Neem, artemisia, feuilles de papaye, écorces de manguiers, les gousses de gingembre, de l’ail, des racines, des fruits, des feuilles de Combretum micranthum, communément appelé « Quinqueliba »… Ces plantes sont réputées en Guinée pour soigner le paludisme, les problèmes de foie ou encore renforcer le système immunitaire.
Ces dernières semaines, on leur prête une nouvelle vertu : prévenir ou soigner le nouveau Coronavirus. Ainsi, sur les différents marchés du pays, ces remèdes naturels sont très prisés. On assiste à une ruée de la population sur les plantes aux vertus réputées antipaludéens surtout avec les débats autour de l’efficacité de la chloroquine. De nombreux tradi-praticiens, herboristes et guérisseurs sont envahi par les populations qui pensent que pour se soigner ou prévenir le Covid-19, il faut recourir à des plantes médicinales jugées curatives et préventives.
Nous sommes au marché de Madina le 6 juin aux environs de 11 heures chez un vendeur de médicaments traditionnels, un tradipraticien connu de tout le monde.
Selon de nombreux témoignages des habitués des lieux, ces médicaments traitent avec « succès » des malades. Débordé ce jour-là, le guérisseur n’a pas remarqué notre présence. Mais que du monde ! Vieux, jeunes femmes, malades, personnalités, ouvriers, vagabonds, badauds, tous sont se donnés rendez-vous à cet endroit. Certains achètent des racines, des feuilles, d’autres des écorces et des lianes ou tiges. Tous pour la même raison : auto-médicament pour éviter les hôpitaux en ces temps de Covid-19. Pourquoi cette ruée ?
Des patients désertent les hôpitaux à cause de la phobie du Covid-19
De nombreux centres de santé ou hôpitaux généraux de la Guinée qui ne désemplissaient pas, connaissent ces temps-ci des taux de fréquentation en baisse. La raison ? Depuis l’avènement de la maladie à Coronavirus ou Covid-19 qui a mis le monde entier à ‘’ses pieds’’ et qui continue de semer tristesses et désolations dans des familles. AU point que des malades ont maintenant une peur bleue des centres de santé ou des hôpitaux généraux.
Un directeur départemental de la santé en service à l’intérieur du pays qui a souhaité garder l’anonymat, dit avoir aussi fait le même constat. En effet, des malades rencontrés, sur un brin d’humour pour certains, expliquent qu’avec les symptômes du Covid-19 qui se manifestent, entre autres, par la toux, la fièvre et les difficultés respiratoires, il n’est pas trop prudent d’aller à l’hôpital. Car, pour un simple excès palustre, le malade pourrait être suspecté d’avoir le Coronavirus.
Pis, même de nombreuses femmes refusent d’accompagner leurs enfants à l’hôpital pour les vaccinations de routine pour les protéger contre des maladies contre lesquelles des vaccins sont disponibles depuis bien longtemps. Malgré les assurances des praticiens de la santé, les mamans semblent avoir pris de façon péremptoire, leur décision.
« Dans les hôpitaux, les médecins ne cherchent plus ailleurs. Dès que vous arrivez, on émet des doutes sur votre cas. Tous les examens riment avec la pandémie actuelle. Ils cherchent et voient coronavirus partout. Alors nous avons décidé de passer à l’indigénat. Ici déjà, mon fils montre des signes de lucidité”, nous a confiés dame Sylla Mariam, venue de Kolia, dans la préfecture de Boké, avec son fils aîné souffrant de la toux depuis un certain temps.
Interné au mois d’avril à l’hôpital de N’Zérékoré, un ex-employé d’une société d’hévéaculture à Diécké croisé dans la foule ce jour-là, prétend avoir été guéri déjà en utilisant les produits achetés avec le tradipraticien. “Je travaillais à Diécké quand j’ai été atteint de palu chronique en mai dernier. J’ai été hospitalisé à l’hôpital régional de N’Zérékoré sans succès. Aujourd’hui, je vais mieux après avoir pris les médicaments traditionnels acheté avec ce monsieur ”, a-t-il déclaré.
Dons hérités de sa famille maternelle en 1999, Elhadj Fantamady Cissé vend des médicaments traditionnels et soigne à l’aide des plantes. Les clients se bousculent devant son étal surtout avec l’avènement de coronavirus et son lieu désempli pas malgré la pluie.
« Le système de santé et les hôpitaux manquent de moyens. Comment ces structures feront-elles face à l’épidémie de Covid-19, alors que déjà, en Europe, aux États-Unis, elles résistent avec difficulté à l’afflux soudain de patients en très grande détresse ? Comme dans un passé récent, à chaque épidémie, les parents et leurs malades se sont tournés vers la médecine traditionnelle, même pendant l’épidémie de sida. Face au Covid-19, la tentation est de tourner vers des remèdes traditionnels », soutient un haut cadre rencontré sur les lieux.
C’est le lieu de dire que l’utilisation de remèdes traditionnels en période d’épidémie est perçue par certains citoyens comme une occasion de soulager à moindre coût, de pallier la pénurie de moyens. Mais le recours à ces préparations médicinales non répertoriées et sans règlementation suscite la méfiance des praticiens locaux de médecine occidentale et l’inquiétude des autorités parce qu’elles ne sont pas validées scientifiquement. Proscrire ou laisser faire ?
Les croyances ont joué un rôle dans toutes les épidémies et à toutes les époques. Partout dans le pays, on assiste à un attachement profond aux traditions populaires pour se protéger contre la maladie à Coronavirus : des amulettes, de l’ail bouilli dans l’eau, du pouvoir magique de quelques ingrédients antiviraux et antigrippaux : thym, verveine, basilic, miel, huile d’olive, gingembre frais, armoise et cannelle. A la recherche de recettes traditionnelles, beaucoup de Guinéens croient dans le pouvoir miraculeux des plantes, renforçant leur immunité pour se protéger de la Covid-19.
La méfiance de l’OMS
Selon Dr Algassimou Diallo, Biochimiste, l’Organisation Mondiale de la Santé, au moment où des efforts sont faits pour trouver un traitement à la COVID-19, la prudence doit rester de mise pour ne pas verser dans la désinformation, particulièrement sur les médias sociaux, au sujet de l’efficacité de certains remèdes. Pour lui, de nombreuses plantes et substances sont proposées alors qu’elles ne répondent pas aux normes minimales de qualité, d’innocuité et d’efficacité et qu’aucun élément factuel n’atteste du respect de ces normes. L’utilisation de produits destinés au traitement de la COVID-19, mais qui n’ont pas fait l’objet d’investigations strictes, peut mettre les populations en danger et les empêcher d’appliquer des mesures telles que le lavage des mains et la distanciation physique qui pourtant sont des éléments cardinaux de la prévention de la COVID-19. Cela peut aussi accentuer le recours à l’automédication et accroître le risque pour la sécurité des patients
Toutefois, en dépit de cet enthousiasme, de cette ruée, la communauté scientifique reste sceptique, vu l’absence de rigueur dans les essais cliniques. L’assurance de l’efficacité et de l’innocuité d’un remède traditionnel est nécessaire pour la sécurité des patients traités.