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Cliniques privées clandestines en Guinée : ces mouroirs qui achèvent les patients (Dossier)

Dans la nuit noire du vendredi 8 janvier 2016, notre consœur Mariama Kouta Diallo, journaliste-présentatrice du journal de la Radio nationale, décède dans une clinique privée suite à une intervention chirurgicale à « Dar-Es-Salam », un un quartier situé dans la commune de « Ratoma ». Selon des médecins spécialistes, la jeune journaliste aurait succombé suite à une succession d’erreurs commises par des « bouchers » de chirurgiens, lors de l’opération à l’abdomen.

Dans la sombre matinée du samedi 20 novembre dernier, toute la Guinée était en émoi après la nouvelle de la mort de la jeune femme, M’Mah Sylla 25 ans, à Tunis, où elle avait été évacuée après avoir subi plusieurs viols commis par deux pervers de médecins gynécologues, dans une clinique privée malfamée, dans un quartier précaire de Conakry.

Ces deux tristes cas parmi tant d’autres, nous obligent à traiter les cliniques privées de cliniques de la mort. C’est peut-être fort, mais cela vaut son pesant d’or. Ces cliniques qu’on retrouve pour la plupart dans les quartiers défavorisés et tenues par des médecins ou infirmiers diplômés d’Etat ou non, sont de vrais mouroirs. Certes, ils ont décidé, à leur manière, d’offrir leur service aux populations, mais le prix à payer est parfois fatal et douloureux.

Incursion dans quelques-unes des cliniques de la place

Le mardi 25 janvier dernier, nous voilà dans ces cliniques pour en savoir davantage sur les prestations qui y sont faites. Premier endroit, Concasseur, un sous-quartier de la commune de Dixinn. La première clinique visitée dont nous tairons volontairement le nom, est située dans une grande cour commune. Son propriétaire, un médecin répondant aux initiales de B.T. Un homme, la cinquantaine, qui n’a pas eu la chance d’être recruté à la fonction publique, a décidé de s’installer à son propre compte pour assurer ses vieux jours. Dans cette clinique qui fait la fierté de certaines personnes, se trouvent deux lits avec deux matelas de fortune, un ventilateur posé dans le couloir jouxtant les deux salles d’hospitalisation. Quel calvaire ! Le médecin, lui, est aidé dans sa tâche par deux assistants. Un aide-soignant et une fille de salle. Quant aux patients et leurs parents, c’est une aubaine que cette clinique soit construite dans le quartier parce que les grands hôpitaux sont très éloignés. Ils s’en réjouissent également du fait que les hospitalisations sont à moindre coût. A cela s’ajoute la qualité du travail qui est fait par le docteur B.T. Il est apprécié par certains patients et leurs parents. Mlle Aissatou LD ne s’en cache pas d’ailleurs. Elle, qui a accompagné son fils de trois ans, souffrant d’une fièvre typhoïde, soutient : « Cette clinique nous rend d’énormes services même si elle est située dans un endroit peu fréquenté et qu’elle ne remplit pas toutes les normes. Il faut reconnaître que c’est grâce au Docteur que nos malades retrouvent la santé. C’est un spécialiste. Jamais, je n’ai vu un médecin comme lui nulle part. »

Un patient abonde dans le même sens que Dame Aissatou. « Ce monsieur connaît bien son métier. Il m’a opéré sans incident. Je suis fier de lui », soutient Oumar D. D’autres personnes qui fréquentent aussi la clinique soutiennent plutôt le contraire. « C’est avec amertume que je viens ici. Je ne suis pas obligé d’y venir. Mais quand je regarde la situation dans laquelle ma famille et moi vivons, je n’ai pas le choix. Les autres cliniques et hôpitaux coûtent très chers. C’est pourquoi je prie le Seigneur pour ne pas qu’un malheur m’arrive. Sinon, voyez vous-même l’état de délabrement dans lequel est la clinique. C’est déplorable », a-t-il prêché.

