En démocratie, il est tout à fait admis que le parti qui remporte les élections fasse recours à sa famille politique pour gérer l’administration et mettre en œuvre son programme de société qui l’a porté aux affaires. Il sait que les résultats qu’il va enregistrer en cours de mandat sont déterminants pour le faire éventuellement réélire lors des futures échéances électorales. Il est donc tout à fait normal et compréhensible qu’il meuble au mieux les structures à même de lui permettre d’atteindre les objectifs qu’il s’est fixés et pour lesquels il a été élu. Aussi, choisit-il d’abord pour l’accompagner, ceux de son camp qui ont lutté à ses côtés et qu’il juge les plus aptes. Jusque-là, rien de plus normal.
A quelques nuances et proportions près, il en est ainsi dans tous les pays qui se réclament démocrates et agissent comme tels.
Chez nous, depuis notre accession à l’indépendance, aucun des régimes qui se sont succédés jusque-là, n’a jamais dérogé à la règle, du moins dans sa formulation. C’est le contenu effectif concret qu’on a donné au concept qui a posé problème. Sa mise en œuvre, dans la forme et l’intensité articulées, n’a pas obéi aux critères et limites requis en la matière. Les raisons à cela sont de plusieurs ordres. Elles méritent toutes d’être connues, pour éviter de retomber dans les écueils qui sont à l’origine de notre retard. C’est entre autres, le souhait formulé par les nouvelles autorités qui nous convient à une totale rupture avec le vieil ordre désormais révolu, mais dont les survivances sont encore latentes et attendent la moindre faille pour resurgir.
En rappel, nous dirons que la genèse de cette question cruciale qui a plombé l’essor de notre administration remonte à la naissance du concept de parti-état, pendant le premier régime.
Déjà, à l’époque, le slogan « l’homme qu’il faut à la place qu’il faut » a été manipulé à souhait pour motiver ou justifier certaines nominations à des fonctions administratives. Cette tendance ou vision perdure jusqu’à maintenant. Ce slogan galvaudé est encore cité de nos jours, à maintes occasions. Dire que les nominations qui s’en suivent résultent des effets du slogan ou qu’elles sont des plus opportunes qui soient, est fallacieux. Elles sont plutôt à prendre comme un des signes annonciateurs de la déchéance de notre administration dont le coup de grâce a été l’instauration du parti-état comme système de gouvernance. Dès lors, l’administration de développement dont nous rêvions de voir s’installer chez nous a été sabordée.
Le parti, principal instrument de pouvoir, n’a pas mis longtemps à la phagocyter, la faisant disparaître de toutes les chaînes de décision. Ainsi, minée de toutes parts, elle n’avait pas la capacité de tenir tête au parti qui avait le dernier mot sur tous les arrêts d’ordre administratif. Même ceux relevant du domaine purement scientifique et technique !
L’ordre normal des choses a été renversé et un grand bouleversement s’en est suivi. Pour preuve, le maire du PRL, (pouvoir révolutionnaire local) la structure politique à la base, qui équivaut au chef de quartier actuel, a le pouvoir de convoquer le ministre qui est son militant, parce que résidant dans son PRL. Et ce dernier obtempère toujours, au nom du parti, qui est au-dessus de tout. Le statut social ou administratif dudit maire, ne rentre pas en ligne de compte. Même s’il est planton au ministère, paysan illettré ou simple artisan. C’est lui le maire, l’élu du peuple, le représentant du parti à l’échelon local.
En plus, il préside les réunions hebdomadaires du parti qui se tiennent à la permanence chaque vendredi nuit, dans tous les PRL du pays. Tous les militants y sont conviés pour ne pas dire convoqués. Les miliciens le font savoir à tout le monde, à coups de sifflets stridents et impératifs. Les absences notoires à ces réunions exposent quiconque à un grave danger. Celui d’être considéré comme contre-révolutionnaire.
Mieux encore, le parti-état a réussi à introduire, à l’étonnement bien dissimulé de tous, l’équivalent du PRL dans les garnisons militaires. Là également, cette structure dénommée CUM, (comité d’unité militaire) a eu pour mission de régenter la vie politique au sein du camp. Son président peut être caporal ou simple soldat. Il dispose quand même de l’autorité nécessaire pour faire appel au général, s’il y a lieu, lorsque le parti le juge nécessaire.
