Se déplacer à Conakry est vraisemblablement le pire cauchemar de ses habitants et le défi le plus important à relever par les autorités avant la fin du siècle. On perd en moyenne 5 heures de sa journée sur les routes de la capitale, coincé dans les embouteillages. Cela représente sans doute une perte importante sur la vie d’un être humain. Car à cette fréquence, un usager qui emprunte les routes urbaines 5 jours sur 7 perd 1300 heures (54 jours et 4 heures) de sa vie chaque année dans les bouchons, un nombre d’heures suffisant qui aurait pu lui permettre de décrocher un diplôme d’études professionnelles.
Outre cette perte de temps et de vie, la congestion des routes de Conakry inflige à l’usager une claque psychologique enivrante. Elle est source de stress, d’irritabilité, de fatigue, de perte de productivité et de motivation au travail. Elle ralentit l’activité économique et cause d’énormes pertes d’argent dépensé pour l’achat de carburants dont la combustion dégage de la fumée nauséabonde qui pollue l’environnement et pose d’inquiétants problèmes de santé aux usagers.
Elle est également responsable de l’usure prématurée des routes sous le poids des camions surchargés, de même que l’usure des véhicules légers durement éprouvés sur des routes constamment dégradées de la capitale. Sur plusieurs tronçons de la ville, la vitesse moyenne des véhicules ne peut dépasser 50 km/h, tant les risques d’accidents sont importants, les voies étroites, les bretelles d’accès nombreuses et les accotements inexistants. La circulation étant elle-même, faute de transport en commun viable, de plus en plus dominée par les taxis ordinaires, les motos taxis et les taxis tricycles que les usagers surnomment « Bömbö n’na (qu’on pourrait traduire ici par le fait d’être bousculé) ».
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Ces engins se déplacent dans tous les sens sans règle spécifique, tel le bourdonnement des mouches affolées par l’odeur d’une sauce savoureuse. Entre les véhicules à moteur s’intercalent régulièrement et dangereusement les marchands ambulants et les mendiants. Ceux-là adoptent parfois une attitude agressive vis à vis des passagers à bord. Les premiers les forçant à acheter leurs marchandises longuement exposées à la chaleur ardente du soleil, à la fumée toxique des véhicules usagés et à la poussière infectée des routes dégradées. Tandis que les seconds allant jusqu’à exiger d’eux une aumône comme si c’était d’office devenu un droit consacré à leur endroit. S’ajoute à tout cela un comportement extraordinairement mauvais des conducteurs de taxis (tous types confondus) qui ne respectent absolument aucun code de la sécurité routière et qui sont à l’origine de la plupart des « goulots d’étranglement » qui se forment sur les différents axes routiers.
Cette ambiance chaotique sur la route met l’usager dans un état de surexcitation intense qui irrite ses nerfs et accélère son rythme cardiaque. Parfois, lassés d’être emprisonnés dans de longues files de bouchons qui s’accumulent sur les trajets, certains automobilistes choisissent d’abandonner la course en opérant un demi-tour. Mais dans la majorité des cas, ces manœuvres de demi-tour aggravent davantage la congestion en occasionnant une seconde file de bouchons sur la voie à circulation opposée. De surcroît, les nombreux klaxons des véhicules et les disputent fréquentes entre les conducteurs sur les histoires de « qui a la priorité de passage ? » induisent une nuisance sonore, laquelle couplée avec le vrombissement des moteurs dépasse la capacité auditive des passagers à bord.
Pour toutes ces raisons, circuler sur les routes de Conakry est un véritable calvaire pour l’usager du début à la fin. C’est pourquoi l’État doit jouer pleinement son rôle de pourvoyeur de service public, en investissant massivement dans les infrastructures urbaines afin d’en améliorer la qualité; en développant les transports collectifs (trains et autobus urbains); en développant les grandes capitales régionales afin de stopper l’exode; en renforçant la sécurité routière par un contrôle strict du respect du code de la route; en sanctionnant l’incivisme facteur de désordre dans la société, notamment par la lutte contre l’occupation anarchique des voies publiques et des emprises routières. Ce sont tous ces efforts cumulés qui permettront à notre capitale de demeurer vivante, sachant que dans moins de trente ans, Conakry comptera plus 5 millions d’habitants soit plus du double de sa population actuelle.