Nous avons cherché à recueillir les propos du propriétaire des lieux mais en vain.

Autre lieu, une autre officine située à quelques encablures du carrefour de Bambeto. Elle a été construite, il y a seulement cinq ans et répond à certaines normes, vu sa situation géographique. Mais, l’intérieur laisse à désirer. La propriété a foutu le camp. La peinture n’existe presque plus. Le matériel médical est rangé dans un coin sans précautions. Dans la salle d’attente, sont disposés deux bancs et un vieux poste téléviseur. Les malades se font un peu rares en cette matinée du 10 août. Seulement deux patients, un homme et une jeune fille attendent d’être reçus. Ils ont rendez-vous avec le maître des lieux. Dr N. C, vêtu d’une blouse blanche, fait son entrée. Quelques minutes après son entrée, il nous fit signe de le rejoindre dans son bureau. Moment choisi pour lui arracher quelques mots. Sur l’état de délabrement de sa clinique après seulement deux ans d’existence, Dr N. C a été très amer à l’endroit de certaines personnes. « Ma clinique, je l’ai construite seul, sans l’apport d’un soutien extérieur. J’ai sollicité des financements mais jusqu’à ce jour, je n’ai reçu aucun centime. Je me débrouille avec les moyens qui sont à ma disposition pour l’achever. Des gens refusent de m’aider et je ne sais pourquoi.»

Après Ratoma, cap a été mis sur la commune de Matoto qui abrite beaucoup de cliniques privées. Première destination, Yimbaya-Tannerie.  Dans les environs, en remontant vers le quartier « Sompareya », se trouve une clinique bien connue. Dans ces lieux, ce qui frappe à première vue, c’est la propriété. Ceux qui y travaillent sont en majorité des religieux. Selon les informations recueillies sur place, la clinique a enregistré beaucoup de décès ces dernières années. Raisons évoquées : la plupart des malades seraient presque morts avant qu’ils y soient transportés. « Je ne comprends pas certains parents des patients. C’est quand les malades sont dans un état avancé qu’ils s’obstinent à nous les envoyer. Il n’y a pas longtemps, nous avons reçu un patient qui était déjà décédé sans que ses parents le sachent. Nous avons tenté de le sauver, mais il était trop tard », regrette le Dr T. L. Avant de poursuivre « Je souhaiterais que les parents nous emmènent les malades le plus tôt possible pour éviter des morts ». 

A quelques mètres, se trouve une autre clinique. Son propriétaire exerce sans l’autorisation du ministère de tutelle. Maintes fois, il a été prié de fermer mais il s’entête, soutiennent nos sources. Devant la clinique, coule une eau nauséabonde sortie des égouts contenant les excréments humains. Mais cela n’attire pas l’attention du maître des lieux. A l’intérieur, une odeur vous accueille, signe que la propriété n’y a pas son droit de cité. Un matelas posé à même le sol. Le lit, lui, a été rangé parce que rouillé. Quant au médecin, il est constamment absent. Son suppléant, un jeune homme, formé sur place tient les rênes de la clinique en l’absence de son patron. « Je fais des injections. Mais quand il y a un cas urgent, j’appelle mon patron. Je me débrouille bien », déclare B.M.

Si débrouillardise il y a, nous devons faire attention aux prestations qui se font dans certaines cliniques. Former des personnes sur place et réaliser qu’elles sont aptes à exercer le métier, laisse croire qu’il y a un laisser aller dans la délivrance des autorisations des cliniques et que les contrôles n’y sont constamment pas effectués. Hormis ces cliniques dites de la mort, il y a tout de même d’autres qui offrent des cadres agréables. Seulement le ministère de la santé devrait jeter un regard sur ces endroits pour ne pas laisser mourir les patients

Où en est-on avec la lutte contre les cliniques clandestines ?

