête recevable » sur la forme; et sur le fond, « ordonne le sursis à exécution des décisions No D/2022/0082/MAGEL/CAB du 6 juillet 2022 portant suspension des bureaux et des présidents des chambres (nationale, régionale et préfectorale) d’agriculture et celle No 0069/MAGEL/CAB du 23 juillet portant mise en place du mécanisme de distribution des engrais » et « ordonne à tous les huissiers sur ce requis de mettre le présent arrêt à l’exécution ; aux procureurs généraux de la République près les Cours d’Appel et Tribunaux de Premières Instances d’y tenir la main; aux Préfets, Sous-préfets et Officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu’il en seront légalement requis.»
Pour rappel, c’est avec surprise et stupéfaction que le monde agricole a suivi, le mercredi 6 juillet dernier, la lecture de la décision D/2022/0082/MAGEL/CAB du ministre de l’Agriculture et de l’Élevage, Mamoudou Nagnalen Barry, sur les antennes des médias d’Etat. Laquelle décision suspendait les bureaux et les Présidents des Chambres Nationale, Régionale et Préfectorale d’Agriculture de Guinée. Raison avancée : « le mandat de cinq ans (renouvelable une seule fois) des membres de l’Assemblée Consulaire et du Bureau des Chambres est expiré ». Cette décision mettait alors fin aux activités d’organe d’administration et de gestion au sein desdites chambres, et autorisait « le secrétaire général de la Chambre Nationale d’Agriculture de gérer les activités courantes jusqu’aux nouvelles élections ».
Tenez-vous bien ! Déjà le 23 juin, c’est-à-dire un mois avant la prise de décision, le ministre Barry avait lézardé le mur de la Chambre d’Agriculture par la décision D/2022/0069/MAGEL/CAB pour mettre en place un mécanisme de distribution des engrais acquis, selon lui, par l’Etat guinéen. Il définit ses modalités et ses conditions à lui. Il décide unilatéralement que désormais, « chaque opération de vente de l’engrais doit être validée par la cosignature d’un représentant de la Chambre Préfectorale d’Agriculture et d’un représentant de la Direction Préfectorale de l’Agriculture et de l’Élevage, les sorties des magasins de stockage de Conakry, ceux du port et des locaux de la Chambre Nationale de l’Agriculture doivent être validées par la cosignature du secrétaire général de la Chambre National d’Agriculture et du directeur national de l’Agriculture ; tous les paiements doivent se faire par Orange Money via un compte marchand ou sur les numéros de comptes du Trésor domiciliés dans les agences de la Banque Centrale… »
Conformément donc aux dispositions de la saisine de la composition de la Chambre administrative de la Cour Suprême en son article 49 de la loi organique, L/2017/No 003/AN du 23 février 2017, portant attribution organisation et fonctionnement de la Cour Suprême, la Chambre Nationale Régionale et Préfectorale d’Agriculture, par le biais de son avocat, saisit le président et conseillers composant la Chambre administrative de la Cour Suprême, Elle lui adresse une signification d’une requête aux fins de pourvoi en annulation contre la décision D/2022/0069/MAGEL/CAB du ministre, portant mise en place du mécanisme des distributions des engrais d’une part, et une requête aux fins de pourvoi en annulation contre la décision D/2022/0082/MAGEL/CAB portant suspension des bureaux et des présidents des chambres nationale, régionale et préfectorale d’Agriculture de Guinée en date du 06 juillet 2022, d’autre part.
Pour le camp de Mamadou Bobo Diallo, le ministre avec ses décisions viole sur toute la ligne les prescriptions législatives ou règlementaires. Car, conformément à la loi NL/95/031/CTRN portant création de la Chambre d’Agriculture et les Chambres régionales d’Agriculture de Guinée, quand le mandat des dirigeants des Chambres Nationale, Régionale, Préfectorale arrivent à son terme, de nouvelles élections doivent être organisées immédiatement sans délais. Contrairement à ce qu’a fait le ministre Mamoudou Nagnalen Barry. Selon l’avocat de la Chambre d’Agriculture, aucun texte ne lui donne le droit de dissoudre les présidents des différentes chambres.
Selon la loi que l’occasion nous a été donnée de lire lors de nos investigations, si par extraordinaire les organes de chambre régionale d’agriculture qui contreviennent aux prescriptions législatives ou réglementaire doivent être dissouts par l’autorité de tutelle, cela n’est possible qu’après avis motivé du bureau de la Chambre Nationale d’Agriculture. Ce qui n’est pas le cas. Donc, selon l’avocat des Bureaux de la Chambre Nationale d’Agriculture, il y a eu « violation manifeste des prescriptions législatives ou réglementaires. Violation des clauses de la convention signée en date du 18 janvier 2021 entre la banque Afriland First Bank et la Chambre Nationale d’Agriculture de Guinée, représentée par son président, Elhadj Mamadou Bobo Diallo, dit Bobo Denkén ». Pour l’homme de droit, si l’Etat guinéen s’est engagé pour la fourniture des engrais que le ministre Nagnalen Barry a distribué, il faut préciser cependant qu’il n’est nullement débiteur. La vraie débitrice et qui est exposée à une poursuite pénale qui se trouve être les dirigeants de la Chambre Nationale d’Agriculture, tous représentés par leur président Mamadou Bobo Denken Bobo Diallo. Alors, toujours selon l’avocat de l’homme d’affaires, déposer le prix de ses engrais par Orange Money ou au Trésor public, cela porterait des préjudices irréparables non seulement à la Chambre, mais aussi à la banque Afriland First Bank, à AFRIXIMBANK, au fournisseur et surtout à la population paysanne qui va tout de suite connaitre une rupture ou une fourniture tardive.
