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Construction à Conakry : comment empêcher que les immeubles ne s’effondrent ?

Qu’est-ce qui ne va pas dans le secteur de la construction immobilière à Conakry ? Des immeubles en construction ne cessent de s’effondrer. On en dénombre au moins quatre cas au cours des huit dernières années. D’abord en août 2012, où un immeuble de six étages situé en banlieue urbaine s’écrase sur trois personnes. Ensuite en 2014, encore au mois d’août, un deuxième s’effondre à Lambanyi et fait deux morts plus des blessés. Puis en 2018, au mois de juillet, un troisième édifice de sept étages s’écrase à Kaloum, causant la mort de quatre personnes et faisant plusieurs blessés. Et enfin en août dernier, où on déplore le déracinement d’un quatrième édifice de trois étages à Yimbaya, causant plusieurs blessés.

Devant cette escalade d’écroulements d’immeubles en chantier, la réaction du Ministère de la Ville et de l’Aménagement du Territoire (MVAT) est toujours la même : selon lui, ce sont des constructions qui ne respectent pas les normes, des propriétaires qui n’ont pas reçu de permis de construire ou auxquels cette autorisation a été simplement refusée pour tel ou tel motif. Mais à y regarder de près, s’est-on vraiment posé la bonne question ?

Lorsque, par exemple, le ministère compétent en la matière argue le non-respect des normes, de quelles normes s’agit-il donc ? Est-ce le Code de la construction et de l’habitation ? Ou le Code des collectivités territoriales ? Ou encore le Code foncier et domanial ? Ou que sais-je encore ? Parce que si le but est de désigner ces trois codes comme des boucliers contre l’effondrement d’immeubles en construction, nous ne sommes guère certains de bien suivre nos autorités dans leur raisonnement.

Car en effet, ces trois codes ici mentionnés ne statuent aucunement quant à savoir quelles sont les règles de calcul à adopter concernant le dimensionnement d’ouvrages en béton en république de Guinée, les critères de prise en compte de la pluviométrie de Conakry, les types de charges et leurs combinaisons à considérer pour les états limites de service et ultimes pendant la conception de ces bâtisses, afin d’assurer leur intégrité structurale ainsi que leur stabilité.

Ici, il ne s’agit pas simplement d’appliquer aveuglement les cas de charges décontextualisés, importés d’ailleurs et appris mécaniquement dans les écoles polytechniques. Mais bien au contraire, il nous faut tenir compte des conditions propres à notre réalité topologique, climatique et géotechnique. C’est pourquoi, dans une contribution antérieure, nous avions évoqué la nécessité d’avoir dans notre pays un Code national du bâtiment. Car c’est précisément ce code qui est le mieux adapté pour répondre aux soucis de nos ingénieurs quant à la manière de concevoir les structures en république de Guinée.

Deuxièmement, lorsque le ministère martèle le fait que ces édifices aient été bâtis sans l’acquisition par leurs propriétaires d’un permis de construire valide, cela explique-t-il l’effondrement de ces immeubles ? L’émotion ou l’ignorance pourrait nous conduire à répondre affirmativement à cette question. Alors qu’une construction faite sans autorisation de bâtir peut très bien résister aux charges qui la sollicitent, cela dépend de la manière dont elle a été conçue et les critères techniques qui ont figuré à sa conception. Bien entendu, il n’est pas ici question de nous prêter l’intention d’encourager la construction d’immeubles sans permis, non. Mais nous essayons de bien faire comprendre quelques contradictions translucides.

D’autre part, l’article 29 du code de la construction et de l’habitation stipule que : « Toute construction nouvelle ou toute modification d’une construction à caractère privé ou public, sauf dispositions spécifiques contraires, doit être soumise à un permis de construire ou de modifier, et exige l’intervention d’un architecte pour l’établissement du projet architectural, son mode de réalisation et la détermination de son coût global. ». Ainsi, l’obtention d’un permis de construire en Guinée requiert seulement les plans d’un architecte.

Or, ce n’est pas l’architecte, ni ses plans qui ont la compétence requise pour statuer sur la stabilité, la résistance et l’intégrité structurale d’un édifice. Ce champ est du ressort de l’ingénieur en structure (ou ingénieur civil spécialisé en structure du bâtiment). Ainsi, ce n’est pas parce qu’un permis de construire a été dûment obtenu que la survie de l’immeuble est garantie. On peut donc conclure que les arguments fournis par le ministère sont inadéquats et insatisfaisants.

Mieux comprendre le problème pour le résoudre

Si on observe l’historique de tous ces effondrements, il y a deux choses qui nous frappent de prime à bord : la première, c’est de constater qu’ils sont tous arrivés pendant la phase de la construction des immeubles. Et la deuxième, c’est de remarquer qu’ils se sont tous produits durant la saison des pluies à Conakry. Ces deux remarques ont une importance capitale pour l’ingénieur en structure. Dès lors la question qui se pose est de savoir est-ce que ces immeubles ont réellement faits l’objet d’un calcul par un ingénieur spécialisé ? Si la réponse est « non », alors l’effondrement était inévitable. Mais admettons plutôt que la réponse est « oui » à cette question. Dans ces conditions, qu’est-ce qui a fait défaut dans la conception de l’ingénieur ?

En effet, il est important de savoir si lors de sa conception, l’ingénieur a pris en compte les surcharges de construction. Ce sont le poids des personnes et des équipements de construction sur les dalles des planchers durant la phase de construction. Ces surcharges se combinent logiquement avec les autres charges qui ont été considérées dans les critères de conception de l’ouvrage en fonction de l’usage auquel il était prédestiné. Ne pas les considérer dans le design pourrait aboutir à un sous-dimensionnement de l’ouvrage, ce qui pourrait conduire à une perte de stabilité donnant lieu à un effondrement. De plus, pendant la phase de construction d’un édifice multi-étagé, des précautions doivent être prises pour le contreventer suffisamment au moyen des étais (système d’échafaudage) afin d’assurer la stabilité de l’ensemble. Or, la plupart du temps, les édifices en chantier dans la capitale guinéenne sont très mal étayés. On est même en droit de se demander si ces systèmes d’échafaudage font l’objet de calcul de dimensionnement avant leur utilisation. Ce qui est pourtant fondamental.

Il y a aussi, la forte pluviométrie de Conakry que l’ingénieur en structure ne doit pas ignorer lors de la conception d’un ouvrage. Il doit notamment s’assurer de bâtir son édifice sur un sol stable, non remanié et ayant une capacité portante suffisante pour reprendre l’ensemble des efforts induits par les charges et surcharges qui sollicitent l’ouvrage. D’où l’importance d’avoir en mains les résultats d’une étude géotechnique du sol de fondation qui permet de savoir différents paramètres de conception, tels la capacité portante, le module de réaction dans le cas d’une dalle sol, la présence ou non d’une nappe phréatique, sa profondeur et son niveau, etc. Il faut noter qu’en saison pluvieuse à Conakry, le niveau de la nappe monte. Les fondations doivent donc être conçues en conséquence pour ne pas flotter. Telles sont les étapes qui ne doivent jamais être sautées lors de la conception d’un ouvrage.

Espérant que cette contribution sera utile à tous les acteurs impliqués dans la construction d’immeubles en Guinée.

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