Plusieurs cliniques fonctionnant dans l’illégalité avaient été soit fermées en 2014, soit mises en demeure, soit convoquées par le ministère de la santé, quand sévissait la fièvre à hémorragique Ebola. Les autorités guinéennes ne voulant plus de cliniques « clandestines » dans le pays avaient déclenché la lutte contre ces établissements sanitaires de fortune. Ainsi, au moment où la pandémie faisait ravage, les forces de sécurité avaient fait une descente inopinée dans plusieurs cliniques privées du pays.

En mars 2014, le ministre de la santé a effectué une descente sur le terrain afin de débusquer ces cliniques et mettre fin à leur prolifération. « Le médecin-colonel Remy Lamah, ministre de la Santé d’alors avait déployé les forces de sécurité et les inspecteurs sur la ville de Conakry pour lutter contre les établissements sanitaires clandestins (cliniques privées) », indique une vieille note du ministère toujours collée sur le tableau d’affichage. Celle-ci explique que « cette action contre la prolifération des cliniques privées clandestines vise à lutter contre la mauvaise qualité de soins offerts aux populations dans ces officines de santé ». « Il s’est agi au cours de ces visites inopinées, de faire un contrôle administratif et technique », a précisé la note.

Lors de ces journées de visites inopinées, plus d’une dizaine de cliniques des quatre communes de la capitale (Dixinn, Matam, Ratoma et Matoto) avaient été passées aux peignes fins. Selon les informations reçues au ministère, les structures épinglées avaient fait l’objet d’une mise en demeure, d’une convocation pour certaines et une fermeture pour d’autres.

Les autorités ne s’étaient pas arrêtées dans la capitale dans le cadre de cette opération. Le ministère a indiqué que les inspecteurs aidés des services de sécurité avaient investi l’intérieur du pays à la poursuite des cliniques qui n’étaient pas en règle vis-à-vis de la loi en vigueur.

Cette opération du ministère se justifiait par l’existence de plus en plus prononcée des cliniques « clandestines », en Guinée. Ainsi, selon les quelques données obtenues lors de notre passage au département de la Santé, sur une centaine de cliniques privées recensées, près de 70% sont dans l’illégalité. En d’autres termes, en Guinée, seulement 3 cliniques privées sur 10 exercent de façon légale. Mais hélas ! Ce combat n’a pas fait long feu. Les « boucheries » de cliniques se sont réinstallées pour commettre des actes horribles.

 Mais comment obtient-on l’autorisation et l’installation des cliniques privées ?

Au ministère de la Santé où nous nous sommes rendus, on nous apprend que pour avoir une clinique privée en Guinée, il faut être de nationalité guinéenne, être médecins diplômés d’Etat, avoir un espace d’installation non proche d’un autre établissement sanitaire. Pour cela, le postulant doit remplir la fiche au département, une fois l’autorisation obtenue, il doit s’adresser à la commune (en ce qui concerne la ville de Conakry). Ensuite, les responsables communales inspectent le lieu choisi pour l’installation de la clinique avant de donner l’autorisation. Après la commune, il faut revenir au ministère pour avoir l’autorisation définitive.

Selon notre interlocuteur du jour, le ministère et les responsables communales ou préfectorales inspectent régulièrement ces établissements sanitaires. Ainsi, dit-il, au cas du non-respect des conditions préétablies, l’établissement est fermé et l’agrément retiré. Toutefois, aux dires du cadre du ministère de la santé, certains petits malins et rusés trompent la vigilance des autorités pour installer clandestinement des soi-disant cliniques dans les quartiers et dans les villes de l’intérieur. Pour pallier ce désordre, notre informateur nous apprend que le gouvernement est informé et projette construire des petits centres de santé dans les zones peuplées et isolées. D’ailleurs, selon les indiscrétions, le Président de la République a fait de ce projet sa priorité. Construire des centres de santé de proximité à travers le pays.

Maintenant quand il s’agit de lutte contre les cliniques clandestines déjà installées dans les quartiers, notre interlocuteur nous promet une vaste campagne de sensibilisation, qui sera entreprise par le ministère auprès des populations les jours à venir.

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