Selon Me Ahmadou Kourouma, l’avocat des Bureaux de la Chambre d’Agriculture Régionale et Préfectorale, ces produits que le ministre a distribués, n’appartiennent pas à l’Etat Guinéen, mais plutôt à la Chambre d’Agriculture qui est une structure indépendante. « Courant 2021, dans le but de soutenir l’importation et l’achat des intrants agricoles(semences, pesticides, engrais) en faveur des organisations paysannes membres de la Chambre Nationale d’Agriculture de Guinée afin de les permettre d’assurer l’autosuffisance alimentaire, leur bien-être et de faire face aux conséquences de la COVID-19, la banque Afriland First Bank Guinée a sollicité et obtenu auprès d’AFRIXIMBANK dans le cadre du programme d’assistance, une ligne de crédit d’un montant de quatorze millions de dollars US. Ce montant est utilisable sous forme de confirmation de lettre de crédit et/ou de refinancement de lettre de crédit en faveur des fournisseurs de la Chambre Nationale d’Agriculture de Guinée… Ce crédit accordé à la Chambre Nationale d’Agriculture par les fournisseurs étrangers et par la garantie de la banque Afriland First Bank a fait l’objet d’une convention de huit pages en date du 18janvier 2021
En exécution de cette convention, la Chambre Nationale d’Agriculture, à date, a reçu plus de 85% de ces engrais et assure pleinement le dispatching et le dépôt de l’argent au compte de Afriland First Bank conformément aux dispositions du point 9.4 qui dispose ceci : « la domiciliation ferme et irrévocable de toutes les recettes et de tous les contrats de ventes de ses membres dans nos livres pendant toute la durée de vie du crédit.
L’emprunteur s’engage et s’oblige à domicilier au profit de la banque toutes les recettes issues de la vente desdits produits, tous les contrats de ventes de ses membres dans le livre de la banque, pendant toute la durée de vie de son crédit, en garantie de remboursement. Que l’ordre ainsi donné à tous ses membres, est irrévocable et ne pourra être modifié sans l’accord de la banque. Que tout détournement des recettes donnera lieu en sus des intérêts moratoires à des poursuites pénales du chef d’abus de confiance.
A l’arrivée du CNRD, le 5 septembre 2021, la Chambre Nationale d’Agriculture de Guinée a décidé de soutenir les nouvelles autorités en se mettant entièrement à sa disposition et à soutenir également la population paysanne évidemment dans le cadre de la lutte contre l’autosuffisance alimentaire et le bien-être des citoyens. » dit-il la main sur le cœur avant de continuer : « à la grande surprise de tout le monde paysan et même des Guinéens, le ministre de l’Agriculture qui vient d’arriver décide de suspendre les responsables de la chambre et fait main basse sur les engrais et les produits phytosanitaires obtenus après moult tracasseries et de nombreuses démarches. L’acte posé par le ministre Mamoudou Nagnalen Barry est aujourd’hui perçu comme une expropriation forcée de la Chambre Nationale d’Agriculture. Ce monsieur après plusieurs tentatives de récupération en vain, s’est résolu finalement à prendre une décision infondée et insensée et sans aucune base légale, selon l’avocat, de récupérer les engrais de la Chambre Nationale de l’Agriculture. Au nom de l’Etat et ordonne le paiement par orange money et au Trésor Public », précise-t-il avant de conclure : « nous avons saisi la Chambre Administrative de la Cour Suprême qui ne tardera certainement pas à prospérer dans le sens de l’annulation de la décision querellée. D’autant plus que ces engrais et autres intrants n’appartiennent ni à l’Etat Guinéen ni au ministère de l’Agriculture et de l’Élevage. »
Aujourd’hui donc, ‘’la justice, boussole’’ du CNRD a parlé en déclarant la requête de la Chambre Nationale d’Agriculture recevable et en ordonnant le sursis à exécution des décisions No D/2022/0082/MAGEL/CAB du 6 juillet 2022 portant suspension des bureaux et des présidents des chambres (nationale, régionale et préfectorale) d’agriculture et celle No 0069/MAGEL/CAB du 23 juillet 2022 portant mise en place du mécanisme de distribution des engrais. ….