Comme on le voit, la politique a primé sur tout le reste. Et cela a produit des effets collatéraux qui ont envahi notre administration. Jusque maintenant, les choses évoluent presque à l’identique. Les métastases ont envahi tous les secteurs.
On a souvenance des soldats, à l’époque du CNDD, qui ne se gênent pas pour montrer qu’ils n’ont cure de la qualité de ceux qui croisent leur chemin, fussent-ils officiers ou hauts cadres. Ils n’obtempèrent guère aux ordres ou requêtes de ceux-ci. De même dans l’administration, un chef de section, parce qu’il est adoubé par le système, parce qu’il est introduit ou appuyé par une haute personnalité s’en prend effrontément à son directeur, rassuré qu’il est de ne subir aucune sanction. L’autorité de son directeur qui ne peut pas sanctionner son agent est impunément bafouée. Des cadres en arrivent à se battre au bureau et pire que tout, un directeur porte la main sur son ministre. Dans la vie courante, l’on voit au quotidien des usagers qui refusent d’obtempérer aux injonctions de l’agent de la force publique, des justiciables qui ne se soumettent pas à une décision de justice, des cadres qui refusent délibérément de traiter un dossier urgent. Et rien ne se passe. Ils attendent qu’on les paye et vous le disent sans détours. Lorsque vous vous formalisez, ils vous rétorquent d’aller vous plaindre où vous voulez. Le tableau est bien sombre, convenons-en.
Ce sont pourtant, ces comportements bien réels et ceux que nous ne citons pas ici, qui gangrènent notre administration, foulent aux pieds la discipline et compromettent dangereusement le respect de la hiérarchie, etc. Autant de valeurs si essentielles à notre vivre-ensemble et à notre développement.
Chacun pensant être à même de faire ce qu’il veut, bonjour l’anarchie et le retard pour le pays.
Au lieu de mesures radicales pour éradiquer le phénomène, on a préféré les palliatifs édulcorés, les euphémismes, juste pour donner l’illusion de la rupture. Le parti-état est devenu le parti au pouvoir. Avec le même contenu. C’est tout cela dont nous ne nous apercevons même pas, qui a sapé l’autorité ou, pour mieux dire, l’efficacité de notre administration. Elle n’est plus portée vers le développement, ce qui est pourtant son essence propre, son fondement et sa principale vocation.
Comment d’ailleurs, peut-elle satisfaire à cette attente légitime, lorsqu’elle est truffée de militants que l’on récompense à tours de bras, en les plaçant dans toutes les structures existantes, voire à créer ? Même s’ils ne remplissent pas les critères indiqués pour le poste. Au lieu de l’administration que nous espérons, nous sommes plutôt en face d’une superstructure inefficace et budgétivore qui fait faire du sur-place à notre pays, depuis tant d’années.
L’expérience a montré qu’un militant nommé à un poste qu’il ne mérite pas, noie son incapacité en plongeant ses collègues, selon la fonction qui est la sienne, dans un débat politique constant, oiseux ou virulent. Il fait recours, selon les circonstances, aux verbiages, harangues, menaces, slogans et autres subterfuges pour sauver les apparences. Sinon, il utilise la corruption pour se faire accepter ou fait la guerre à ceux qui osent le démystifier en mettant à nu, même involontairement, son incapacité à assurer sa charge. Tout cela distrait des objectifs fixés en termes d’administration et plombe le progrès attendu.
Il vaut mieux accorder au militant que l’on trouve méritant, fidèle ou zélé, une promotion au sein de la structure politique ou l’accompagner dans une activité entrepreneuriale quelconque.
On a poussé le bouchon du mélange du ‘’tout-politique’’avec l’administration jusqu’à son extrême limite. Il ne manquait plus qu’à commettre l’impair de faire nommer à un poste de chercheur quelqu’un qui a à peine étudié ou à faire d’un vendeur de cacahuètes, un enseignant. Il semble bien qu’on y ait pensé, sans aller plus loin. Fort heureusement !
Pour que tout se passe bien, gardons-nous de mélanger les genres. En toutes choses, restons dans les limites et rendons toujours »à César, ce qui lui appartient. »